André Gattolin – le sénateur parachuté dans le département des Hauts de Seine avec pour seule carte de visite écologiste d’être l’ami de Daniel Cohn-Bendit – a reconnu publiquement le 2 février 2012, dans une intervention faite au Sénat au nom du groupe EE-LV lors de la discussion d’une proposition de loi visant à favoriser la chasse, que « les chasseurs peuvent contribuer à une gestion équilibrée de la nature » notamment par la régulation des populations animales sauvages. Les chasseurs ne pouvaient rêver plus beau cadeau de la part d’un élu se disant écologiste même si cet élu déclarait ensuite que son groupe voterait contre une énième loi d’une extrême complaisance envers les chasseurs les plus extrémistes. Entre autres raisons André Gattolin justifiait d’ailleurs le vote contre cette loi par le souci de ne pas « altérer l’image de la chasse en cautionnant les pratiques les plus irresponsables » !


Europe-Écologie /les Verts, Eva Joly et la chasse : entre confusion, ambiguïté et reniements
Une véritable trahison

Être reconnus comme des protecteurs de la nature à travers leur rôle de « régulation » des populations d’animaux sauvages voilà ce que recherchent avant tout les chasseurs. Cela leur permettrait de chasser n’importe quand, n’importe où, pour peu qu’un ministère complaisant décide d’une « régulation », notamment dans les Parcs nationaux, y compris dans les zones centrales, supposées selon les fédérations de chasse et quelques « experts » à leur solde « manquer de prédateurs », prédateurs qu’ils se feraient un plaisir de remplacer. Chasser dans ces zones, c’est un de leurs rêves. Pour eux, ces sanctuaires où la chasse est interdite depuis près d’un demi-siècle maintenant sont un véritable pays de cocagne au carton facile, qui plus est sur des grands ongulés devenus peu méfiants dans ces territoires refuges. Carton facile que sont maintenant les Oies bernaches du Canada qui pouvaient se reposer sur leur statut d’oiseaux protégés pour moins craindre les hommes. Accepter ce nouvel alibi pour faire perdurer et développer un loisir qui consiste à tuer des êtres vivants sans autre nécessité que de s’amuser est une trahison envers tous les protecteurs de la nature qui se battent contre ces prétentions des chasseurs à venir perpétrer leurs méfaits jusque dans ce qui était des refuges inviolables pour toutes les espèces chassables comme pour tous les prétendus « nuisibles ». Cette trahison, André Gattolin l’a commise comme l’a commise le groupe des sénateurs EE-LV qui se prétendent écologistes et dont il a été le porte-parole complaisant. Qui pourra s’opposer à une prétendue « régulation par la chasse » des populations animales sauvages si même les écologistes en reconnaissent la nécessité et le bien-fondé ? !

Comment Monsieur Gattolin et les autres sénateurs qui se disent « écologistes » peuvent-ils être assez naïfs, stupides ou ignares sur ce milieu et cette pratique pour croire que les chasseurs « aiment la nature » ? Les chasseurs n’aiment pas la nature, ils aiment faire parler la poudre, ils aiment tuer. Faut-il rappeler à ces prétendus « écologistes » combien il a été difficile de surmonter le refus obstiné de ces « amoureux de la nature » de ne plus utiliser de plomb dans leurs cartouches malgré les pollutions des sols et des eaux qu’ils occasionnaient, malgré les canards granivores qui mourraient de saturnisme ? Faut-il leur rappeler que les bouquetins que les chasseurs veulent maintenant réguler dans les Parcs nationaux ont failli disparaitre à cause de ce « sport » sanguinaire ? Faut-il leur mettre sous le nez la longue liste des espèces en danger d’extinction ou disparues à cause cette chasse ? Faut-il leur expliquer que cette « prédation » par la chasse n’a rien d’une régulation naturelle (en particulier : ce sont les individus les plus robustes, les meilleurs reproducteurs ou reproductrices qui sont tués pour le trophée ou la viande) et qu’elle a de nombreux effets pervers par les dérangements qu’elle occasionne ? Peut-être faut-il leur rappeler tout cela car à force de vouloir être un parti « généraliste » dit de « gouvernement », EE-LV, soucieux avant tout d’électoralisme, est en train d’oublier ses fondamentaux.

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Une position platement électoraliste et opportuniste
Ne soyons donc pas naïf non plus. Lorsqu’on lit l’intervention de Gattolin, on comprend vite qu’il s’agit de ménager la chèvre, les associations de protection de la nature et notamment la LPO dont les adhérents sont des électeurs en puissance et le chou, les chasseurs qu’il ne faut pas se mettre à dos pour essayer de gagner quelques voix chez les ruraux. Bref, en ces périodes électorales, il s’agit de ne se mettre à dos aucun lobby, de ne choquer personne, de satisfaire tout le monde ou du moins d’essayer, d’où cette façon de caresser les chasseurs dans le sens du poil tout en reprenant les mesures ponctuelles demandées par la LPO pour gommer les excès les plus manifestes de cette loi scélérate.
Jusqu’à ce revirement des Sénateurs EE-LV, Les Verts ou les différentes organisations et partis qui les ont précédés, sans proposer de supprimer la chasse, ont toujours mis en évidence son caractère nocif pour la nature et les espèces sauvages et ont proposé des mesures visant à la restreindre comme à restreindre le droit de chasse. Jamais il n’a été question de reconnaître aux chasseurs un statut quelconque de protecteurs de la nature et de gestionnaires de celle-ci. C’est seulement avec la création d’EE-LV et la publication de son programme tiédasse que les choses changent. Dans ce programme on peut lire en effet « Des efforts ont été faits dans le milieu [des chasseurs] et certaines fédérations de chasse ont pris un tournant positif en matière de gestion de protection de l’espace et de la faune » (p. 12 du document en ligne) Dans ce texte se trouvent en creux la position que les sénateurs EE-LV ont prise dans la déclaration lue par Gattolin, le reniement et la trahison de tous les protecteurs authentiques des animaux et de la nature : il faut être singulièrement culotté pour affirmer que les fédérations de chasse protègent la faune… à coups de fusil. Finalement à quelques nuances près EE-LV et les sénateurs EE-LV disent la même chose que le lobby des chasseurs à l’origine de cette nouvelle loi. Dans l’exposé des motifs, on peut lire en effet : « La présente proposition de loi portant diverses dispositions d’ordre cynégétique est constituée de dispositions apparues nécessaires pour permettre aux chasseurs l’accomplissement de leur passion dans les meilleures conditions tout en leur reconnaissant une contribution importante à la préservation des territoires » et un peu plus loin dans le texte : « acteurs importants de la protection de la nature, les chasseurs ont besoin d’être légitimés dans leur engagement » (sic !)

Un revirement jamais débattu

On lisait dans le programme de 1981 des écologistes : « La France abrite 120 000 espèces animales (5 à 10% des espèces terrestres)(…) mais (…) il reste 5 ou 6 couples de balbuzards pêcheurs, 10 à 15 de gypaètes barbus, 50 à 80 grands ducs. Même le hérisson, la taupe, le lièvre, le lérot sont en régression. Quelles sont les causes principales de ces disparitions ? Le prélèvement excessif est source de raréfaction. (…) 2,2 millions de Français sont chasseurs [le nombre a baissé depuis de près de la moitié] avec des armes de plus en plus perfectionnées, des routes de plus en plus nombreuses qui permettent de pénétrer en voiture au plus profond de la campagne [aujourd’hui il y a les 4x4]. Le gibier n’y a pas résisté » (Ecologie, le pouvoir de vivre, 1981, p.24). Dans les dernières versions du « livre des Verts » on pouvait lire sous le titre « Chasser n’est pas jouer » : « Les Verts, s’il ne sont pas philosophiquement pro-chasse, ne mettent pas dans la même gibecière tous les chasseurs et le lobby de « l’extrême chasse », défenseur du viandard qui s’obstine à décimer des populations d’oiseaux, clamant haut et fort son mépris des lois (…) Compte tenu du danger qu’elle [la chasse] représente pour les personnes et les biens, la chasse exige des précautions particulières et un renforcement de la législation en vigueur »(Le nouveau livre des Verts, 1999, p. 235) Le texte est peut-être plus modéré que celui de 1981 mais il n’est pas question de reconnaître les chasseurs comme des protecteurs et gestionnaires avisés de la nature, les Verts s’affirment encore clairement anti-chasse. En outre les dessins extraits de Charlie Hebdo qui illustrent les textes de cet ouvrage sont des caricatures anti-chasse assez féroces. Page 20 par exemple, on trouve une caricature due à Luz dans laquelle un rambo, armé jusqu’aux dents, avec à ses pieds des animaux tués et une bouteille de vin vide, éructe « Quelqu’un qui n’aime pas la mort ne mérite pas de vivre » et tire sur un panneau électoral sur lequel on peut lire « Non à la chasse, votez Blandin » Voir aussi celles des pages 234 et 238 qui ne manquent pas de sel… Le ton était donné : même si dans les mesures proposées ne figurait pas l’abolition de la chasse, les Verts étaient nettement du côté de ceux qui condamnent ce passe-temps mortifère. Comme souvent dans ce parti qui veut donner des leçons de démocratie et de bonnes pratiques à la Terre entière, un changement radical des principes fondamentaux s’est produit sans débat, subrepticement, à l’occasion de la réécriture du programme par un petit groupe sans légitimité, les militants n’y voyant que du feu. D’ailleurs, certains croient encore en toute bonne foi, comme beaucoup de
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chasseurs et de promeneurs, qu’EE-LV est « anti-chasse ». C’était vrai naguère pour Les Verts, cela ne l’est plus aujourd’hui. Et ce n’est pas la première fois que de tels changements radicaux dans les programmes et les principes se produisent. Cela a déjà été le cas, par exemple, sur un sujet aussi essentiel que la démographie sur laquelle EE-LV observe le mutisme le plus absolu ayant remisé les professions de foi antinatalistes au vestiaire des idées politiquement non correctes, réputées (à tort ?) mauvaises sur le plan électoral. Et en ce qui concerne la politique du logement, on ne voit guère, mis à part une surenchère, ce qui distingue les propositions d’EE-LV de celles de la gauche classique. Etc., etc. …

Manifestation anti-corrida Bilbao, août 2009
Manifestation anti-corrida Bilbao, août 2009
« Les Taureaux s’ennuient le dimanche lorsqu’il s’agit de mourir pour nous »

Pour toutes les questions concernant la chasse et le statut des animaux, sauvages ou domestiques, le flou est de mise. D’un côté, selon le programme officiel d’EE-LV « Vivre mieux, vers la société écologique », il faut proposer au parlement une loi qui fera passer l’animal du statut de « bien meuble » à celui d’être vivant. « Le bien-être animal sera pris en compte dans les politiques thématiques (transport, abattage et bâtiments en agriculture, animalerie, cirques…) et les pratiques brutales, cruelles et indignes seront proscrites » (p. 12) D’un autre côté Eva Joly, candidate officielle du parti EE-LV déclare : « La corrida est très populaire dans le Sud de l'Europe et il convient d'empêcher que cela se développe ailleurs que là où c'est ancré dans les traditions. Il faut limiter l'accès à ce spectacle aux adultes. » Elle ajoute : « Je suis hésitante sur une interdiction, car en Espagne, cela fait partie vraiment de la culture. Une interdiction ne peut se faire que progressivement, en concertation avec les populations locales. » En aucun cas l’ancienne magistrate ne songe aux animaux, aux taureaux torturés, aux chevaux éventrés. Si cela n’est pas un ensemble de «pratiques brutales, cruelles et indignes »… Où donc est la cohérence ?
De même le programme d’EE-LV veut interdire les « chasses particulièrement cruelles ». Toute chasse est cruelle, mais il y en a qui sont encore plus cruelles que d’autres. Personne ne peut contester que parmi ces dernières, la chasse à courre, survivance d’un passé révolu, est dans le peloton de tête. Or, l’ancienne magistrate récemment convertie à l’écologie ne manifeste pas sur ce sujet le zèle des néophytes. Elle considère quant à elle que  «La chasse à courre est aussi une chasse ancestrale et très implantée dans certaines régions, et donc ma réponse est la même [que pour la corrida, elle ne souhaite pas l’interdire]. Il y va du respect des cultures locales, des régions, des identités culturelles.»

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Avec de tels propos, il n’est pas étonnant que Madame Joly ne décolle pas dans les sondages. Rappelons incidemment que, l’Angleterre, pays des traditions s’il en existe un, a renoncé aux chasses à courre… Pourquoi n’y a-t-il pas eu de recadrage de la part de la direction d’EE-LV si prompte à s’émouvoir lorsqu’Eva Joly s’en prend, à juste titre pourtant, à François Hollande sur le nucléaire ? Il est vrai que ni les chevaux des picadors, les taureaux, les chiens de meute, les cerfs et tout le petit peuple de plumes et de poils que battues et chasses à courre terrorisent et mettent en danger ne risquent de faire capoter l’accord conclu avec le PS et les sièges de député qui sont à la clé. Les associations, comme « Convention Vie et Nature » qui ont demandé à Eva Joly et à EE-LV de lever les ambiguïtés de leurs prises de position n’ont eu que le silence pour réponse.

Certes dans les circonstances actuelles, il faut tout faire pour battre le président sortant, un individu dangereux pour la faune et la flore comme pour beaucoup d’autres choses. Mais il n’y a pas à l’heure actuelle de raison vraiment puissante qui pousse à choisir pour cela le vote de la candidate EE-LV, le vote Eva Joly. Même ses positions sur le nucléaire souffrent d’une ambigüité, la même que celle qui vient d’être mise en évidence pour la chasse mais en sens inverse. Sa fermeté n’est guère crédible puisqu’au-delà de ses paroles, elle porte les couleurs d’un parti qui a capitulé en rase campagne en signant un accord qui garantit une longue vie à cette industrie mortifère.
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Annexes

•Voici le passage de la déclaration d’André Gattolin au Sénat le 2 février 2012 :
« Nous reconnaissons que les chasseurs peuvent contribuer à une gestion équilibrée de la nature et nous n’ignorons pas les difficultés de régulation des populations (comme celle notamment des sangliers). Il y a parmi les chasseurs de vrais amoureux de la nature et qui, de plus en plus souvent, se battent aux côtés des écologistes contre certains projets »

●NB 1: Si les écologistes défendent l’environnement et la nature, les chasseurs défendent leur terrain de jeu. Dans certains cas, cela peut entraîner des convergences d’intérêt et comme les chasseurs sont un lobby puissant, cela peut être efficace. De là à s’appuyer sur cette convergence d’intérêts occasionnelle pour justifier la chasse et attribuer un brevet d’ami et protecteur de la nature à certains chasseurs en tant que chasseurs est intellectuellement malhonnête et écologiquement scandaleux.

●NB 2 : La question des sangliers ou les pompiers pyromanes.
Avant de raconter n’importe quelles balivernes, je conseille à André Gatttolin, Vincent Placé et ses troupes la lecture de l’ouvrage de Pascal Etienne, Le sanglier, Delachaux et Niestlé, Paris 2003 qui constitue une somme des connaissances sur cette espèce. Je leur conseille tout particulièrement de lire le texte suivant qui en est un court extrait. Il ne dispense cependant pas de la lecture de tout l’ouvrage si l’on veut vraiment connaître le cas de cette espèce et éviter de colporter des bêtises à son sujet.
« La soi-disant « gestion » de l’espèce [le Sanglier] incita nombre d’adeptes à libérer en France, sans discernement, des animaux issus d’élevage, avec tous les risques que cela comporte. La cause première est en réalité une mauvaise maîtrise des populations sauvages qui déclinent sous les prélèvements abusifs. De tels sangliers d’élevage sont souvent élevés dans des conditions de promiscuité, de mauvaise hygiène, et peuvent être porteurs de maladies latentes. Le risque majeur consiste surtout en une possible pollution génétique car les partisans de ces lâchers n’hésitent pas, pour augmenter la vitesse de croissance et la fécondité, à croiser les individus de souche pure avec des porcs domestiques » (p. 149, souligné par moi JFD)
La passion-chasse n’est pas une passion-nature. Les chasseurs ne sont pas et n’ont pas à être de quelque façon que ce soit des « gestionnaires de la Nature », à supposer que celle-ci ait besoin de gestionnaires. A mon humble avis, elle se gère bien mieux seule.

●NB 3 : Heureusement qu'il y a la chasse à courre...
Voici la question d'un « amoureux de la nature » et la réponse par l'ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage) :
« Je souhaiterais chasser le sanglier à l’épieu. Quelle est la réglementation ?
La chasse à l’épieu ne fait pas partie des modes de chasse autorisées en France. Toutefois, vous pouvez utiliser un épieu pour mettre à mort l’animal lorsqu’il est déjà capturé, c’est plus spécialement le cas d’un sanglier aux abois en chasse à courre ou d’un sanglier blessé par le tir d’une arme à feu et au ferme. » Il n'y a pas à dire la chasse à courre est une belle tradition, bien barbare qu'il faut maintenir à tout prix au nom des identités culturelles, celles des Rois Francs, sans doute, Madame Joly?

Iconographie.

Marcassin, Sander van der Vel, wikicommons,
Fin de chasse à courre, cerf mort, One voice
Cerf dont la machoire a été brisée pendant la chasse à courre, One voice
Manifestation anti-corrida, Ekinez Sorta, wikicommon
Taureau achevé, anonyme, wikicommons
Sanglier sauvage, WildZwign, wikicommons,
Le sanglier de Calydon, gravure de Régius pour Les métamorphoses d'Ovide, Livre VIII, 281 - 317

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Samedi 4 Février 2012 Commentaires (1)

Le Maire de Clamart est aussi Vice-président de notre agglomération Sud de Seine. C'est pourquoi je relaie la position du groupe Europe-Ecologie de Clamart que je partage.


« Nous avons appris mercredi soir l'existence d'une vidéo mettant en cause le maire de Clamart, vidéo immédiatement dénoncée par celui-ci publiquement en conseil municipal comme une manœuvre de l'UMP pour le déstabiliser.

« Compte tenu de la gravité des accusations portées à l'encontre du maire de Clamart, du passif judiciaire du maire UMP du Plessis-Robinson à l'origine de l'information au procureur Courroye il y a plusieurs mois et de l'enquête judiciaire qui a suivi et est encore en cours, nous observerons une stricte neutralité respectant la présomption d'innocence.

Nous demandons cependant que l'enquête ne soit pas menée sous la responsabilité du procureur des Hauts-de-Seine, proche de Nicolas Sarkozy et mis en examen le 17 janvier dernier pour les enquêtes illégales en direction de journalistes du Monde.

Soucieux d'éthique et de transparence dans notre façon de faire de la politique, nous souhaitons que toute la lumière soit faite concernant cette affaire et ce dans les plus brefs délais. » Europe Écologie Les Verts. Groupe de Clamart - Plessis Robinson.

Cela dit, il faut remarquer que le maire de Clamart a fait procéder à une analyse de cette vidéo. Des points troublants sont apparus et comme cette vidéo a été largement difffusée sur Internet, il serait juste que cette analyse reçoive une aussi grande diffusion. On la trouvera ici

Lundi 30 Janvier 2012 Commentaires (1)

Roger Belbéoch est décédé le 27 décembre 2011 à l'âge de quatre-vingt-trois ans. Avec sa femme Bella, ils furent parmi les premiers physiciens nucléaires à s’élever contre l’industrie nucléaire.


Un chercheur en physique nucléaire engagé…

Roger Belbéoch a travaillé dans un laboratoire universitaire de recherche (Orsay, Paris-Sud). Sa spécialité était les accélérateurs de particules et la physique des faisceaux de haute énergie. Dans ce cadre il utilisait de grosses installations productrices de rayonnements, ce qui l’a conduit à s’intéresser aux effets biologiques des rayonnements ionisants. Là est l'origine, en 1970 de son questionnement sur les dangers de l'énergie nucléaire et de ses prises de position antinucléaires radicales. Il a été un des pilliers avec Bella Belbéoch, Monique et Raymond Sené du GSIEN (Groupement des scientifiques indépendants) fondé en 1975. Il a participé au mouvement « Survivre et Vivre » fondés par les mathématiciens Pierre Samuel, Claude Chevalley, Alexander Grothendieck, groupe qui fut l’une des origines du mouvement écologiste en France. Il était directeur de publication de la «Lettre du Comité Stop Nogent ».

…dont la compétence et la capacité d’expertise va nous manquer

Comme le rappelle la CRIIRAD « Roger [Belbéoch] avait la capacité d'analyser les problèmes du nucléaire en dehors de tout schéma établi et de toute compromission. Ses analyses effectuées avec une lucidité, une compétence et une rigueur hors du commun nous ont alertés depuis longtemps sur les risques liés à l’industrie nucléaire, risques confirmés par les catastrophes de Tchernobyl, puis de Fukushima. Roger [Belbéoch] a toujours recherché la vérité, mais pas les récompenses ou les honneurs. »

Les pâles leaders opportunistes et carriéristes des partis écologistes actuels n’ont pas daigné lui rendre hommage. Il faut dire qu’ils sont bien éloignés de sa radicalité antinucléaire, acceptant dans l’espoir de sièges à l’assemblée nationale de se plier aux exigences des nucléocrates irresponsables de droite (comme l’a fait Corinne Lepage), de gauche comme l’a fait Dominique Voynet, et comme le fait aujourd’hui EE – LV avec François Hollande.

Un anti-nucléaire radical

Roger Belbéoch était un antinucléaire radical parce qu’il était conscient des conséquences insupportables des catastrophes nucléaires, non seulement pour la nature et l’homme mais aussi pour la démocratie qu’elles feront sombrer dans une sorte d’électro-fascisme, catastrophes dont Tchernobyl et Fukushima nous ont donné un avant-goût. Ses positions sont d’une logique implacable : le risque nucléaire est insupportable et inacceptable. Il faut donc sortir du nucléaire au plus vite avant la catastrophe. Attendre en croisant les doigts dix, vingt ou trente ans est d’une rare inconséquence dès lors que l’on a pris conscience du danger et de l’inéluctabilité des catastrophes : « C’est avant l’accident qu’il faut agir. Après, il n’y a plus qu’à subir. »

Pour une sortie rapide du nucléaire avant la catastrophe

Les énergies renouvelables et les économies d’énergie ne permettent pas à l’heure actuelle à elles seules cette sortie immédiate. Pour B. et R. Belbéoch, elles ne le permettront d’ailleurs jamais si nous ne changeons pas de mode de vie : « Il est évident, écrivaient-ils, que vivre comme nous vivons actuellement avec de l’énergie solaire et éolienne serait extrêmement attrayant. Le même confort de vie, pas de danger, pas de déchets, pas d’atteinte à l’environnement. Malheureusement, la réalité est très différente. » Et le nier est « une escroquerie » qu’ils démasquent dans leur livre Sortir du nucléaire avant la catastrophe, c’est possible. Si les énergies renouvelables et les économies d’énergie ne nous permettent pas une sortie rapide du nucléaire en l’état actuel et comme celle-ci est impérative, il n’y a pas le choix : « Une stratégie de sortie rapide du nucléaire, pour être crédible et acceptable par la population, ne doit compter que sur des technologies directement utilisables actuellement, c’est-à-dire, outre l’hydraulique, la production d’énergies électrique à partir des combustibles fossiles : le fioul, le gaz et le charbon » (p. 49)B. et R. Belbéoch préconisent une sortie rapide du nucléaire par un recours massif aux énergies fossiles, surtout au charbon utilisé selon les méthodes contemporaines pour réduire la pollution. Il s’agit de lavage des fumées pour dénitrification et désulfurisation et de techniques de combustion « propre» Ce scepticisme sur les potentialités des « énergies renouvelables », cette opposition argumentée à une « diabolisation » du charbon attirèrent sur les Belbéoch l’inimité de beaucoup d’écologistes. Et les choses se gâtèrent encore d’avantage lorsqu’ils expliquent dans le livre cité qu’il est bien évident que  « l’on ne peut brûler du charbon sans produire du gaz carbonique et contribuer ainsi à l’effet de serre » mais que si l’on fait une évaluation honnête et sérieuse de l’augmentation induite de cet effet de serre par la substitution du charbon au nucléaire dans le monde, celle-ci serait inférieure 2,5% , donc négligeable : « Si cet effet de serre est vraiment catastrophique, il ne sera guère sensible à ce très faible excès dû à l’arrêt mondial de l’énergie nucléaire » (p. 64) Par contre « l’effet de serre mis en avant par les écologistes pour condamner l’usage du charbon en remplacement du nucléaire a été une aubaine qu’EDF s’est empressée d’utiliser » (ibid.) C'est ce que devrait effectivement penser tout antinucléaire sérieux et déterminé. Dans cette citation « écologiste » est mis pour « Les Verts » partisans d'une sortie différée car il existait et il existe encore, Dieu merci, des écologistes qui partagent, au moins dans ses lignes de force, la position de B. et R. Belbéoch et qui se retrouvent un peu orphelins aujourd’hui.

Des positions réalistes face aux utopies et aux confusions

Les positions et propositions de B. et R. Belbéoch sont réalistes mais les nucléocrates alliés aux oracles du GIEC ont gagné la bataille de l’opinion et ces propositions se heurtent à un front commun contre nature des Verts et des pro-nucléaires. Combien sensée est cette réflexion : « Bien sûr, le charbon ce n’est pas l’idéal, mais il y a une menace immédiate, la catastrophe nucléaire, et elle n’épargnera pas nos descendants. La sortie rapide répond à une urgence mais elle ne résout pas tous les problèmes de notre société. » (p.110) Mais aussi : « Il ne devrait pas y avoir d’opposition entre une sortie rapide du nucléaire avec les moyens dont on dispose (hydraulique, charbon, fioul) et le développement d’une stratégie énergétique pour une société vivable à plus long terme. Ce sont là deux préoccupations différentes » (p.108) Le défaut majeur de la réflexion de beaucoup d’écologistes est qu’ils confondent les deux. Les différents scénarios de sorties différées proposées par des associations ou fondations diverses font cette même confusion. Il est bien évident qu’à long terme, nous devrons nous passer du charbon et à plus court terme du pétrole, mais le problème du remplacement du nucléaire n’est pas celui-là. Il ne s’agit pas de préparer la transition énergétique, il s’agit d’éviter une catastrophe qui rendrait brutale et très douloureuse cette transition. Les emballements scientifico-médiatiques sur le climat renforcent cette confusion. Proposer un redéploiement de centrales à charbon modernes risque d’être totalement inaudible aujourd’hui tandis que la France s’enfonce dans le nucléaire car contrairement à ce que peuvent faire croire les scénarios d’une sortie différée et très lissée dans le temps, « plus on tarde à sortir du nucléaire et plus la sortie sera difficile » « Aujourd’hui [1998], la sortie rapide et déjà beaucoup plus difficile à réaliser qu’en 1993. Peut-être que dans quelques années cela sera impossible et le mouvement qui se dit antinucléaire aura une part de responsabilité dans cette situation qui pourrait bien conduire à un renouvellement du parc nucléaire » (pp. 116 – 117) Paroles singulièrement clairvoyantes puisque nous y sommes et que ce renouvellement est à l’ordre du jour avec la tête de série, le réacteur EPR de Flamanville. Faudra-t-il un accident majeur pour qu’enfin nous tournions vraiment le dos au nucléaire ? Au lieu d’être rapide, la sortie risque alors d’être brutale et précipitée. Les Japonais font aujourd’hui la douloureuse expérience d’une telle sortie. Avec nos 58 réacteurs, nous risquons chaque jour de nous retrouver dans la même situation. Saurons-nous alors faire face comme le font les japonais : restriction de chauffage, de climatisation, d’éclairage…Plus d’ascenseurs, ni d’escalators, une organisation du travail modifiée, des territoires stérilisés, une agriculture sinistrée, des importations massives de gaz liquéfié, etc.

Démasquer les faux semblants des politiciens qui se disent écologistes et antinucléaires

C’est ce que permet aussi la lecture des écrits de Roger Belbéoch et explique que les apparatchiks d’EELV ont omis de lui rendre hommage – avec peut-être l’ignorance de l’histoire d’un mouvement et d’un courant de pensée qu’ils prétendent incarner. Comme le soulignent B. et R. Belbéoch« La totalité des partis politiques de la gauche à la droite étant pronucléaire, toute position antinucléaire radicale conduit à une rupture politique » (p. 85) C’est une des raisons , d’ailleurs, qui fait que si les écologistes ont noué depuis toujours des alliances au niveau local, ils n’en contractaient pas au niveau national, présentant des candidats au premier tour des législatives et des présidentielles et ne donnant pas de consignes de vote au second tour. Aujourd’hui les choses ont bien changé mais à quel prix ? « L’adoption d’une sortie différée, en douceur sur 25 ans, permet de concilier une attitude apparemment antinucléaire avec des forces pronucléaires afin d’aboutir à des alliances électorales dont le seul but est d’assurer des élus et non une stratégie antinucléaire » (p.84) Ecrit en 1993, ce texte reste d’une brûlante actualité. Il est évident qu’un antinucléaire radical ne peut se retrouver dans ces compromis et qu’au fil du temps, les concessions que fait la Gauche aux antinucléaires dans les accords passés avec les Verts sont de plus en plus minces. Mitterrand avait promis d’arrêter la construction de Plogoff, Jospin de stopper Superphénix. Certes, Plogoff, Crey-Malville n’étaient que des gestes symboliques de faible portée et la nucléarisation de la France a continué mais aujourd’hui, il n’est même plus question de faire un geste pour obtenir un accord avec EE – LV, il suffit d’être généreux en fauteuils de député : Hollande ne veut même pas arrêter la construction de l’EPR de Flamanville !

On pouvait ne pas être d’accord avec toutes les positions de Roger Belbéoch, il n’en reste pas moins que sa clairvoyance, rarement mise en défaut va nous manquer. Son courage et son honnêteté intellectuelle aussi. On dit souvent que l’Ecologie n’a pas les hommes et les femmes qu’elle mériterait pour l’incarner. C’est de plus en plus vrai mais en ce qui concerne Roger Belbéoch, c’était tout à fait faux.

N. b. : Les citations de cet article sont extraites de Bella et Roger Belbéoch, Sortir du nucléaire, c’est possible avant la catastrophe, L’esprit Frappeur, 1998. Si certaines analyses de cet ouvrage demandent à être actualisées avec des données récentes, elles restent plus que jamais valables et décapantes à une période où l’on se sert d’hypothétiques catastrophes futures pour nous détourner de celles qui nous pendent au nez. Oui, Roger Belbéoch va manquer aux antinucléaires!

Roger Belbéoch n’aimait pas qu’on le photographie. J’avais pourtant trouvé une image de lui. Mais elle n’illustrera pas cet article. Il préférait l’écrit. Comme les perspectives de la lutte antinucléaire n’ont jamais été aussi sombres en France, je l’illustrerai par les extraits d’un texte de Bella Belbéoch publié dans le numéro 119 de Novembre 2010 de «La lettre d’information du Comité Stop Nogent-sur-Seine »

Texte de Bella Belbéoch

Évidemment, puisque la France est toujours le pays au monde le plus nucléarisé par habitant il n’est pas glorieux pour nous tous qui avons participé aux luttes antinucléaires de raconter aux enfants et petits-enfants «nous avons échoué ». On n’a pas eu la chance des habitants de Plogoff qui ont défendu leur territoire quasiment en guérilléros, soutenus par les antinucléaires de la France entière lors de la manifestation grandiose de mai 1980 et Mitterrand a tenu la promesse qu’il avait faite à Brest lors de la campagne électorale avant le scrutin de mai 1981 : il n’y a pas eu de centrale nucléaire à Plogoff. Mais contrairement à l’opinion courante, les habitants de Plogoff n’étaient pas antinucléaires, ils étaient contre une centrale installée chez eux, l’effet «NIMBY»,« pas dans mon jardin », les centrales ailleurs que chez eux ils n’en avaient rien à cirer. Des pronucléaires en somme ![…]
Avant les élections présidentielles de 1981 Mitterrand avait promis au CCPAH, le comité contre la pollution atomique à la Hague, qu’il n’autoriserait pas l’extension UP3 de l’usine de retraitement. Ce n’était qu’une façon de recueillir les voix des écologistes naïfs car, une fois élu en mai 1981, l’usine a poursuivi son développement et l’extension UP3 de traitement du plutonium a eu lieu.
Pour finir, on a bel et bien reçu des grenades lacrymogènes «socialistes» en fin de manifestation antinucléaire à Paris en OCTOBRE 1981 ! Et la nucléarisation de la France s’est poursuivie.
Les témoins disparaissent et à chaque génération les jeunes doivent découvrir ce qui se cache sous les« bienfaits » du nucléaire durable, supposé « sûr » malgré les incidents des réacteurs, ceux qui sont connus, ceux non prévus qui ne se dévoilent que lors du fonctionnement du réacteur (par exemple sur le palier N4 1450 MW, les fissurations et fuites d’eau sur le circuit de refroidissement à l’arrêt de Civaux), la dégradation de l’enceinte de confinement par fluage du béton etc. Chaque changement physico-chimique peut engendrer des mécanismes encore inconnus. Comment réagiront les matériaux avec l’augmentation de l’enrichissement du combustible et des taux de combustion, les changements d’alliage des assemblages ? Que deviendront les fissurations de l’acier des cuves sous revêtement dont on nous assure qu’elles n’évoluent pas et qui seraient« d’origine » ?
Nos enfants réapprendront que les mines d’uranium ont contaminé le pays, que l’électricité nucléaire produit des déchets radioactifs, que les faibles doses de rayonnement sont nocives, cancérigènes (malgré ce qu’en disent nos académies des sciences et de médecine pour qui il n’y a aucun effet en-dessous de 10 milli sieverts). Qu’il y a des conséquences sanitaires du nucléaire civil, parmi ceux qui ont extrait l’uranium des mines, qui l’ont transformé en yellow cake, ceux qui le «convertissent » en hexafluorure, tous ceux qui ont travaillé l’uranium sous toutes les formes chimiques métal, oxyde, fluorure et autres, parmi la population vivant aux alentours des installations.
En 1975, une rumeur a circulé à Saclay, il était question de 8 leucémies et cancers parmi les travailleurs de La Hague et depuis plus aucune nouvelle. Il n’y a pas eu d’étude spécifique pour chaque centre nucléaire, ni pour La Hague, ni pour le Bouchet. Celle des travailleurs sur uranium métal de Saclay morts de cancers a été biaisée dans l’étude officielle. Il n’y a pas eu d’étude sur les enfants des travailleurs CEA. Quand on a voulu la faire à Cadarache les syndicalistes qui l’avaient proposée ont vite rétrogradé : « il ne fallait pas faire de vagues ». Pas seulement à cause de la direction mais aussi à cause des travailleurs... Et quand nos mines ont fermé on a continué à extraire
l’uranium, mais au Niger, détruisant la vie et la santé des populations autochtones. Et l’extraction au Niger se développe de plus en plus, car AREVA est un fournisseur mondial d’uranium.
Pourtant, une chose à ne pas oublier, qu’il s’agisse d’amiante, de produits chimiques etc., mais aussi de rayonnements ionisants : les travailleurs servent de bio-indicateurs pour la population.
Il faut en finir avec ce nucléaire dit « propre ».
Bella Belbéoch, oct. 2009-oct. 2010.
La lettre d’information du Comité Stop Nogent-sur-Seine n°119 novembre 2010

Bibliographie établie par la Criirad

Ecrits de Roger Belbéoch

• « Le risque nucléaire et la santé » in Pratiques ou Les cahiers de la médecine
utopique, n°45, février-mars 1981. Revue du SMG, Syndicat de la médecine
générale. Le SMG a édité l'article sous forme de tiré à part (66 pages) qui a
été diffusé par la CNAN, Coordination nationale antinucléaire.
• « Société nucléaire » in Encyclopédie philosophique universelle. Les Notions
philosophiques, tome II, pp. 2402-2409, Presses Universitaires de France, août
1990.
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/Les_notions_philosophiques.pdf
• «Les effets biologiques du rayonnement » et les « Mythes de la
radioprotection » in La Radioactivité et le vivant, Sebes, n° 2 (p. 11-32),
Genève, novembre 1990. La revue Sebes (Stratégies énergétiques, Biosphère
et Société) forum interdisciplinaire indépendant, est la gazette de l'APAG,
organe de l'Association pour l'Appel de Genève.
• « Comment sommes-nous « protégés » contre le rayonnement ? Les normes
internationales de radioprotection. Le rôle de la Commission Internationale
de Protection Radiologique » in Radioprotection et droit nucléaire. Entre les
contraintes économiques et écologiques, politiques et éthiques, sous la
direction d'Ivo Rens et Joël Jakubec, éd. Georg, 1998. Collection Stratégies
énergétiques, Biosphère et Société, pp. 43-96.Http://www.unige.ch/sebes/
• « Tchernoblues. De la servitude volontaire à la nécessité de la servitude »,
éd. L'Esprit Frappeur n°105, Paris, 2002, 109 pages.
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/tchernoblues2.html

Ecrits de Roger Belbéoch en collaboration avec Bella Belbéoch

• « Nucléaire et Santé », édité par le CCPAH, Comité Contre la Pollution
Atomique à La Hague. Assises internationales du retraitement, Equeurdreville,
21-22 octobre 1978. Compte-rendu de la Commission Nucléaire et santé, 68
pages.
Http://dissident-media.org/infonucleaire/nucleaire_et_sante.pdf
• « Santé et rayonnement. Effets cancérigènes des faibles doses de
rayonnement ». Choix de textes. Traduction avec l'aide de Anghju-lamaria
Carbuccia. GSIEN/CRIIRAD, 1988, 195 p.
• « Tchernobyl, une catastrophe. Quelques éléments pour un bilan ».
L'Intranquille, une libre contribution à la critique de la servitude, n°1, Paris,
1992, pp. 267-373 (B.P. 75, 76960, Notre-Dame-de-Bondeville).
• « Tchernobyl, une catastrophe. Quelques éléments pour un bilan » , éd.
Allia, Paris 1993. 220 pages. (Ce livre reprend et complète le texte paru dans
l'Intranquille). Il a été édité en japonais, Tokyo 1994.
http://www.dissidentmedia.
org/infonucleaire/Tchernobyl_une_catastrophe_1993.pdf
• « Sortir du nucléaire, c'est possible avant la catastrophe », L'Esprit Frappeur
n°20, Paris 1998, 123 pages.
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/sortir_du_nuc.html

Postscriptum : En relisant cet article, j'ai une pensée pour mon ami Claude Boyer trop tôt disparu. Il fut l'un des piliers de Stop Nogent. Autodidacte dans le domaine du nucléaire, il avait réussi à acquérir en ces matières difficiles une compétence telle qu'il pouvait discuter d'égal à égal avec les nucléocrates les plus diplomés et ne s'en privait pas. On trouve quelques uns des textes qu'il a écrit pour La lettre d’information du Comité Stop Nogent-sur-Seine sur le site http://www.dissident-media.org/infonucleaire/sortir_du_nuc.html

Jeudi 19 Janvier 2012 Commentaires (1)

La plante à l'honneur

Ils sont là, modestes, un peu cachés au milieu de belles horticoles. On dirait à s’y méprendre des petits plants de pommes de terre encore en fleurs à la mi-décembre. Ce sont des plants de Morelle noire. S’il ne gèle, ni ne neige dans les jours prochains, peut-être auront-ils, avant de mourir, le temps de faire leurs fruits semblables à de minuscules tomates mais noirs, des «tomates du diable». Tomate, Pomme de terre, Morelle noire, ... ce petit air de famille n’est pas étonnant. Elles sont non seulement de la même famille botanique, mais aussi du même genre. La Morelle noire du jardin a des fruits noirs. Un truisme ? Pas tant que cela. Elle peut avoir aussi des fruits jaunes ! Surprenante Morelle noire ! Et qui aurait pu imaginer que cette plante qui fait la timide dans les platebandes de la ville est un véritable Janus.


La morelle noire – Solanum nigrum
Nom

Solanum nigrum L., 1753
Elle appartient à la famille des Solanaceae [Solanacées].

Le nom du genre Solanum viendrait du latin sol, soleil ou bien du verbe solari : je console, allusion aux propriétés narcotiques de nombreuses espèces du genre.
Quant au nom de l’espèce, il est transparent, nigrum, noir est la couleur du fruit.
La morelle noire se dit en allemand Schwarzer Nachtschatten, en anglais, Black nightshade, common, nightshade, garden nightshade ; Zwarte nachtschade en néerlandais.
Elle a aussi beaucoup de nom vernaculaires : Amourette, Tomate du diable, Herbe aux magiciens qui font allusion à son usage en sorcellerie ; Crève-Chien, Tue chien, Raisin de loup qui renvoient à ses propriétés toxiques ; Herbe à gale à ses propriétés médicinales ; Myrtille de jardin sans doute en raison de ses baies qui ressemblent à celles de la Myrtille ; Herbe maure, Morette, Mourelle …

Période de floraison
De Juillet à début décembre et parfois plus tard en hiver. Il n’est pas rare de voir sur la même plante, les fleurs et les fruits à différents stades de maturité.

Description
Thérophyte [annuelle] pouvant atteindre 70 cm, (dans les platebandes, le long des murs et dans les caniveaux, la plante est plus petite), étalée ou dressée. Endozoochore et entomogame.
●Racine fasciculée, mince, blanche, courte.
●Tiges ramifiées, verdâtres souvent teintées de violet foncé, pubescence variable selon les sous-espèces.
●Feuilles simples, alternes, pétiolées, pétiole plus court que le limbe, ovales, subaiguës à acuminées, légèrement ailées vers le limbe, limbe (25 – 100mm x 20 – 70mm) presque glabre, entier à grossièrement denté, nervures secondaires en saillie dans la face inférieure.
●Fleurs monoïques régulières en cyme unipare scorpioïde [en forme de crosse ou de queue de scorpion.] de 3 à 12 éléments, pédoncule de 10 à 30mm de long, pédicelles recourbées, calice campanulé à 5 sépales soudées ; pédoncule, pédicelles, calice à pilosité variable selon les sous-espèces ; corolle gamopétale en tube à cinq lobes  en étoile, blanche (5 – 10mm) ; 5 étamines insérées sur la gorge de la corolle, saillantes, jaunes ; ovaire supère globuleux, d’un diamètre de 1mm.
●Fruits : baies rondes légèrement plus larges que longues à l’aspect de minuscules tomates, (6 – 10 mm de diamètre), d’abord vertes devenant noir violacé à maturité avec de nombreuses graines aplaties (plusieurs dizaines), ovoïdes, blanc crème finement ponctué, jus violacé âcre.
L’espèce est très variable pour ce qui est de la pubescence, la forme des feuilles et la couleur des fruits. On en distinguera donc plusieurs sous espèces. Nous suivrons la taxonomie proposée par Lambinon J. et col. 2008 qui semble la mieux adaptée à nos propres observations.

En France, on trouve deux sous espèces.

S. nigrum, subsp. schultessi (OPIZ) WESSELY dont la tige est couverte, au moins dans sa partie supérieure de longs poils simples et glanduleux, le limbe foliaire d’abord pubescent devient glabrescent, dont l’habitat semble être surtout les zones urbaines. Elle serait une adventice naturalisée.

S. nigrum, subsp. nigrum dont la tige est parsemée, au moins dans sa partie supérieure de poils courts, non glanduleux, plus ou moins épars accompagnés de glandes sessiles, limbe glabre ou presque glabre.
Cette sous-espèce comprend deux variétés qui se distinguent d’après la forme de leur limbe foliaire.

S. nigrum ,subsp. nigrum var. nigrum a un limbe foliaire entier avec de chaque côté de la nervure centrale de 1 à 3 dents peu marquées,
Cette variété présente deux formes :
-- S. nigrum ,subsp. nigrum var. nigrum f. nigrum à fruits noirs,
et
-- S. nigrum ,subsp. nigrum var. nigrum f. chlorocarpum (SPENNER) Lindm. à fruits verdâtres à vert jaune.

La morelle noire – Solanum nigrum
L’autre variété :
S. nigrum ,subsp. nigrum var.atriplicifolium G.F.W. Mey au limbe foliaire sublancéolé, pourvu de 3 à 5 grosses dents bien découpées

présente, elle aussi, deux formes en fonction de la couleur des fruits.
-- S. nigrum ,subsp. nigrum var.atriplicifolium f. atriplicifolium (G.F.W. Mey) WESSELY qui a des fruits noir violet,

-- S. nigrum ,subsp. nigrum var.atriplicifolium f. pallidum WESSELY qui a des fruits verdâtres à vert-jaune.

La forme la plus commune semble être S. nigrum ,subsp. nigrum var. nigrum f. nigrum à fruits noirs tandis que les deux formes à fruits vert-jaune sont les plus rares, voire rarissimes qui peuvent être confondues avec une autre solanacée, Solanum villosum Mill., Morelle velue.

On peut aussi rencontrer, outre S. villosum, d’autres morelles comme S. americanum Mill. 1768 classée parfois comme une sous-espèce de S. nigrum, S. nigrum L. var. nodiflorum A. Gray. Il existe aussi un risque de confusion avec une sud-américaine en expansion devenue subcosmopolite, S. physalifolium Rusby. Elle se reconnait à son calice accrescent [qui continue sa croissance après la floraison], ses baies verdâtres translucides qui contiennent deux granules pierreux. En fleurs, la distinction est difficile à faire notamment avec S. nigrum ,subsp. nigrum var.atriplicifolium.

La Morelle noire et les oiseaux frugivores
La dissémination de la Morelle noire se fait essentiellement par les oiseaux qui consomment ses fruits et rejettent ses graines dans leurs fientes. Cette dissémination est endozoochore. On a recensé au moins 13 espèces de consommateurs. Il s’agit surtout d’oiseaux qui cherchent leur nourriture à terre. Parmi eux, les Pigeons, le Faisan de Colchide, la Corneille noire, le Rougegorge familier, le Merle noir, les Grives, plusieurs espèces de Fauvettes, le Bouvreuil pivoine, etc...(cf. C. Crocq, 2007)

Habitat
La Morelle noire est considérée en Europe comme une « mauvaise herbe » Elle pousse dans les cultures maraichères, les platebandes de fleurs, les cultures sarclées, les jardins. Cosmopolite, elle aime les sols riches en nitrates et bien arrosés. En ville, on la trouve au pied des murs, des arbres, dans les haies et sous les plantations horticoles. Elle prospère jusqu’à 1500 m d’altitude. Son origine exacte est inconnue. Ce serait sans doute une Eurasienne.

Discussion

Perplexité taxonomique
Parmi les genres de la famille des Solanacées, le genre Solanum est le plus important. Il comprend au moins 1500 espèces dans le monde avec des plantes comme la tomate, la pomme de terre, l’aubergine dont l’importance comme légumes et la valeur économique ne sont plus à faire. Dans ce vaste et complexe genre Solanum, la section Solanum est la plus vaste et la plus complexe. Autour de la Morelle noire, Solanum nigrum L., elle regroupe de nombreux taxons qui sont morphologiquement distincts, qui poussent dans différentes régions du monde et ont des habitats et des écologies distincts. C’est sous les tropiques du continent américain que l’on trouve le plus grand nombre d’espèces mais pas Solanum nigrum L. qui semble une espèce d’origine eurasienne. Cette espèce aurait été introduite sur le continent américain (Edmonds, J.M. 1979)
Pourtant, dans les flores régionales anciennes tous les taxons appartenant à la section Solanum sont identifiés comme Solanum nigrum de telle sorte que les références à cette espèce dans la littérature botanique et ethnobotanique doivent être considérées avec beaucoup de prudence. (Edmonds J. M. et Chweya, J.A., 1997).
Les choses se compliquent encore du fait que les botanistes ont varié dans les critères retenus pour distinguer et décrire les différentes espèces de la section entrainant de fréquentes reclassifications. Edmonds et Chweya (o.c., p. 10) estiment à plus de 300 les dénominations spécifiques et infraspécifiques publiées depuis les six variétés décrites par Linné sous le binôme S. nigrum en 1753, de telle sorte qu’il y a de nombreux synonymes. En outre « les limites entre de nombreuses espèces sont mal définies, avec de nombreux « nouveaux » taxons qui se révèlent être rien d’autre que d’infimes variants de ceux déjà décrits » (Ibid. p. 10). A cela il faut ajouter une plasticité phénotypique concernant les dimensions et la forme des feuilles, des tiges et prendre en considération que la pigmentation anthocyanique des fleurs semble dépendante chez certaines espèces de l’intensité de la lumière et de la température. Parfois un même caractère peut être une variation génétique chez une espèce alors qu’il relève d’une plasticité phénotypique chez une autre. Chez Solanum nigrum stricto sensu, selon les populations la marge des feuilles va de entière à dentée en passant par sinuée-dentée et les baies de verdâtre à jaunâtre, à pourpre et noir (voir ci-dessus). Ces variations qui sont génétiques viennent encore rendre les identifications plus difficiles. La Morelle noire, encore un casse-tête pour les botanistes, une plante aux cent visages !
La morelle noire – Solanum nigrum

Toxique ou comestible ?
Dans tous les ouvrages traitant des plantes toxiques comme dans les traités de phytothérapie, la Morelle noire est considérée comme une plante fortement toxique pour l’homme à cause notamment de la solanine, un alcaloïde présent dans les feuilles et dans les baies surtout celles qui n’ont pas atteint leur maturité. Par contre la solanine disparaîtrait dans les baies mûres. Les substances toxiques sont, comme pour la Douce-amère des glucoalcaloïdes et des saponosides [voir article sur la Douce-amère]. Il s’en suit que les symptômes de l’intoxication et les traitements sont identiques à ceux ayant cours dans le cas de cette plante. Cependant il n’y aurait que peu de cas mortels dus à la Morelle noire. Les cas connus sont consécutifs à l’absorption en grande quantité de baies immatures (vertes) par de jeunes enfants (L. Girre 2001, p. 55). Selon A.M. Debelmas et P. Delaveau (1978, p. 134) la dose toxique serait de 4 à 5mg de solanine pour un enfant et de 20 à 25mg pour un adulte. Ces auteurs signalent que la mécanisation de la récolte des petits pois a entrainé la possibilité de trouver dans des conserves de petits pois ou des paquets de petits pois surgelés, des baies vertes de Morelle noire, les modules de diamètre étant voisins.
La tige feuillée est elle aussi considérée comme dangereuse et a été classée au Tableau C de la pharmacopée française en 1965. On trouve une mise en garde sur la dangerosité de la plante dans Valnet 1983, p.370.
Après avoir rapporté des cas avérés d’intoxication par la Morelle noire, Chaumeton et col. 1842 – 1845 (cités par Girre 2001, p. 54) déclarent «Il est désespérant  pour ceux qui recherchent la vérité d’avoir à opposer à ces faits, en apparence très authentiques, des observations et des expériences non moins positives, qui tendent à représenter la Morelle comme dépouillée de toute espèce de qualité narcotiques et délétères. » Telle est encore aujourd’hui la situation. Un siècle et demi plus tard Edmonds et Chweya constatent que « La plupart des espèces associées à Solanum section Solanum sont réputées toxiques à la fois pour les hommes et pour les troupeaux ; beaucoup de descriptions de leurs effets toxiques sont rapportées dans la littérature la plus ancienne. A la vérité, presque tous les manuels sur les plantes toxiques dans toutes les régions du monde incluent S. nigrum. » Après avoir décrit en détail les symptômes de l’empoisonnement chez l’homme et chez le bétail, ils affirment « Néanmoins, le nombre comparable de compte rendus rapportant que ces espèces sont sans danger comme sources de nourriture et de fourrage suggère que cette toxicité est variable. » (p.65) Les alcaloïdes responsables de cette toxicité ne seraient-ils présents que dans les baies non-matures ? Ce serait le cas de certaines des espèces de la section. Selon certains auteurs, par exemple Wetter et Phipps 1978 – 1979, la solanine est présente dans toutes les parties de S. nigrum mais le niveau de concentration augmente avec la croissance de la plante et varie en fonction du type de sol sur lequel pousse la plante et du climat. Tous s’accordent à considérer que cette concentration est maximale dans les baies immatures. Les baies mûres en seraient, sinon dépourvues, du moins en contiendraient peu. Pour une hypothèse explicative de ce phénomène cf.l'article sur la Douce-amère [ICI]. Aujourd’hui encore, une clarification sur cette toxicité est nécessaire.
Mise à part une mention dans La Flore des Champs cultivés de Philippe Jauzein (p. 674) aucun des
La morelle noire – Solanum nigrum

ouvrages en Français récents sur les plantes toxiques et/ou médicinales, grand public ou plus spécialisés comme celui de Debelmas et Delaveau, ne précise que cette plante qu’il donne pour dangereuse ou du moins quelques-unes de ses sous-espèces, sont utilisées, voire cultivées pour l’alimentation humaine en Afrique noire. Ce qui ne manque pas d’étonner : « La morelle noire à feuille larges est cultivée à grande échelle en Afrique subsaharienne dans les petites exploitations et les jardins potagers en périphérie des villes. La morelle noire, parfois nommée « raisin de loup » ou «myrtille des jardins », constitue une bonne source de protéines, de fer, de vitamine A, d’iode et de zinc » selon le CTA, (The Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation) Le CTA est une institution, fondée en 1984, ayant pour but le développement de l’agriculture dans les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). Les feuilles de Morelle noire seraient vendues comme légumes dans les supermarchés de l’Afrique de l’est. Cette «morelle noire à feuille larges» cultivée comme primeur et plante maraichère auCameroun est en fait une autre espèce de la section Solanum, Solanum scabrum Miller, 1768, la Myrtille de jardin, en anglais, Huckleberry, localement Zom. Elle est souvent considérée, peut-être à tort, comme une sous-espèce de Solanum, Solanum nigrum var. guineense. Selon Rudy Schippers (1998, p.2) « Il y a une confusion sur les noms » dans les inventaires du Nigéria, on mentionne souvent S. nodiflorum (= americanum) alors qu’il s’agit plus vraisemblablement de S. scabrum comme espèce cultivée. Néanmoins, S. americanum est aussi une espèce communément cultivée. Nos incertitudes sur la toxicité de la plante dans ce cas proviendraient peut-être en partie de confusions taxonomiques. En partie seulement, car il est des cas bien documentés où ce sont des S. nigrum stricto sensu qui sont utilisées. Alors la Morelle noire, toxique ou comestible ? Les deux, sans doute.

« Légume » ou « mauvaise herbe » ?
Alors que, comme nous venons de le voir, dans certains pays, la Morelle noire et les espèces parentes de la section Solanum sont cultivées ou récoltées comme légumes ou fruits, dans d’autres et notamment en France, en Europe et aux USA elles sont considérées comme des «mauvaises herbes» particulièrement gênantes, classées parmi les plus mauvaises «mauvaises herbes» du monde. Dans les champs cultivés, elles sont des compétiteurs pour l’eau, la lumière et les nutriments. On a vu que les baies vertes pouvaient se retrouver dans des conserves de petits pois ou dans des sacs de petits pois surgelés. Edmonds et Chweya (o.c., p. 63) rapportent que le jus des baies qui éclatent lors des ramassages mécaniques peut contaminer et souiller les récoltes. Ce jus « peut même teinter la laine des moutons lorsqu’ils vont pacager les secteurs infestés après les récoltes». Ces auteurs ont relevé un fait intéressant et significatif : la carte de la distribution des secteurs géographiques où l’espèce est considérée comme une adventice commune, sérieuse ou principale, ne comprend ni l’Afrique, l’Inde, la Malaisie, l’Amérique du Sud qui sont les secteurs géographiques où la Morelle noire est utilisée comme une culture ou une ressource alimentaire d’intérêt secondaire. Alors, la Morelle noire, un fruit et un légume ou mauvaise herbe ? Les deux.

La morelle noire – Solanum nigrum
Bref excursus philosophique.

Les philosophes distinguent parfois entre les qualités premières et les qualités secondes des choses.
Ils appellent, suivant en cela le philosophe anglais John Locke, qualité première les qualités qu’est supposée posséder une chose que nous percevions ou non cette chose, qualité seconde les autres. Bien entendu, s’il leur arrive de s’entendre sur la distinction, les métaphysiciens ont de gros désaccords sur les qualités qui ont le privilège d’être premières et celles qui ne méritent que d’être secondes. Chacun comprendra que les unes et les autres n’ont pas la même consistance. Alors que les premières bénéficient d’une réalité pleine et entière, la réalité des secondes est bien plus évanescente. Elles cessent d’être dès que nous ne percevons plus la chose censée les manifester. Un pas de plus, que certains franchissent rapidement, est de considérer ces qualités secondes comme une sorte d’illusion.
En s’inspirant de cette distinction dans le domaine de la botanique, on pourrait dire que la propriété d’avoir des baies noires est une propriété première alors que celle d’être une « mauvaise herbe » est une propriété seconde qui dépend de notre point de vue sur la plante et n’a pas de réalité en elle-même. La preuve en est qu’une même plante peut à la fois être une « mauvaise » et une « bonne herbe » au sens strict de plante médicinale comme au sens large de médicinale, comestible, et fourragère. Nous venons de le voir avec la Morelle noire, mais c’est le cas de presque toutes les plantes que nous rencontrons sur notre chemin. Le pissenlit par exemple, tour à tour herbe à arracher si elle se trouve sur le bord d’un trottoir, salade agrémentée de croutons frottés à l’ail dans mon assiette, diurétique dans la pharmacie du Bon Dieu. Ce que montre de plus le cas de la Morelle noire, c’est que les propriétés secondes sont surdéterminées culturellement et géographiquement. Et gardons-nous de croire que parce qu’elles sont relatives à un point de vue, ces propriétés n’ont pas de réalité. Elles n’en n’ont parfois que trop, ce qui fait le bonheur des fabricants de pesticides. Cependant, en modifiant les points de vue, il est possible de modifier ces propriétés secondes. C’est par exemple la prise de conscience de la nécessité de vivre avec la plupart de ces plantes qui conduit à disqualifier puis à déréaliser la propriété d’être une « mauvaise herbe » au nom de la sauvegarde de la biodiversité donc de la nature ordinaire, notamment dans les villes.

La morelle noire – Solanum nigrum
Usage

Alimentaire.
Comme indiqué plus haut les feuilles et les baies mûres de la plante ou des plantes de la même section ont un usage alimentaire dans de nombreux pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.
Pour la Morelle noire, Solanum nigrum L. stricto sensu, les usages et les appréciations sont diverses et pas toujours concordantes.
▪ En général les feuilles sont utilisées en légumes comme épinards en Australie, Cameroun, Ethiopie, Nigeria, Somalie, Tanzanie, Ouganda, en Amérique du Sud, voire en Crête et en Grèce. En Grèce, elles peuvent constituer un des légumes des Χόρτα (Horta), salades de légumes cuits abondamment arrosées d’huile d’olive, assaisonnées avec du citron et servies tièdes ou froides avec de la feta.
▪ Déjà dans l’antiquité, chez les grecs, les feuilles et les fruits de la Morelle noire étaient utilisés, les feuilles comme légumes et les fruits comme friandises : « Th. von Heldreich, Die Nutzpflanzen Griechenlands, Athen, 1862, p. 79, atteste qu'en Grèce, à la fin du siècle dernier, on consommait les parties vertes de cette plante comme légume et ses baies crues comme friandises, ce qui confirme parfaitement les dires de Théophraste, H. P. VII, 7, 2 («on mange la morelle même crue») (Amigues Suzanne, 1988, p.167 – 168)
▪ Au Nigéria et au Cameroun, les feuilles sont parfois préférées à d’autres légumes. Les inflorescences et les baies sont enlevées. Elles sont cuites ou bouillies. En général, elles sont bouillies dans plusieurs eaux qui sont jetées à chaque fois. Dans le sud-ouest du Nigeria, les fleurs sont ensuite utilisées comme condiment pour relever la soupe, ces fleurs ayant un goût très amer.
▪ Les fruits sont négligés en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, alors qu’en Amérique du Sud et en Asie, les plants de Myrtilles de Jardin (S. scabrum Miller, Garden Huckleberry) sont sélectionnés pour leurs fruits. (Source, R. Schippers, 1998, p. 11)
▪ Dans l’ouest du Kenya, les feuilles de Solanum nigrum L stricto sensu sont utilisées comme substitut à la viande. Elles sont cuites dans du lait. On presse le produit de cette cuisson et on le laisse sécher quelques jours jusqu’à ce qu’il devienne solide et prenne une couleur noirâtre. On en coupe des tranches réputées riches en protéines que l’on sert avec du manioc accompagné de légumes frais. (Source, R. Schippers, 1998, p. 10) Cette cuisson dans du lait que l’on expulse ensuite doit faire disparaitre les principes toxiques. Pour évacuer ces principes toxiques, une autre méthode est utilisée au Malawi (Sud de l’Afrique) on ajoute de la potasse ou de la soude, de la pâte d’arachide et du sel à l’eau dans laquelle on fait bouillir les feuilles de Morelle noire. La potasse est obtenue en filtrant les cendres de plants d’amarantes ou de haricots. [Thomo and Kwapata (1984) in Edmonds et Chweya (o.c., p. 57)]
▪ Cependant en Ethiopie, les feuilles de Solanum nigrum sont plutôt considérées comme un aliment de secours en période de disette, un légume et des baies sauvages utilisées à différentes périodes de l’année et au différentes étapes du manque d’autres ressources alimentaires (Site Ethiopia : Famine Food Field Guide) On indique sur ce site que les fruits et les feuilles de Morelle noire sont comestibles mais qu’ « en temps normal les baies sont ramassées par les enfants pour eux-mêmes tandis que durant les périodes de manque de nourriture, l’ensemble des gens touchés devront manger de ces baies. En plus de ces baies, les femmes et les enfants collecteront les feuilles qui seront cuites dans de l’eau salée et consommées comme n’importe quel autre légume. Mais les feuilles ont un goût amer. Par conséquent les gens cessent de les consommer quand d’autres aliments deviennent disponibles et que les cultures sont prêtes à être récoltées. Selon les paysans du Kosso, les plants de Solanum nigrum atteignent leur maturité avant que les maïs soient prêts à être moissonnés, ils sont utilisés pour faire la soudure. Si les feuilles de Solanum sont consommées régulièrement plusieurs fois par semaine, ces paysans indiquent qu’ils peuvent développer des douleurs d’estomac. Ces douleurs d’estomac sont causées par les glucoalcaloïdes toxiques solanine et solanidine. » (Trad. fr. JFD) Il n’y a donc aucun doute que pour les auteurs de ce guide, la Morelle noire est un légume de disette qu’il n’est pas question de consommer lorsque d’autres légumes meilleurs et plus sains sont disponibles.
Pour terminer ce chapitre, voici la recette du Sanga.
C’est une recette camerounaise à base de Zom (Morelle noire, Solanum scabrum)
Ingrédients : 3 paquets de Zom, 500g de noix de palme, 2kg de mais frais en épis, sucre, piment.
◊ Détacher les feuilles de Zom de leurs tiges, les découper finement, puis les laver abondamment. Après le lavage, les mettre à cuire dans une casserole couverte et laisser cuire à la vapeur jusqu’à réduction complète de l’eau contenue dans les feuilles.
◊ Laver et égrener le maïs. Verser les grains dans la casserole contenant le Zom ajouter un peu d’eau, le piment et porter à ébullition à feu vif pendant 30 minutes jusqu’à évaporation complète de l’eau.
◊ Faire bouillir les noix, les piler afin d’obtenir leur pulpe. En extraire le jus en mettant la pulpe dans un récipient avec une quantité moyenne d’eau tiède, la pétrir et passer. Ajoutez le jus ainsi obtenu à la préparation et remuer énergiquement la composition à l’aide d’une spatule afin d’obtenir un mélange homogène.
◊ Faire cuire le mélange 20 à 30 minutes en remuant tout le temps pour éviter que le mélange n’adhère à la casserole. Lorsque le mélange devient épais, retirer la casserole du feu et servir.
Vu les incertitudes taxinomiques la question de savoir si une telle préparation serait comestible avec des feuilles de Morelles noires de nos contrées reste ouverte.
On remarquera qu’en Europe, à l’exception peut-être des pays méditerranéens, ce sont surtout les baies qui ont focalisé l’attention. Or, ce sont ces baies qui constituent les parties les plus toxiques de la plante avant qu’elles ne soient mûres. Par contre une fois mûres, elles perdraient cette toxicité et on trouve des sites proposant des recettes à base de ces baies bien mûres récoltées en France. Il semble se dégager des données diverses une constante : bien mûres les baies perdent leur toxicité. Par contre sur la toxicité des feuilles et l’évacuation des poisons par les préparations culinaires, les avis divergent, comme ils divergent sur la valeur nutritive des baies et des feuilles.

La morelle noire – Solanum nigrum
Médicinal

Les vertus médicinales de la Morelle noire lato sensu sont connues depuis la nuit des temps et la plante est utilisée comme bonne herbe dans toutes les contrées où elle pousse. Discorides fut l’un des premiers à consigner et répertorier ces propriétés. On les trouve également recensées par Théophraste dans son ouvrage Recherches sur les plantes (Historia plantarum) Comme indiqué plus haut, elle est inscrite au tableau C de la Pharmacopée française.
Recenser toutes les indications détaillées pour lesquelles cette plante a été utilisée dans le monde ainsi que les préparations et modes d’administration serait fastidieux, tant ils sont nombreux et divers. Ils concordent cependant.
○ En usage externe, elle est employée contre les affections cutanées diverses et variées. Ce dernier usage sous des modalités diverses est universel. Le Docteur Valnet énumère les prurits, parakérastoses, eczémas suintants, prurit anal et vulvaire (1983 p.371) Il ajoute à cette liste les gerçures des seins, les hémorroïdes, les ulcères douloureux, les abcès et les dartres, panaris, furoncles, les contusions. Pour ces traitements externes, il faut, selon cet auteur, utiliser en lavages, bains, compresses, injections vaginales selon les cas, une décoction obtenue à partir d’une poignée de feuilles pour un litre d’eau que l’on laisse bouillir 10 minutes. Le Docteur Valnet ne précise pas s’il s’agit de feuilles fraîches ou séchées. Mais d’autres sources indiquent que les feuilles ne perdent pas leur pouvoir toxique/ médicinal à la dessiccation (Everist 1974, cité par Edmonds et Chweya, o. c., p. 66).
○ La plante possède des propriétés antiseptiques reconnues. On a établi que l’extrait alcoolique des feuilles fraîches est actif contre le staphylocoque doré et le bacille Escherichia coli. (Edmonds et Chweya, o. c., p. 60)
○ En usage interne, la Morelle noire est sédative, analgésique et antispasmodique.
Son utilisation contre les douleurs d’estomac est une des indications majeures de la plante en usage interne dans la phytothérapie française comme dans le reste du monde. Par contre les parties utilisées et les préparations diffèrent selon les régions. Par exemple en Tanzanie, on mange les racines crues, tandis que dans d’autres régions de l’Est africain, ce sont les baies qui sont mâchées et avalées. Le Dr Valnet propose d’utiliser le suc frais à raison de 30 grammes par jour.
○ Les propriétés sédatives et narcotiques sont aussi connues depuis très longtemps partout dans le monde où pousse la Morelle noire lato sensu.
○ Les feuilles fraiches de morelle noire avec celle de la belladone, de la jusquiame, de la nicotine, et du pavot entraient dans la composition du « Baume tranquille » , potion inventée par un moine cordelier au 17ème siècle, François Aignan qui avait comme nom monastique « Père Tranquille » On trouve la formule du Baume dans l’ouvrage de François Laurent Marie Dorvault paru en 1867, une somme de 1499 pages consultable ici
○ Le Dr Valnet indique que le suc de Morelle noire était un ingrédient d’un mélange utilisé au XIIIe siècle comme anesthésique général pour les opérés (o.c., p. 372)
○ En Bohème, on mettait dans les berceaux des bébés des feuilles de Morelle noire pour qu’ils s’endorment plus facilement.
○ Au Kenya des baies immatures sont appliquées sur les gencives des enfants pour calmer la douleur lors de leur poussée dentaire. On les applique aussi sur les dents douloureuses.
Dans les pays arabes le jus extrait des feuilles et mélangé à du vinaigre est utilisé en bain de bouche et gargarisme.
○ Pour calmer la toux dans la coqueluche, on peut l’utiliser en alcoolature selon la posologie de 10 gouttes par année d’âge et par jour (Valnet, 1983)
○ Son action anti-cancéreuse dans certains cancers chez l’homme semble confirmée. Elle a été mise en évidence sur les souris (Cf. Siajo et col, 1982 ; Boik, J. 1996, Amalfi, C. 2006, Ramya Jain et col., 2011) Cette action anticancéreuse et anti-tumorale serait due à la solasonine et à la solamargine. Des pommades à base de solasonine sont proposées comme traitement des cancers de la peau. Un composé des deux principes extraits d’une autre solanacée Solanum linnaeanum Hepper & P.-M.L. Jaeger, 1986 ou Pomme de Sodome est mis au point par une société pharmaceutique australienne.
Parmi les principes actifs responsables des propriétés toxiques/médicinales, on trouve aussi la diosgénine. et la tigogénine. Ces deux substances servent de matière première à l’obtention par l’industrie pharmaceutique des stéroïdes hormonaux utilisés pour fabriquer des pilules anticonceptionnelles et des hormones bio-identiques permettant de contrer certains effets de la ménopause chez la femme et peut-être du vieillissement en général. La disogénine en particulier est un précurseur naturel de la progestérone qui est transformée en cette dernière en laboratoire. La diosgénine est extraite de la patate douce sauvage, l’Igname (Dioscorea sp.) Il serait possible de l’extraire des baies vertes de Solanum nigrum qui en contiennent des pourcentages élevés permettant d’espérer des procédés d’extraction rentables. La Morelle noire viendrait alors concurrencer l’Igname.
Les vertus médicinales de la modeste Morelle noire n’ont peut-être pas fini de nous surprendre. Voilà en tout cas une plante douée d’un beau potentiel qui devrait lui assurer son avenir.

Magie, sorcellerie

La Morelle noire est au moins aussi célèbre comme herbe magique et de sorcellerie qu’elle l’est comme herbe médicinale.
▪C’est une plante qui faisait partie des formules d’onguents dont les sorcières devaient se recouvrir le corps pour aller au sabbat. Si le sabbat n’est pas une pure invention de malheureuses femmes et de pauvres hommes soumis à la torture de l’Inquisition, il semblerait que le pouvoir narcotique

La morelle noire – Solanum nigrum
de la Morelle noire et autres solanacées y soit pour quelque chose. En tous cas, c’était l’opinion dès le XVIe siècle du médecin du pape Jules III, Andrès Laguna. Dans ses commentaires à l’œuvre de Dioscorides, à propos de la Morelle noire, il considère que son utilisation permettait aux sorcières de se rendre au Sabbat en songe. Il raconte que lors d’un voyage à Nancy il assista à un procès où deux vieillard accusés de sorcellerie furent condamnés au bûcher après qu’ils eurent avoués d’abominables méfaits. Chez eux, on trouva une marmite avec un onguent de couleur verte composé de cigüe, de morelle noire et de mandragore. Le Docteur Laguna voulut vérifier leur effet. Une de ses patientes souffrait d’insomnie. Il la fit enduire de la tête aux pieds de cet onguent. Selon ses dires, la femme s’endormit aussitôt profondément et ne se réveilla que trente-cinq heures plus tard en disant « Vous m’avez réveillée à un bien mauvais moment car j’étais entourée de tous les plaisirs et charmes du monde. ». Ensuite, elle se serait adressée à son mari en lui disant : « Radin, je te fais savoir que je t’ai cocufié avec un beau gars plus jeune et plus allongé que toi » (d’après Maria Tausiet Carlès, 1993) Pour Andrès Laguna, les orgies du sabbat n’étaient qu’illusions dues au pouvoir narcotique et stupéfiant des ingrédients des onguents. Ce qui était une opinion très en avance sur son temps.
▪ La Morelle noire fait aussi partie des onguents dont devaient s’enduire ceux qui souhaitaient se transformer en loup-garou. Un moyen simple et paraît-il efficace, était de se mettre nu et de porter une peau de loup à la manière d’un pagne après s’être frotté le corps avec une mixture composée du suc de feuilles, de branches et de bourgeons de peuplier, de feuilles de jusquiame, de morelle noire, de pavot, d’axonge et d’alcool fort selon Aaron Bennett, cité dans un article fort documenté de Wikipédia.
▪ Que la Morelle noire soit une plante diabolique dans le folklore, les croyances populaires et les légendes ne fait aucun doute. Erika Laïs consacre un chapitre à la Morelle noire dans son ouvrage Jardin de sorcières. Le grand livre des plantes magiques. Elle rapporte l’histoire suivante que Claude Seignolle raconte dans son livre Histoire et légendes du diable. Dans un petit village breton s’était installé un drôle de médecin, étrange et étranger. Il ne cherchait guère de clients et semblait s’adonner à des pratiques nocturnes bizarres. Un soir, il avait secouru un tailleur de pierre et s’en revenait à travers une immense lande de morelles noires. Et bien entendu, c’est sur cette lande qu’il rencontra le Diable en personne. Conclut-il un pacte avec lui ? Peut-être, peut-être pas, mais depuis ce jour la clientèle se mit à affluer et lui commença à s’enrichir. Pourtant il ne songeait qu’à une chose : quitter cette région « car ses voyages la nuit, sur la lande à morelles, le faisait frissonner lorsqu’il y songeait, et ses rencontres avec le diable le glaçait d’effroi »
▪ La Morelle noire est l’ingrédient premier d’une encre vénéneuse utilisée pour communiquer avec les défunts, elle est utilisée comme encens dans des rituels invoquant Hécate, Ἑκάτη en tant que déesse de l’ombre et des morts et non en tant que déesse protectrice, qui est liée au culte de la fertilité, qui accorde richesse matérielle et spirituelle, honneur et sagesse. Conductrice des âmes, Hécate est une déesse à deux faces… Hécate fait partie de la Triade Lunaire, avec Séléné et Artémis. Elle représente la nouvelle lune ou lune noire, qui symbolise la mort. C’est la magicienne par excellence, la maîtresse en sorcellerie et c’est elle que l’on invoque avec de l’encens de morelle noire qui doit être toxique et sentir horriblement mauvais, la plante dégageant une odeur fétide. On affirme sur un site consacré à la magie qu’ « une sorcière habile pourrait confectionner une confiture ou une liqueur de baies bien mûres pour les utiliser comme offrandes de communion avec les esprits et les divinités de l’inframonde.»
▪ Il paraît qu'une infusion de ses feuilles aide à révéler les véritables souhaits d'une personne pour le futur. Pour cela, il faudra asperger le liquide sur le corps et tout autour de la pièce. Cette « recette » apparaît de façon récurrente sur les sites et blogs consacrés à la sorcellerie et à la magie blanche ou noire sur la Toile.
Paradoxalement, cette herbe diabolique tressée aurait le pouvoir de chasser les démons et de protéger les hommes et le bétail des agissements malveillants de la sorcière du village que des voisins jaloux ont soudoyée.
On peut se demander si cette réputation vraiment sulfureuse de la plante n’a pas empêché que l’on se penche plus tôt sur ses propriétés nutritives et médicinales et qu’elle soit considérée surtout comme une mauvaise herbe en Europe alors que ce n’est pas le cas en Afrique par exemple.

Références

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Chaumeton, Poiret et Chambert 1842 – 1845, Flore médicale, Panckoucke, Paris.
Crocq C. 2007, Les oiseaux et les baies sauvages, Belin, Paris.
Debelmas, A. M. et Delaveau P. 1978, Guide des plantes dangereuses, Maloine, Paris.
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Everist, S.L. 1974. « Poisonous Plants of Australia », pp. 462-475. Angus and Robertson, Sydney.
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Guillot G., Roché, J-E 2010, Guide des fruits sauvages. Fruits charnus, Belin, Paris.
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Saijo, R., K. Murakami, T. Nohara; A. Tomimatsa, A. Saito, and K. Matsuoka 1982, « Studies on the constituents of Solanum plants II. Constituents of the immature fruits of Solanum nigrum. » Yakugaku Zasshi 102 (3):300-305.
Schippers R. 1998, « Notes on Huckberry, Solanum scabrum, and related black nightshade species » Natural Resources Institute University of Greenwich.
Tausiet Carlès M. 1993, « Le sabbat dans les traités espagnols sur la superstition et la sorcellerie aux XVIème et XVIIème siècles» in Jacques-Chaquin N. et Préaud M. éd., 1993 pp. 259 - 280.
Thomo, M.A. and M.B. Kwapata. 1984, « A survey of indigenous fruits and vegetables in villages around Bunda College of Agriculture » Bunda College of Agriculture Research Bulletin 12:135-167.
Valnet (J.) 1983, Phytothérapie, Masson, «le livre de poche», Paris.

[Traduction fr. des extraits cités : JF D]

Iconographie
Illustrations : de haut en bas; Jacob Sturm:Deutschlands Flora in Abbildungen (1796) ; illustration de la Flore de L'abbé H. Costes Vol. 2 ; D'après la couverture de Edmonds, J. M. and Chweya J. A. 1997 (W. Curtis, Flora Londinsis, (1777) ; Albert Joseph Pénot : Départ pour le sabbat.
Photographies : Exceptée celle due à Sahara nature, elles sont extraites d'un travail de Harald Hubich consultable sur Wikipedia commons

Vendredi 13 Janvier 2012 Commentaires (18)

Dans le Monde du 24 novembre 2011, on pouvait lire en sous-titre d’un article consacré à la Conférence de Durban sur le climat que « des experts mettent en garde contre un emballement climatique ». Le 1 décembre, le sous-titre de l’article consacré au bilan météorologique de l’année écoulée affirmait «  Les treize années les plus chaudes jamais mesurées sont toutes postérieures à 1996. Celle qui s’achève se classe au dixième rang, malgré l’effet d’une forte Niña. » Le réchauffement climatique s’accélère-t-il en même temps que la concentration de CO2 dans l’atmosphère ne cesse de s’accroître ? Ce n’est pas certain du tout. Mais c’est bien ce que voudraient nous faire croire les deux journalistes du Monde, quitte à interpréter les données de manière plutôt tendancieuses, données qu’ils fournissent eux-mêmes. Ce journal est du côté des « réchauffistes » comme la plupart de ses confrères. Se contentent-ils tous de répéter sans esprit critique le prêt-à-penser que leur livrent les Gourous du GIEC ou de l’OMM ou sont-ils réellement convaincus ? Ou bien encore trop sensibles à l’argument d’autorité : les experts sont experts en la matière dont-ils sont les experts ! N’est-ce pas ? Mais pourquoi donc est-il si iconoclaste de douter alors que les données sont ambigües et leur interprétation sujet à controverse ?


Des Cassandres peu écoutées…

Les sommets sur le Climat se suivent et se ressemblent dans leur incapacité notoire à prendre des décisions concrètes et contraignantes pour « limiter les gaz à effet de serre ». Même les pays qui s’y sont engagés n’ont pas atteint leurs objectifs. Bref, les Terriens continuent de rejeter dans l’atmosphère du CO2. C’est le cas de tous les pays, mais plus encore des pays développés et de ceux qui cherchent à les rattraper à marche forcée. Selon l’OMM, la concentration de CO2 dans l’atmosphère a augmenté de 2,3 ppm (partie par million) en 2010 atteignant la concentration record de 389 ppm. Dans tous les scénarios concoctés par les experts de l’AIEA publiés le 9 novembre 2011 ou du PNUE publié le 23 novembre 2011, la courbe de ces rejets est linéaire et présente une pente ascendante plus ou moins accusée selon que la tendance actuelle se poursuit ou que l’on réussit à la freiner. Ils prédisent un emballement climatique irréversible, catastrophique et dangereux pour le XXIe siècle. Plus alarmistes que jamais, ils assurent qu’il ne reste que quelques années – 5 ans – pour agir, après il sera trop tard.

… d’autant plus alarmistes que leurs boules de cristal se brouillent !

L’alarmisme des experts semble directement proportionnel aux difficultés que rencontrent leurs postulats de base. Ne parlons même pas de ceux qui contestent la notion de réchauffement global. On supposera qu’elle a un sens, au moins pour les besoins de la discussion. La concentration en CO2 continuant de croître, le réchauffement climatique devrait faire que chaque année soit plus chaude que la précédente pour que la courbe conserve une allure semblable à celle qu’elle avait dans la décennie 1980 – 1990 et 1990 – 2000. Nous savons déjà que cela n’est pas le cas que la courbe semble avoir atteint un plateau et que le réchauffement est en panne depuis près de 10 ans maintenant. En tout cas, l’année 2011 n’est qu’à la dixième place des années les plus chaudes jamais mesurées. La dixième alors qu’elle devrait être la première !

Heureusement l’OMM a trouvé l’explication : c’est la faute à la Niña. Et Le Monde se fend d’un beau graphique montrant l’évolution de températures moyennes depuis 1950 qu’il titre « 2011, l’année à Niña la plus chaude ». Et voilà, 2011 n’est pas l’année la plus chaude, c’est l’année à Niña la plus chaude ! Il fallait y penser… D’autant que si le journaliste rappelle que 2010 est l’année la plus chaude à avoir été mesurée, il oublie de dire que 2010 fut une année à Niño (il produit des effets inverses à la Niña) et que 2010 n’a dépassé que de très peu 1998 qui fut particulièrement chaude. Le graphique du Monde montre de façon criante la fameuse « pause » sous la forme d’un plateau après 1998. C’est cette « pause » dans le réchauffement qui met à mal les prédictions du GIEC et des experts associés. Mais évidemment, le journaliste n’y fait même pas allusion. Dans le déni de réalité lorsque cette réalité est dérangeante, la seule presse qui réussit à faire un peu mieux – mais guère, ce sont les journaux et magazines des collectivités territoriales, Conseils généraux, régions, communes, communautés diverses et variées.

De toute façon, parole de climatologue, il faut raisonner en tendance. Selon l’OMM, citée, Ô ironie, dans l’article du Monde du 1 décembre : « La température moyenne de la décennie 2002 – 2011, supérieure à la normale de 0, 46°C, est la plus élevée jamais constatée pour une période de dix ans, à égalité avec la décennie 2001 – 2010 » (souligné par moi, JFD) En d’autre termes, sur ces deux décennies en cause la température n’a pas augmentée. Faudra-t-il attendre encore dix ans avant de reconnaître qu’il y a un problème de corrélation entre l’augmentation de la concentration de C02 dans l’atmosphère et l’évolution de la température moyenne du globe ? Cela est très gênant puisque dans cinq ans au plus tard, il faut avoir pris des mesures drastiques selon les Cassandres du GIEC ! Pour l’instant, il semble que la pause dans le réchauffement perdure et cela est en contradiction avec les prédictions catastrophiques du GIEC et remet en question la cause qu’il attribue au réchauffement climatique, l’augmentation de la concentration de CO2 anthropique dans l’atmosphère. Depuis onze ans la température moyenne a cessé de croître alors que les émissions anthropiques de C02 n’ont pas cessé d’augmenter. Mais il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ! Pourquoi ne porte-t-on pas honnêtement sur la place publique la question de savoir d’où provient ce manque de corrélation ? Pourquoi ne pas vouloir envisager que, peut-être, les émissions anthropiques de C02 ne jouent qu’à la marge des changements climatiques en cours ?

Quelles sont donc les raisons de ce surprenant déni de réalité ?

On peut en énoncer trois assez triviales : la première est que les climatologues ont trop joué les gourous pour se dédire ou seulement admettre en public le doute sur leurs prédictions, des prédictions à un siècle ! Les Gourous et les voyantes ne se trompent pas et ne changent pas d’avis. Les experts non plus d’ailleurs. L’ennui, c’est que les avis de ces derniers diffèrent souvent.
La seconde, c’est que l’AIEA dans le monde, le CEA, AREVA, EDF, etc. en France ont saisi cette théorie du réchauffement climatique d’origine anthropique comme argument de promotion de l’énergie d’origine nucléaire, de l’électricité soit disant « décarbonée », une innovation linguistique et un gros mensonge de leurs services de communication. Car s’il est vrai qu’une centrale nucléaire, une fois construite et approvisionnée en uranium, ne produit pas de CO2, cela cesse d’être vrai si l’on considère, comme on doit le faire, l’ensemble du process de l’extraction du minerai, son raffinement, son transport depuis l’Afrique ou le Canada, la construction de l’usine, des chaudières jusqu’au démantèlement des installations en fin de vie, démantèlement que l’on ne sait d’ailleurs pas faire… La nucléocratie française dont la puissance de lobbying politique est inégalée et dont les positions sont stratégiques dans les instances de la Recherche scientifique ou médicale française a instrumentalisé cette théorie du réchauffement climatique d’origine anthropique pour promouvoir le nucléaire. En France, cela a bien fonctionné et l’on a vu le président de la République, le VRP du nucléaire français à l’étranger, défendre de façon véhémente la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il n’était pas devenu écologiste pour autant… Non, il voulait vendre ses chaudrons de l’enfer à l’étranger. Dans le monde, grâce à l’AIEA, la promotion du nucléaire pour lutter contre l’effet de serre commençait à porter ses fruits et on assistait naguère à un réveil de cette industrie mortifère, réveil que l’accident de Fukushima a stoppé net.
En France, ces deux raisons de l’intangibilité du dogme du réchauffement climatique causé par les émissions de CO2 d’origine anthropique se cumulent.
Les Gourous français de la climatologie, Jean Jouzel, Valérie Masson-Delmotte travaillent directement ou indirectement dans des Instituts ou organismes de recherche liés au CEA. L’ancienne directrice d’Areva conseillait aux écologistes qui s’opposaient au transport de déchets radioactifs de s’occuper plutôt du réchauffement climatique. De même d’ailleurs et à l’inverse, les sceptiques aux USA ont leurs travaux sponsorisés ou financés par l’industrie pétrolière. Il ne s’agit pas, comme on le fait trop souvent, de dire que ces chercheurs sont vendus mais de constater que si leurs programmes de recherche et les résultats éventuels attendus étaient nuisibles à l’industrie qui les finance, celle-ci cesserait de le faire.
La troisième raison est l’adhésion non critique de beaucoup d’écologistes, au moins en France, à cette théorie de l’origine anthropique du réchauffement climatique. Ils y trouvent un argument de poids en faveur des changements dans les modes de vivre, de consommer et de se déplacer qu’ils promeuvent depuis toujours avec la recherche des économies d’énergie, la substitution des énergies renouvelables dites « douces » au charbon et au pétrole polluants dont les stocks sont limités, mais avec le risque de se trouver aussi en porte-à-faux dans leur rejet d’un nucléaire qui a réussi à se faire passer comme une énergie « décarbonée », cette énergie qui avait séduit un temps Nicolas Hulot et son équipe.
Ces écologistes attaquent les méchants pétroliers qui sponsorisent les recherches des « climato-sceptiques » mais cela ne les gênent pas d’avoir des alliés comme le CEA et Areva pour pourfendre ce « climato-scepticisme » défendu aussi par des chercheurs de renom, comme Marcel Leroux, malheureusement décédé en 2008. C’était pourtant un chercheur que les écologistes « réchauffistes » fanatiques auraient été bien inspirés d’écouter. Il leur aurait peut-être ouvert l’esprit et instillé une dose salutaire d’esprit critique. D’autant que ce chercheur avait un profil qui aurait dû leur plaire. Indépendant par rapport à tous les lobbies, il était professeur émérite de climatologie à l'Université Jean-Moulin de Lyon et directeur du Laboratoire de climatologie de cette université. Mais malheureusement, Marcel Leroux était bien moins médiatique et médiatisé que Jean Jouzel. Ses études sur les anticyclones mobiles polaires sont bien moins vulgarisables et moins people que la théorie de «  l’effet de serre » que tout le monde croit comprendre. En plus, elles ne permettent pas d’affirmer que le ciel nous tombera (ou ne nous tombera pas) demain sur la tête si nous ne changeons pas de conduite et n’adoptons pas des modes de produire, de consommer et de se déplacer plus respectueux de l’environnement, de la nature, des limites de sa capacité à se régénérer et des limites de la planète. Elles ne permettent pas non plus de vilipender l’incurie des gouvernements en place et de se poser face à eux en sauveurs de l’humanité pour convaincre les électeurs et obtenir leurs voix. Bref, la théorie du réchauffement climatique causée par des émissions anthropiques de gaz à effet de serre fait bien leur affaire comme elle fait bien aussi celle des nucléocrates. Le plus curieux c’est que personne parmi ces écologistes ne trouve bizarre cette alliance de fait avec les chercheurs du CEA et les propagandistes d’Areva. Elle est pourtant fondamentalement contre-nature car l’industrie nucléaire civile n’est pas une menace hypothétique dans un avenir mal défini, c’est une menace actuelle et bien réelle contre la vie et ses conditions même de perpétuation. Il y a donc, peut-être, une quatrième raison plus profonde que des raisons de boutique qui fait que cette théorie séduit tant de monde.

Le nouveau visage de Prométhée

Pour la mettre en lumière, nous allons supposer – je dis bien supposer – que les variations climatiques du siècle dernier et du début de ce siècle sont indépendantes des activités humaines. Supposons qu’elles aient des causes cosmiques. Dans ce cas que pourrions faire d’autre que de les subir et tenter de nous y adapter comme tenteront de le faire tous les autres êtres vivants quelle que soit leurs causes ? Combien présomptueux se révélerait l’objectif des sommets mondiaux d’agir sur ces changements et de « réorienter la machine climatique » ! Présomptueux également les objectifs des « agendas 21 » et autres « plans climat » de « lutter contre le changement climatique »… Nous ne pourrions rien faire, ne rien changer au cours des événements. Dans une telle perspective nous serions renvoyés à notre impuissance de minuscules parasites d’une petite boule ne tournant pas très rond dans l’infini de l’Univers. Du point de vue de Sirius que cette hypothèse nous forcerait à adopter, nous ne sommes guère plus importants que les insectes écrasés sur le pare-brise d’une automobile par une chaude soirée de printemps. La Terre se débarrasse de notre espèce prédatrice de ses richesses d’un haussement d’épaule, pardon de température, indifférent comme nous écrasons d’une tape négligente le moustique qui nous importune.
Il faut reconnaître que la plupart d’entre nous manquent trop d’humilité pour accepter une telle image, sinon d’eux-mêmes, du moins de leur espèce. Cette hypothèse froisse l’arrogance prométhéenne de la civilisation occidentale tandis que l’hypothèse d’un changement climatique provoqué par les activités humaines est en parfaite harmonie avec cette arrogance et la flatte. Nous, nos activités, notre industrie, notre technologie ont été assez puissants pour entrainer des modifications globales à l’échelle de la Planète entière dont nous devenons responsables. Nos activités, notre industrie, notre technologie, notre inventivité nous permet de réorienter la machine climatique pour contenir le réchauffement dans les limites que nous avons décidées. En tout cas nous en sommes capables et si nous ne le faisons pas, ce sera parce que nous ne l’aurons pas voulu. Nous pouvons le faire et continuer de produire et de nous reproduire sans limite parce que nous serons assez astucieux pour ne compromettre de façon irrémédiable (pour nous et nous seuls, les hommes) ni les équilibres vitaux, ni un environnement que nous savons déjà restaurer ; parce que nous sommes maîtres et possesseurs d’une Nature que nous modifions selon nos goûts et nos humeurs : c’est le développement durable. Et le développement durable n’est en fin de compte rien d’autre que le rêve (ou le cauchemar) d’une croissance infinie et d’une appropriation totale en vue d’une exploitation intelligente d’une planète réduite à n’être que notre jardin, celui de l’homo sapiens sapiens triomphant à tout jamais.
Telle serait la raison profonde du refus de discuter la thèse « majoritaire » sur l’évolution du climat : l’arrogance prométhéenne de l’homme occidental qui revêt ici une figure assez inattendue.

De même que le productivisme était au siècle dernier l’horizon indépassable des idéologies de droite et de gauche, ce développement durable est devenu l’idéologie indépassable de tous les acteurs ayant un pignon, petit ou grand, sur la scène politique. Face à aux forces qu’ils incarnent, il faut construire une autre écologie non prométhéenne, radicale, une écologie qui n’est qu’un retour à l’une de ses formes que le développement des écologies superficielles, réformistes et environnementalistes ont étouffée ; une écologie qui prend le parti de la nature sur la culture, du sauvage sur le civilisé pour sauver la culture et ses civilisations. Les chemins pour y parvenir sont multiples. L’un d’entre eux, mais ce n’est pas le seul, est de pousser l’écologie superficielle jusqu’à ses extrêmes limites pour les mettre en évidence et être à même de les surmonter.
Dans la pratique, les mesures que les «agendas 21» ou les «plans climat» préconisent sont des mesures qui, à l’exception de celles qui promouvraient le nucléaire, doivent être mises en œuvre de toute façon pour de multiples autres raisons que la « réorientation de la machine climatique », la première de ces raisons étant l’épuisement inéluctable des stocks d’énergie fossile ou minérale. Cette raison-là est impérative, reconnue non seulement par l’ensemble de la galaxie écologiste mais aussi par les constructeurs automobiles qui cherchent fébrilement de nouvelles motorisations qui soient aussi souples, pratiques et puissantes que le moteur thermique à essence ou bien encore par les émirats arabes qui anticipent l’épuisement de leurs gisements pétroliers. L’urgence est bien de passer d’une « énergie de stock » à une « énergie de flux », cette dernière expression étant préférable à celles d’ «énergie douce » ou d’énergie « renouvelable » qui véhiculent des connotations pour le moins trompeuses et dangereuses. En effet, si ces formes d’énergie sont douces et renouvelables, il n’y aura plus de raison de se priver. Dans l’apologie non critique des énergies renouvelables, qui du coup deviennent inépuisables, se cachent trop souvent la démesure et l’arrogance de la civilisation occidentale, son appétit insatiable de cette énergie sur laquelle elle repose, son incapacité à se fixer à elle-même des limites. La hauteur démesurée des mats des nouvelles éoliennes alignées à perte de vue le long d’une autoroute en est, tout à la fois, l’évident symbole et l’hideuse concrétisation.
Et c’est bien là en effet que se trouve le nouveau point de clivage entre les écologistes, en tout cas les écologistes radicaux et les thuriféraires du développement durable : la nécessité physique et morale d’une société de sobriété et notamment de sobriété énergétique, d’une société du « suffisant » et de l’autolimitation des « besoins ».

Dimanche 8 Janvier 2012 Commentaires (2)

L’arrêté vient d’être publié au JO du 24 décembre. Les chasseurs peuvent dire merci à la Ministre NKM. Elle leur a fait un beau cadeau, un de plus, pour le jour de Noël.


Un cadeau de Noël pour les chasseurs : ils pourront tuer des bernaches du Canada !
Comme le dit justement David Joly, vice-Président du CVN, sous ses airs de Sainte Nitouche, elle a obtenu la peau de l’ours dans les Pyrénées, du loup dans les Alpes, les plumes du Tétras Lyre et maintenant celles de la Bernache du Canada. Elle a assez nui comme cela. Il est temps qu’elle dégage avec tous ceux qui nous gouvernent aujourd’hui… Après tout, c’est aux électeurs de réguler les politiques. Il y a un moyen pour cela, il s’appelle « élection » assortie d’une explication de vote pour ceux d’entre eux qui n’auraient pas compris, explication de vote sonnant comme un avertissement pour leurs successeurs qui ne valent peut-être pas plus cher mais qui n’aimeraient pas être remerciés dès que l’occasion se présenterait.

L’issue de la consultation publique sur le classement de la bernache du Canada comme espèce chassable était prévisible quoi que l’on ait pu dire ou signer lors de la consultation nationale puisque NKM avait déjà indiqué aux chasseurs quelle serait sa décision. Pour les autres, c’est-à-dire la plupart des Français qui en ont marre de se trouver face à ces dangereux Rambos lorsqu’ils se balladent, font du vélo ou ramassent des champignons, pour ceux qui en ont marre de ces tueries d’animaux sauvages, c’est « Cause toujours, tu m’intéresses ! » Le communiqué de presse reprend toutes les contre-vérités concernant la bernache du Canada que l’on avait dénoncées ici. Pire, il reprend le prétexte fallacieux de régulation pour autoriser cette chasse six mois par an alors que d’autres méthodes étaient possibles à supposer qu’elles eussent été nécessaires. Il consacre les chasseurs dans le rôle usurpé de « protecteur de la nature » et de la biodiversité.

Ces oies forment des couples unis pour la vie, ni NKM, ni les fonctionnaires technocrates de son ministère ne s’en sont inquiètés, pas plus qu’ils ne s’apitoieront sur le sort de l’oie dont le compagnon ou la compagne aura été tué par un viandeur.
Verra-t-on bientôt sur les étals des marchands de volailles, des bernaches du Canada proposées à des chalands inconscients en mal d’exotisme culinaire ? En tout cas ces pauvres oies sauvages pourront remplacer la dinde de Noël chez les chasseurs qui n’auront même pas besoin d’être adroits tant elles sont une cible facile. Et s’ils en manquent une, ils auront toujours l’occasion d’en trouver une autre au cours des six mois que va durer cette chasse. Faut-il baisser les bras ?

Non, il faut repartir au combat. Il circule en ce moment une pétition pour l’abolition de la chasse sous forme de lettre à NKM, texte remarquable dans lequel tout est dit et bien dit. Plus nous serons à la signer et plus NKM verra qu’en prenant fait et cause contre les braillards de chasseurs, elle n’a pas fait le bon choix… pour sa carrière politique.

Voici le texte de la pétition et le lien pour la signer.

PETITION POUR L’ABOLITION DE LA CHASSE SOUS TOUTES SES FORMES

À l’attention de Mme Nathalie KOCSUSKO-MORIZET,
Ministre de l'Écologie et du Développement durable
Madame Le Ministre,

- Je refuse la guerre menée six mois par an dans les campagnes et les forêts de France contre les animaux sauvages.
- Je refuse que 1,7% de la population s’octroient le droit de mort sur des êtres sensibles sans aucune nécessité vitale et pour le seul loisir des chasseurs, je refuse que chaque année, 30 millions d'animaux soient tués pour la seule satisfaction de leurs pulsions. Ce chiffre ne prend en compte que les animaux tués au fusil. Des milliers d’autres animaux succombent par d’autres méthodes (piégeage, déterrage, chasse à courre, chasse avec engins divers) auquel il faut ajouter nombre d'animaux blessés non retrouvés (souvent non recherchés. (source ROC)
- Je refuse le fallacieux prétexte de « régulation de la faune sauvage » avancé par les fédérations de chasse alors que 15 millions d’animaux d’élevage sont lâchés chaque année pour contenter les tireurs.
- Je refuse l’hypocrisie de l'étiquette « protection de la nature » alors que la chasse est reconnue coupable d’innombrables dégradations des espaces naturels, de graves perturbations de la vie sauvage, de la disparition de plusieurs espèces, alors que les chasseurs se font une gloire de tuer les plus beaux spécimens, privant ainsi les espèces de ses meilleurs reproducteurs, alors que toutes les actions « d'entretien» des fédérations de chasse ne visent qu’à favoriser la prolifération de « leur » gibier.
- Je refuse ce total non-sens biologique qui consiste à considérer « nuisibles » certaines espèces.
- Je refuse les mensonges sur les comptages des spécimens, comptages dont les systématiques conclusions sont la nécessité de tuer.
- Je refuse ces pratiques de « pompiers pyromanes » démontrées et dénoncées par les associations de protections des animaux (RAC, ASPAS, CVN…) et qui consistent à favoriser la prolifération des sangliers pour prétexter ensuite leur surnombre et faire accepter leur massacre au motif de la protection des populations et des cultures.
- Je refuse la guerre menée sournoisement contre les grands prédateurs (ours, loups, lynx...), dont les statuts de protection sont sans cesse bafoués. Je refuse ces massacres dont le seul véritable motif est l'intérêt des chasseurs à ne pas voir s'installer une "concurrence" naturelle.
- Je refuse le calvaire de ces animaux traqués, affolés, arrachés à leur vie dans la douleur des chairs déchirées et des os broyés par les balles, déchiquetés par les chiens déterreurs ou laissés blessés, mourir dans de lentes agonies. Pas une seule des diverses formes de chasse n'est exempte de cruauté.
- Je refuse cette ignominie qui consiste à provoquer par plaisir la souffrance et la mort d’êtres sensibles (et reconnus comme tels par le Code rural, art L 214).
- Je refuse l’agonie dans les nids et les terriers des portées affamées parce que la mère nourricière s’est fait tuer.
- Je refuse un loisir qui chaque année, blesse et tue des personnes totalement étrangères à sa pratique - cavaliers, promeneurs, cyclistes, automobilistes, ramasseurs de champignons… Les « accidents de chasse » provoquent en moyenne 170 blessés déclarés et 30 morts par an.
- Je refuse les innombrables nuisances que la chasse impose aux non-chasseurs : stress généré par les tirs entendus à longueur de semaines en zones rurales, péri-urbaines et forestières, insécurité (un sondage IFOP de février 2011 fait apparaître la chasse comme la première des nuisances rencontrés par les promeneurs), impacts de balles sur nos maisons et véhicules, stress lié aux risques de « balles perdus », y compris chez nous....
- Je refuse ces lois qui autorisent les chiens de chasse à pénétrer sur des propriétés privées, à perturber nos animaux domestiques, à affoler nos animaux de ferme, à dégrader les cultures, en toute légalité.
- Je refuse de voir souffrir et mourir nos animaux familiers, fréquentes « victimes collatérales » des pièges, appâts empoisonnés, « balles perdues », chasseurs en manque de cibles ou tuant délibérément nos chats considérés comme « concurrents » pour « leur » petit gibier...
- Je refuse de voir six mois par an les semeurs de mort s'approprier la nature et y faire régner leur loi, au mépris non seulement de la souffrance des animaux, mais au mépris également de la souffrance morale que leur divertissement représente pour les personnes sensibles à la détresse animale.
- Je refuse de laisser les cris des tueurs, leurs coups de feu, leurs chiens surexcités violer ma conscience de la valeur de la Vie et mon sens profond du respect des êtres sensibles.
- Je refuse que nos représentants politiques restent sourds aux 87% de Français conscients de la nécessité de protéger la faune sauvage (Sondage Sofres 2011).
- Je refuse que pour des motifs électoralistes et par intérêt personnel, nos Politiques accordent au lobby de la chasse des droits et des prérogatives régaliens (multiplication des lois pro-chasse, légalisation de la propagande des fédérations de chasse auprès des jeunes, défiscalisation des chasses commerciales, niches fiscales, dérogations à la législation européenne, etc.)
- Je refuse que dans cette société dont l’expansion économique ne laisse plus de place à la vie sauvage, les solutions pacifiques proposées par les Associations de protection de la nature pour favoriser une cohabitation harmonieuse entre humains et animaux ne soient pas entendues.


Madame le Ministre,

Parce que la chasse est un préjudice considérable pour les équilibres naturels, parce que les animaux ne sont pas des jouets pour humains assoiffés de pouvoir mortifère, parce que chasser est un loisir violent et dangereux également pour les non-pratiquants, parce qu’elle prive de leur liberté de jouir paisiblement de la nature et de sa vie sauvage les usagers pacifiques, parce la pratique de la mort-loisir est inacceptable d'un point de vue éthique, parce que la société du XXIe siècle ne saurait se construire dans le déni du droit à la vie et au respect de tous les êtres sensibles,

je demande que la chasse, loisir de souffrance et de mort, soit abolie.

Pour signer cette lettre pétition cliquer ici : <a href;





Lundi 2 Janvier 2012 Commentaires (1)

Il ne faut pas rêver, même si tous les élevages en batterie se mettaient aux normes qui s’appliqueront dès le 1 janvier 2011, ce ne serait pas Byzance pour autant… Les pauvres poules élevées en cage continueront de mener une vie misérable dans un univers que, bien qu’il s’agisse d’animaux d’élevage, je qualifierai de carcéral, pour ne pas dire plus. Il faut interdire l’élevage en batterie des poules pondeuses. C’est la seule solution humaine.


Palace quatre étoiles pour les poules pondeuses à partir du 1 Janvier 2012 ?
Pas encore de quoi chanter, les cocottes…

Au 1er janvier 2012, l'ensemble des élevages européens de poules pondeuses devront respecter de nouvelles normes fixées par la directive sur la protection des poules pondeuses adoptée en 1999. Actuellement, les poules disposent d'une surface équivalente à une feuille de format A4 (550 cm² par poule) et, à partir du 1er janvier 2012, elles disposeront d’une surface de 750cm2, soit 200cm2 supplémentaires, l’équivalent d’un peu plus de deux tickets de métro. Chaque poule devra disposer d’une mangeoire d’au moins (dans les faits, ce sera au plus) de 12 cm de long, d’un nid, d’une litière permettant le picotage et le grattage, d’un perchoir, d’un dispositif pour raccourcir leurs griffes et de l’accès à un abreuvoir. Mais toujours pas de sorties au grand air, ni de Chantecler…
Au vu des résultats de l'enquête menée par l’association L214 il s'avère que les aménagements, quand ils sont en place – ce qui n’est jamais le cas pour la litière – ne correspondent pas aux définitions communes des mots tels qu'on les utilise habituellement. Le "nid" est constitué par des lamelles de plastique qui pendent du plafond sur un sol grillagé. Le perchoir est constitué par une baguette suspendue à 3cm au fond de la cage. Un bout de papier de verre collé dans un coin de la cage fait office de raccourcisseur de griffes...

Leur vie reste misérable …

Sur les images de la vidéo tournée par cette association, on peut voir, quelles que soient les normes appliquées, des poules entassées dans des cages, sans accès à l'extérieur, déplumées, leurs crêtes tombantes, leurs becs épointés et des cadavres bloquant des œufs. On y constate le sol grillagé inconfortable et les bâtiments gigantesques abritant des empilements de cages alignées sur des centaines de mètres de long.
Les poules pondeuses resteront pendant 1 an dans cette promiscuité, dans l'impossibilité d'exprimer la plupart de leurs comportements naturels (gratter le sol, construire des nids, prendre des bains de poussière, etc.) avant d'être transportées à l'abattoir.

… et se conclut par une fin indigne !

Si au bout de 68 semaines elles sont encore vivantes, les poules sont entassées dans des caisses. Le ramassage, effectué à toute vitesse par des travailleurs recrutés pour l’occasion, se fait rarement en douceur. Il occasionne souvent des fractures aux pattes.
Vient alors le parfois long supplice du transport jusqu’à un abattoir qui peut être très éloigné car choisi en fonction du «cours de la poule de réforme » le plus avantageux qui ne dépasse d’ailleurs rarement plus de 15 centimes d’euros par tête. A leur arrivée, elles sont suspendues la tête en bas à des crochets sur une chaine automatiques, tuées par immersion dans un bain à électronarcose, saignées, déplumées, éviscérées puis conditionnées pour la consommation… Bon appétit !
Toutes les pondeuses terminent ainsi leur vie, qu’elles aient été élevées en cage, en plein air ou aient picoré bio. Mais au moins ces dernières auront eu une vie plus agréable.

Ne pas acheter d’œufs de batterie, c’est facile !

Il suffit de se souvenir de la signification du code indiqué sur la boite et sur chaque œuf conformément aux directives européennes.
Sur la première ligne apparait au début de la ligne un chiffre. S’il s’agit du chiffre 3, cela signifie que la poule qui l’a pondu est en cage. Vous ne l’achèterez donc pas.
S’il s’agit du chiffre 2, la poule ne verra pas la lumière du jour au cours de sa brève existence. Elle est dans un élevage au sol mais sans accès à l’extérieur. Vous éviterez aussi de l’acheter si vous êtes soucieux du bien-être des animaux d’élevage.
Le chiffre 1 réfère à un élevage en plein air, c’est-à-dire au sol avec accès à l’extérieur. Le chiffre 0 est le code pour un élevage biologique. Si vous achetez des œufs et que vous êtes soucieux du confort des poules qui les ont pondus, votre choix se portera sur ces deux dernières catégories.
A la suite du code du type d’élevage figure le pays de production en général FR puisqu’ils sont le plus souvent pondus en France. Mais pas toujours ! Enfin terminant la ligne il y a le code d’identification de l’élevage.
Vous achetez vos œufs sur un marché où ils sont vendus en vrac ? Méfiez-vous quand même. Chaque œuf doit être marqué individuellement comme indiqué. Vérifiez et vous aurez peut-être de mauvaises surprises.
Si vous découvrez des 3 ou beaucoup de 2 sur les œufs en vente dans votre supermarché, indiquez donc par écrit au directeur votre mécontentement, rédigez un message sur le livre des réclamations ou glissez ce message argumenté dans la boite à suggestion du magasin...

Pour l’interdiction de l’élevage des poules pondeuses en cage, c’est le moment d’agir !

Il reste qu’il y a tout un secteur où l’on ne peut guère agir en tant que consommateur votant avec son porte-monnaie. C’est celui des «œufs cachés», c’est-à-dire des œufs utilisés en pâtisserie, pour fabriquer des pâtes et de façon générale dans la fabrication de produits alimentaires. On ne pense pas toujours aux ingrédients qui ont servi à leur préparation et on en ignore souvent l’origine, sauf lorsqu’elle est indiquée sur l’emballage. En général et sauf mention, les œufs qu’ils contiennent sont pondus par des poules élevées en cage.
Enfin lorsque vous allez au restaurant ou à l’hôtel, vous ne savez pas comment sont traitées les poules dont vous mangez les œufs.
La modification des normes de détention des poules ne changera presque rien au sort indigne qui leur est fait lorsqu’elles sont élevées en cage. Son seul intérêt est de donner l’occasion de mettre en lumière la barbarie et la cruauté d’un tel mode d’élevage et de demander son abandon.
La nouvelle réglementation va imposer aux éleveurs des investissements conséquents même si la vie de l’animal ne sera guère améliorée. Même si cet investissement est financé en partie par des aides publiques, il risque d’alourdir encore l’endettement de certains de ces éleveurs. De plus, une fois cet investissement réalisé, l’éleveur voudra le rentabiliser. Il deviendra donc l’argument d’une opposition forte à la suppression de ce type d’élevage.
Plutôt que de modifier leurs installations et de s’endetter dans l’achat d’un nouveau matériel pour un mode d’élevage qui n’a pas d’avenir, les éleveurs devraient modifier leurs pratiques et se détourner définitivement de l’élevage industriel des poules en cage. Il est d’ailleurs déjà interdit dans d’autres pays d’Europe.

Retour vers la bassecour : pour des poulaillers partagés !

Ne plus manger d’œufs comme le veulent les végétaliens qui sont scandalisés par le sort des poules pondeuses, c’est aussi condamner à terme ces races de poules car à quoi bon les élever si ce n’est pour qu’elles pondent ! On en conserverait peut-être quelques-unes pour le folklore – pardon la mémoire ethnographique ! Leurs propriétaires les exhiberaient lors de fêtes de la nature, de l’environnement, ou bien encore à l’occasion des fêtes de Noël pour les montrer aux enfants. Les fermes de Noël sont, aujourd’hui déjà, des attractions au moins aussi prisées par les citadins, petits et grands, que la visite de la ménagerie d’un cirque ambulant. Il faut espérer que les animaux y sont bien traités lorsque, les lampions de la fête éteints, ils regagnent leur bétaillère.
Il existe sans doute de meilleures solutions. On crée des jardins partagés, pourquoi pas des poulaillers partagés qui en seraient un complément naturel ? Quelques poules, un coq, une cour pour s’ébattre et un refuge où ce petit monde se retire se percher pour dormir ; une modeste cabane dans laquelle l’on aura confectionné quelques nids douillets pour inciter les poules à venir y pondre. L’œuf pondu, elles en ressortiraient en caquetant fièrement. Le soir, elles se coucheraient comme des poules, très tôt en hiver et tôt en été. Quel plaisir, le matin, d’aller chercher l’œuf « au cul de la poule » et de le gober encore tout chaud pour son petit déjeuner… Plaisir simple de petits campagnards qui existe encore dans quelques villages où n’ont pas trop sévi les municipalité à coup de règlements d’hygiène visant à interdire ces bassecours. En ville, il faudrait trouver des espaces et modifier ces règlements d’hygiène trop hygiénistes. Impossible ? Et pourquoi donc ? On trouve bien de la place pour « les espaces verts » et les terrains de sport. Faciles à réaliser, ces jardins partagés avec leur poulailler semblent pourtant utopiques parce qu’ils supposent un changement substantiel des mentalités bien plus important encore que celui qui conduit à tolérer les herbes folles dans les rues. Il est en cours cependant puisque l’on commence à prôner une nécessaire autosuffisance alimentaire au moins à l’échelle d’une région. C’est un début.
En attendant, évitons d’acheter des œufs qui ne sont pas étiquetés 0 ou 1 au supermarché. Si nous en avons l’occasion, allons les acheter chez la fermière. Et dans le doute, abstenons-nous et consolons-nous : même si les œufs sont faciles et rapides à cuisiner, ce n’est pas bon pour la santé d’en manger trop. Ce sont des aliments très riches. D’ailleurs ils sont interdits à celles et ceux qui ont trop de « mauvais » cholestérol dans le sang.

On trouvera un dossier complet qui a servi de source principale à cet article, des suggestions d’action, notamment vis-à-vis des supermarchés, des modèles de lettre et une pétition sur le site de l’association L214

Iconographie : L124

Vendredi 30 Décembre 2011 Commentaires (0)

Résumé : Cette question peut paraître saugrenue. Elle n’est pourtant que la spécification à une catégorie d’animaux de celle posée par Yves Christen dans son livre qui a pour titre « L’animal est-il une personne ? » Je concède que lorsque l’on se pose une telle question, on pense plutôt aux vertébrés supérieurs qu’aux insectes et bien peu, voire pas du tout à ceux qui n’ont pas atteint leur forme définitive au terme de leur dernière métamorphose. Il est évident que le paradigme de l’animal n’est pas la chenille pour l’homme de la rue, ni pour la plupart des philosophes qui écrivent sur l’éthique animale et environnementale. La chenille serait plutôt un cas limite et l’entomologie, un continent noir. Mais en philosophie, les cas limites mettent les théories à l’épreuve. En outre, même si certaines chenilles sont élevées pour divers usages, elles ne sont ni domestiquées, ni apprivoisées, bien plus : ni domesticables, ni apprivoisables, juste utilisables. Comme beaucoup d’insectes d’ailleurs. Ce sont des animaux sauvages par excellence.
La question « l’animal est-il une personne ? » sous la forme particulière que nous envisagerons ici comme sous sa forme générique est mal posée. Il ne s’agit pas tant de savoir si X ou Y EST une personne que celle de savoir pourquoi il ne faudrait pas le TRAITER COMME TELLE, quelle que soit l’espèce à laquelle appartient X ou Y, voire même simplement quel que soit X ou Y. Ce n’est pas de savoir qu’il s’agit mais de conduite. En ce qui concerne les chenilles, il n’est ni nécessaire, ni utile de les considérer comme des personnes pour leur conférer une valeur intrinsèque, les respecter et les laisser vivre à leur guise. Ce qui vaut pour les chenilles vaut aussi pour tout animal sauvage, du moins dans la plupart des cas et le plus souvent. Par contre pour les animaux domestiqués ou apprivoisés, c’est une autre histoire. Telle est du moins la thèse qui sera argumentée dans cet article.


Les chenilles sont-elles des personnes ?
Yves Christen répond positivement à la question que pose le titre de son livre : les animaux sont des personnes, non pas des personnes humaines, des personnes animales mais des personnes tout de même. D’où il devrait suivre logiquement que les chenilles sont des personnes puisqu’elles sont des animaux et que les animaux le sont. N’allons pas si vite cependant. La question qui sert de titre à l’ouvrage cité présuppose la dichotomie humain/animal. Or cette façon de diviser les êtres vivants en deux genres « le genre humain d’abord, et, d’autre part, tout le reste des bêtes en un seul bloc » est une faute logique que Platon dénonça, il y a bien longtemps, dans Le politique.
« C’est la même, fait-il dire à l’Étranger, que, si, voulant diviser en deux le genre humain, on faisait le partage comme le font la plupart des gens par ici, lorsque, prenant d’abord à part le genre Hellène comme une unité distincte de tout le reste, ils mettent en bloc toutes les autres races, alors qu’elles sont une infinité qui ne se mêlent ni ne s’entendent entre elles, et, parce qu’ils les qualifient du nom unique de Barbares, s’imaginent que, à les appeler ainsi d’un seul nom, ils en ont fait un seul genre »(1) De même pour le genre humain, dit l’Étranger à Socrate le Jeune « J’ai bien vu que détachant une partie, tu t’imaginais que les autres, ainsi laissés de côté, ne formaient qu’un seul genre, du moment que tu avais un nom pour les dénommer tous, celui des bêtes » C’est non seulement faire une faute logique, mais aussi faire preuve de beaucoup trop d’orgueil, ce que l’Etranger va montrer avec tout l’humour caustique dont sait faire preuve Platon : « Or, cela, homme intrépide, c’est ce que ferait, peut-être, tout autre animal doué de raison, comme la grue, par exemple, ou quelque autre : elle aussi distribuerait les noms comme tu fais, isolerait d’abord le genre grues pour l’opposer à tous les autres animaux et se glorifier ainsi elle-même, et rejetterait le reste, hommes compris, en un même tas, pour lequel elle ne trouverait, probablement, d’autre nom que celui de bêtes.»(2) .

Chenille de Macroglossum stellatarum
Chenille de Macroglossum stellatarum
Dans cette dichotomie homme/animal se loge toute notre suffisance d’espèce qui se veut au-dessus de toutes les autres. Finalement c’est cette suffisance qui justifie cette dichotomie et qui la fonde. Notre syllogisme de départ est donc à remettre en cause, de même que la question « L’animal est-il une personne ? » surtout s’il s’agit de lui apporter une réponse positive.
Il ne peut pas y avoir une réponse positive à une telle question. Elle remettrait en cause les fondements de la dichotomie homme/animal et par là même la catégorie de l’animalité. Répondre positivement à cette question aurait pour conséquence de lui ôter toute signification, le terme «animal» ne prenant sens que dans l’opposition homme/animal. En termes techniques, on dira que dans l’opposition homme/animal, le terme non marqué est « animal », c’est-à-dire, en gros, que ce terme se caractérise « en creux » en quelque sorte, comme ce qui n’est pas humain. Il est d’ailleurs symptomatique de constater que la majeure partie de l’ouvrage de Y. Christen cherche à établir que ce qui est considéré comme humain peut être attribué à l’animal, effaçant ainsi la distinction et ôtant tout sens assignable à la notion d’animalité, donc à sa question initiale.
Attention cependant à ne pas mal interpréter ce qui vient d’être dit. Si sous une telle forme générale, la question est mal posée, cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas considérer tel ou tel animal, c’est-à-dire un individu d’une autre espèce, comme une personne. Mais il faudra, à chaque fois, non seulement pour chaque espèce, mais peut-être aussi pour chaque cas, se poser à nouveau la question, du moins en théorie, car dans la vie courante, la réponse va souvent tellement de soi que la question ne se pose même pas.
Le bonobo captif devrait être une personne pour l’expérimentateur qui le teste. Se posera alors le problème de sa captivité. Le chien qui fut mon compagnon d’enfance était assurément une personne pour moi, comme pour mon frère et pour toute la famille. C’était même une forte personnalité. Mais ces deux personnes sont sans commune mesure entre elles et toute personne du genre humain. Que faut-il penser en ce qui concerne les chenilles et plus particulièrement encore de cette chenille qui mine une feuille de l’un des ormes de ce parc ?

Pour essayer de justifier l’absence de considération et de respect que les hommes ont à l’égard de telle ou telle espèce animale ou de tel animal particulier, il est tentant de monter qu’il ne possède pas telle ou telle faculté, celle de souffrir et plus généralement d’avoir des émotions, que ses capacités cognitives sont drastiquement limitées, qu’il est une chose vivante certes, mais sans individualité… Lorsqu’au contraire, on veut prendre le contre-pied de cette attitude méprisante qui poussée au bout de sa logique autorise toutes les cruautés, il est tout aussi tentant, bien que plus difficile, de procéder à l’inverse. Ces questions sont, ou semblent être, des questions de fait et dans notre civilisation actuelle, ce sont les sciences qui sont appelées à la rescousse pour trancher de telles questions. Ainsi ce serait à ces sciences de trancher en définitive, au moyen trop souvent de quelques expérimentations fort cruelles. Que les sciences, donc les experts, aient le dernier mot sur ces questions est bien dans l’air du temps. Pourtant, à la question de savoir si tel ou tel animal est ou n’est pas une personne, sciences et experts n’ont strictement rien à répondre. Du moins, c’est ce que nous allons nous efforcer de monter.
Le cas des chenilles est un cas limite, surtout lorsqu’il s’agit de minuscules bestioles de quelques millimètres. C’est ce qui fait son intérêt lorsque dans ce qui suit, nous emprunterons la route habituelle, nous interrogeant sur les aptitudes et capacités d’une chenille, entre autres, celle d’un micolépidoptère parasite de l’orme, Coleophora limosipennella Duponchel 1843, qui a été bien étudiée et qui a la particularité comme son nom l’indique de se construire un fourreau encore appelé case. Bien que les extrapolations d’une espèce à une autre soient hasardeuses et celles d’un genre à l’autre, fussent-ils proches, téméraires, nous y recourrons occasionnellement. Nous ne cherchons pas à établir de vérité scientifique et ce recours occasionnel sera justifié par un principe éthique de générosité.
Nous verrons qu’une connaissance positive des aptitudes et des capacités de la chenille de Coleophora limosipennella ou bien d’Ephestia küehniella Zeller, 1879 – assez surprenantes chez de tels animalcules – peuvent nous inciter à les respecter. Mais est-ce que pour autant nous devons les considérer comme des personnes ? Et comment concilier ce respect qui leur serait dû avec la nécessité dans laquelle nous nous trouvons parfois de les tuer parce qu’elles sont des « ravageurs »(3) ?

Ephestia küehniella
Ephestia küehniella
Une altérité totale

Devant les insectes, nous sommes devant une altérité totale, comme devant de véritables aliens, pas ceux des romans de science-fiction car ces derniers sont conçus par un auteur humain. Ils ont souvent des réactions, un comportement, des sentiments et une raison qui restent à bien des égards « trop humains », sauf lorsque le romancier les dote d’une conduite absolument indéchiffrable. Devant une chenille ou plus généralement un insecte, il est difficile de pratiquer l’empathie comme mode d’accès à ses cognitions, sensations et sentiments. De là à considérer que ces cognitions, sensations et sentiments n’existent pas, il n’y a qu’un pas, vite franchi. Il l’est même par beaucoup de ceux qui rejettent la théorie cartésienne et malebranchienne des «animaux machines».
Et cela d’autant plus que ni l’anatomie, ni la physiologie ne sont des obstacles à une telle conclusion. Chez l’homme et chez les vertébrés «supérieurs», c’est dans les centres encéphaliques et seulement là que toute sensation peut être perçue. Cela a été établi par l’observation de sujets ayant subi des traumatismes et par les pratiques de l’anesthésie. Le cerveau central est considéré comme le siège de l’esprit (mind) et donc la résidence privilégiée de l’âme (soul). Pour faire bref, sans cerveau, pas d’esprit (mind) et sans esprit, pas d’âme (soul). Les chenilles de toute espèce ont un système nerveux très différent avec deux ganglions cérébroïdes qui ne semblent pas avoir les mêmes fonctions que le cerveau central des vertébrés. Si les liaisons entre ce cerveau et le reste du corps sont interrompues, les conséquences seront catastrophiques pour l’organisme entier alors que des chenilles privées de leurs ganglions cérébroïdes, voire décapitées ne sont que peu affectées et se comportent assez normalement. « Jean Rostand a conservé en vie pendant trente-huit jours des morceaux de chenilles de Bombyx mori L., comprenant les huit anneaux postérieurs (c’est-à-dire, comme il le fait remarquer, plus longtemps que n’aurait vécu la chenille intacte) »(4) .

Les chenilles peuvent-elles avoir des émotions ?

Diderot affirmait à D’Alembert « Cet animal se meut, s’agite, crie (…) Il a toutes vos affections » C’est sans aucun doute vrai pour un chien et seul un cartésien pourrait en douter. Mais une chenille ? Mettre en évidence sa sensibilité lorsqu’on doute qu’elle en ait une est plus difficile. Elle s’agite, se tortille, mais il s’agit peut-être de purs réflexes. Déjà les comportements des vertébrés inférieurs n’ont pas de signification immédiatement transparente et avec eux l’empathie trouve rapidement ses limites. D’où le recours à des expériences fort cruelles. Une grenouille que l’on a décérébrée a perdu toute sensibilité. À demi immergée dans de l’eau dont on augmente progressivement la température, elle se laisse cuire vivante à petit feu, sans réagir. À côté d’elle une compagne d’infortune dont le cerveau est intact et que l’on a simplement rendue aveugle pour éviter des mouvements « inutiles » «s’agite, hausse la tête, sa respiration s’accélère. À mesure que la température s’élève, ces mouvements s’accentuent et l’animal manifeste une anxiété et des réactions croissantes.» A ce stade, on peut considérer que l’expérience est probante : le siège de la sensibilité des grenouilles est le cerveau ; il n’existe pas de sensibilité médullaire. Va-t-on libérer cette pauvre grenouille, lui rendre la vue et la liberté ? Il ne faut pas rêver. Les scientifiques sont impitoyables. « Enfin, vers 42 degrés, l’animal meurt en proie à des convulsions. » (Portier, 1949, p. 95) Il est important de souligner que le comportement de la grenouille au cerveau intact est différent d’un pur réflexe. Une autre grenouille décérébrée restée à l’extérieur du récipient et dont on plonge l’extrémité des pattes postérieures dans l’eau à 42° manifestera une violente contraction de ses muscles. « Cette fois, l’élévation de température ayant été brusque, elle devient efficace pour produire un réflexe. En somme, par ce procédé, [l’expérimentateur] arrive à différencier un réflexe d’une réaction due à la douleur. » (5)
L’expérience a été reproduite sur des chenilles d’Ephestia küehniella L. par Paul Portier(6) . Et là, on met en évidence une différence importante. La chenille privée de ses ganglions cérébroïdes réagit de la même façon que celle qui est intacte. Baignant à moitié dans une eau que l’expérimentateur chauffe très progressivement, l’une et l’autre s’agitent à partir de 25°C et cette agitation croît à mesure que la température augmente. À partir de 30° C et jusqu’aux alentours de 38°C, les chenilles manifestent des réactions violentes. Par des sauts, des contractions musculaires, de vains efforts, elles essaient de se soustraire au supplice. Elles ne crient pas car les chenilles sont muettes. Sinon il est probable que les deux chenilles suppliciées hurleraient….Ensuite leurs réactions déclinent et elles meurent lorsque la température atteint les 40°C. La preuve semble établie, les chenilles de cette espèce possèdent une sensibilité dont les ganglions cérébroïdes ne sont pas le centre exclusif, ni même le centre principal.
Les chenilles possèdent une double chaîne ganglionnaire ventrale qui est dotée de trois paires de ganglions thoraciques et de sept paires de ganglions abdominaux, les ganglions de chaque paire étant reliés par des « nerfs » transversaux. Des investigations plus poussées permettent d’établir que chaque ganglion de cette chaîne possède un ou plusieurs centres de sensibilité. C’est là que les sensations de la chenille seraient perçues. Une expérience dont nous ne pouvons rien connaître et que nous avons toutes les raisons de penser très différente, voire sans rapport, avec celles que nous pouvons avoir. Si les expérimentations précédentes démontrent que les chenilles peuvent avoir des sensations qui ne se résument pas à des simples réflexes, d’autres constatations montrent que cette sensibilité doit être très différente de ce que l’on pourrait attendre. Potier a observé deux chenilles de Cossus dont les parties postérieures avaient été blessées qui se dévoraient vivantes mutuellement, la tête de la première mangeant l’arrière de la seconde et réciproquement sans qu’aucune des deux ne songe à se défendre ou à se soustraire aux mandibules de l’autre. On relève aussi des cas d’autophagie, notamment de chenilles dévorant leur propre intestin : « Lorsque l’on veut « souffler » une chenille pour la conserver en collection, il faut commencer par la vider (…) si, par pression, on expulse l’intestin postérieur seul et que l’on abandonne un instant la chenille à elle-même, on constate qu’elle dévore son propre intestin. »(7) . Il reste qu’il s’agit là de conditions particulières. Il semble naturel de conclure de l’ensemble des données sur cette question que les chenilles de différentes espèces ont bien une sensibilité mais fort différente de celle des animaux «supérieurs». Les chenilles peuvent donc souffrir. Mais peuvent-elles éprouver quelque chose comme du plaisir ? Par exemple celui de dévorer leurs propres tripes lorsqu’elles sont sur le point de mourir ?
Il n’y a pas, à ma connaissance, de recherches sur la capacité des chenilles à éprouver quelque chose qui ressemblerait à du plaisir, qu’elles soient intactes ou privées de leurs ganglions cérébroïdes. Cette absence est en soi très révélatrice de l’attitude des entomologistes et physiologistes à l’égard de leurs objets d’étude. Pourtant si les chenilles peuvent éprouver quelque chose qui ressemble à de la douleur, ne peut-on supposer qu’elles éprouvent aussi quelque chose qui ressemblerait à du plaisir ? Des éthologues soutiennent en effet que l’exécution des différents actes instinctifs s’accompagne chacun d’une émotion particulière, propre à chacun de ces actes. La nutrition, qui permet la conservation de l’individu et la reproduction, qui assure la conservation de l’espèce se manifestent comme des besoins dont la satisfaction procure ou est associée à un plaisir. Nous ne mangeons pas uniquement pour vivre, sinon l’art culinaire n’existerait pas, pas plus que n’existerait parmi les sept péchés capitaux, la gourmandise. Se nourrir est l’une des activités principale des chenilles. On a même l’impression qu’elles s’y adonnent avec une certaine voracité. Les chenilles, ou du moins certaines espèces de chenilles peuvent-elles manifester une certaine gourmandise ?
De nombreuses espèces de chenilles sont monophages ou oligophages. On dit d’une chenille qu’elle est monophage lorsqu’elle ne se nourrit que de plantes appartenant à un même genre botanique, oligophage lorsqu’elle se nourrit de plantes appartenant à une même famille botanique. Polyphages sont les chenilles qui acceptent des plantes appartenant à des familles différentes, parfois éloignées dans la classification botanique. Cependant, nécessité faisant loi, il arrive que des chenilles mono ou oligophages doivent se nourrir d’autres plantes que celles auxquelles va leur préférence. C’est ainsi les chenilles de Inachis Io L. [le Paon du jour] vivent en colonie sur Urtica dioica L. [Grande ortie] et peuvent être considérées comme monophages. Une colonie de ces chenilles vivait en lisière de forêt sur une touffe de Grandes orties qui a été fauchée. N’ayant pas réussi à retrouver un nouveau bouquet d’Orties sur lequel elles auraient pu s’installer, elles s’étaient regroupées sur une touffe de Myrtilles. Mises en présence de feuilles d’Orties, elles se mirent à les manger immédiatement et refusèrent ensuite les feuilles de Myrtilles. On peut en conclure que les feuilles de Myrtilles étaient un ersatz des feuilles d’Orties ou, si l’on ne répugne pas à un vocabulaire mentaliste, que les chenilles d’Inachis Io préfèrent les feuilles d’Orties aux feuilles de Myrtilles. Elles n’aiment pas les feuilles de Myrtilles qu’elles mangèrent, faute de mieux. Elles aiment les feuilles d’Ortie. Que ce goût soit inné ne change rien à cette conclusion. Et de cela il suit logiquement que les chenilles d’Inachis Io éprouvent certaines sensations en mangeant les unes qu’elles n’éprouvent pas en mangeant les autres. En forçant très peu les données, on peut conclure que l’ingestion des unes leur procure un plaisir, une satisfaction que ne leur procure pas l’ingestion des autres.
Même les polyphages ont leurs préférences. Les chenilles des Pieris se nourrissent ordinairement de feuilles contenant des isothiocyanates présents par exemple dans les feuilles de Choux, de Capucines, de Résédas. Elles refusent les autres plantes. Un entomologiste allemand Verschaffelt a réussi à les leur faire accepter en les imprégnant d’essence de moutarde diluée. La préférence est certes innée. Mais elle n’en reste pas moins une préférence et les conclusions ici ne peuvent qu’être les mêmes que dans le cas des Paons du jour.
On pourra peut-être objecter que ces préférences innées sont là pour assurer la survie de la chenille en lui faisant choisir ce qui est bon pour son développement. Nous même, nous sommes sans doute phylogénétiquement conditionnés à préférer les aliments ayant un goût sucré. Ce qui n’empêche pas que nous éprouvions du plaisir lorsque nous mangeons du chocolat, que nous recrachions un fruit trop âpre, mais que nous nous régalions d’une poire bien mûre… « Chez beaucoup d’animaux omnivores, par exemple, il existe un mécanisme qui fait qu’ils préfèrent les nourritures contenant un minimum de fibre et un maximum de sucre, de lipides et d’amidon. Dans les conditions «normales» de la vie sauvage, ce mécanisme déclencheur adapté phylogénétiquement est manifestement utile à la survie, mais, chez l’homme civilisé, il se produit une recherche de biens dépassant la normale ; quand l’individu s’y laisse aller, cela devient une passion funeste pour sa santé (par exemple le pain blanc, le chocolat, etc., qui entraînent chez des millions de personnes la constipation et l’obésité )» (8) La prise de nourriture est une des activités principales des chenilles, voire l’activité principale. Lorsqu’elles peuvent s’y adonner en fonction de leurs préférences, il y a tout lieu de penser qu’elles en retirent un certain plaisir. Les ganglions cérébroïdes seraient les organes élaborateurs des sensations gustatives.
En résumé, les chenilles de nombreuses espèces peuvent à coup sûr souffrir et probablement aussi ressentir du plaisir, bref avoir des émotions dont nous ne pourrons jamais saisir la teneur car beaucoup trop différentes de notre propre expérience émotionnelle.(9)

Fourreau de Coleophora limosipennella
Fourreau de Coleophora limosipennella
Des capacités cognitives des chenilles

Des chenilles seraient pourvues de mémoire. C’est ce que mettent en évidence des expériences menées par un biologiste allemand, Herbert Brandt sur Ephestia küehniella L. [la pyrale de la farine] ; expériences rapportées par P. Portier(10) . Ce même auteur a montré aussi que les chenilles de cette espèce étaient capables d’une certaine forme d’apprentissage. Cependant, ces expérimentations se déroulent dans des conditions très artificielles. Plus intéressantes à mon sens sont celles de style éthologique comme celle-ci effectuée sur Dictyoploca japonica, une chenille qui tisse un cocon en forme de filet à larges mailles carrées dans des circonstances ordinaires. Si on l’oblige à construire celui-ci sur du verre, une situation que la chenille ne rencontre jamais dans la nature, elle modifie la partie qui est en contact avec le verre qui se compose alors de mailles très serrées. Même si la séquence du filage du cocon est fixe et peu ou pas modifiable(11) , il existe tout de même certaine latitude dans sa conception qui permet une adaptation pour laquelle la chenille doit faire preuve d’un certain discernement, voire de créativité. On trouve d’autres manifestations de créativité chez des chenilles d’autres espèces, par exemple chez Catopsilia crocale Cramé, une piéride volant à Bornéo et Java. La chenille de ce papillon est capable de sauter, capacité peu commune chez les chenilles et dont sont dépourvues, à ma connaissance, nos chenilles indigènes. La chenille de Catopsilia crocale se chrysalide au sol. On dépose les chenilles sur leur plante nourricière dont la tige plonge dans une bouteille qui est placée dans un bassin rempli d’eau. Une chenille prête à chrysalider descend le long de la tige. Elle rencontre l’eau et remonte. Après avoir effectué plusieurs allers et retours, elle se décide à sauter et y employant toutes ses forces, elle réussit un saut d’une vingtaine de centimètres, ce qui lui permet de rejoindre la terre ferme pour se préparer à sa grande transformation. Les moins agiles ne sautent pas assez loin, tombent dans l’eau et se noient.
P. Portier rapporte que la chenille de la Teigne furieuse d’Amérique ( ?) tisse son cocon sur les arbres « au voisinage de feuilles et de branches mortes » Si ces feuilles viennent à manquer, elle s’associe avec d’autres chenilles de la même espèce. Ensembles, elles tuent les feuilles en les mâchant à l’insertion du pétiole. Les feuilles desséchées et recroquevillées offrent alors un milieu propice à la construction des cocons. De même que les lionnes sont capables d’actions concertées dans une chasse collective, de même ces chenilles peuvent coopérer et faire preuve d’initiatives pour modifier leur milieu et le rendre plus favorable à leur dessein. Si d’autres cas de coopération pouvaient être bien documentés, il faudrait supposer que les chenilles d’une même espèce, comme les fourmis, les abeilles ou les termites ont des moyens pour communiquer entre elles.
Les prouesses étonnantes des chenilles qui construisent des fourreaux ont fait l’objet de nombreuses observations et expérimentations et sont bien documentées. C’est en particulier le cas de Coleophora limosipennella Duponchel, 1843 [Porte-fourreau de l’Orme]. Le papillon est un microlépidoptère blanc grisâtre, pourvu de longues antennes annelées, de 10 à 13 mm d’envergure. La petite chenille vit cachée dans un fourreau d’environ 6 mm de longueur, un peu incurvé, brun, présentant sur le côté supérieur des dents semblables à celle des feuilles d’Ormes dont elle se nourrit. Elle attache son fourreau à la surface inférieure de la feuille et procède un peu comme une mineuse. Elle découpe un orifice circulaire et sans sortir totalement de son fourreau, elle mange le parenchyme en épargnant l’épiderme au-dessus et au-dessous. Les feuilles attaquées portent des tâches brun-jaunâtres caractéristiques. Le fourreau s’avère être une construction complexe. La partie antérieure comporte un orifice circulaire permettant à la chenille de sortir la partie antérieure de son corps pour se nourrir. Le plan de ce cet orifice est incliné sur l’axe du fourreau tel que lorsqu’il est fixé à la feuille, il forme un angle aigu avec elle. L’autre extrémité est fermée par deux ou trois valves accolées qui s’ouvrent lorsque la chenille recule et presse sur elles, lui permettant d’expulser ses excréments qui sont projetés loin du fourreau. Lorsqu’elle se retire, les valves se ferment automatiquement et s’ajustent parfaitement. Il faut que les découpes soient d’une précision absolue pour que l’appareil fonctionne correctement. La chenille qui travaille sans patron coupe d’emblée les deux moitiés du fourreau avec une précision si parfaite qu’une fois assemblée, les lignes de soudures sont indécelables même à la loupe. Sa virtuosité dépasse de loin celle du meilleur tailleur humain que l’on puisse imaginer. Bien entendu cette virtuosité est phylogénétiquement héritée. Mais ce bagage inné n’empêche nullement la chenille de faire preuve de créativité dans ce travail de construction ou de réparation de son fourreau. Ainsi elle réussit à faire face à l’adversité lorsque l’entomologiste, Réaumur en la circonstance, profite du fait qu’elle est presque sortie entièrement de son fourreau en s’alimentant pour lui arracher brusquement.
Désarroi de la pauvre bête qui d’abord se réfugie dans la mine puis recule, passe la partie postérieure de son corps hors du trou à la recherche de son fourreau pour essayer de le réintégrer. En vain ! Le fourreau a disparu. Après plusieurs essais, elle rentre à nouveau dans la mine et se remet à manger. Il s’agit pour elle non seulement de se nourrir mais aussi de se tailler un nouveau fourreau dans l’épiderme de la feuille. Elle va découper des morceaux symétriques dans le toit et le plancher de la mine. Et avec la virtuosité dont elle fait preuve pour ces travaux de tailleurs, elle confectionne un habit semblable à celui que Réaumur lui avait subtilisé. Mais pour cela, elle doit résoudre un problème assez difficile. Comme elle est à l’intérieur de la feuille, si elle se bornait à découper l’épiderme en dessus et en dessous d’elle et les réunir pour en faire les parois de son fourreau, celui-ci détaché de la feuille tomberait et la chenille avec lui. Elle doit donc procéder autrement. Elle commence par découper une longueur identique de l’épiderme de la feuille au-dessus et au-dessous d’elle et elle les réunit par des fils de soie qu’elle sécrète. Elle laisse une petite longueur intacte et procède ensuite à une nouvelle découpe de l’épiderme au-dessus et au-dessous d’elle qu’elle réunit avec des fils de soie comme précédemment et ainsi de suite jusqu’à la dimension voulue. Le fourreau reste attaché à la feuille et ne tombe pas. A la fin, la chenille sectionne toutes les attaches, n’en laissant qu’une ou deux, ténues. Elle sort alors la tête et pattes par ce qui sera l’extrémité antérieure du fourreau. Avec ses pattes écailleuses, elle s’agrippe au bord du trou et opère une traction brusque qui libère le fourreau de ses dernières attaches. Elle le fixe alors à la plante par la partie antérieure et se retourne pour entreprendre les finitions dont celle qui consiste à garnir de soie l’intérieur du fourreau, ce qui lui assure solidité et confort. Lorsqu’elle confectionne ce fourreau dans des conditions normales, elle choisit toujours pour opérer une région voisine du bord ce qui lui permet d’obtenir facilement la courbure et la forme qu’elle désire. Dans le cas présent, elle a opéré au milieu de la feuille dans des conditions nouvelles et défavorables.
La chenille du Porte-case de l’Orme sait faire face à bien d’autres mauvais tours que lui inflige un chenapan d’entomologiste, mauvais tours qui sont autant de situations nouvelles pour elle et dans lesquelles elle doit faire preuve de discernement et de créativité dans la mise en œuvre de ses talents de tailleur. En voici un exemple rapporté par Paul Portier : « Qu’arrive-t-il si, d’un coup de ciseaux, on coupe la partie postérieure du fourreau pendant que la chenille mine une feuille ? A moins que le dégât ne soit trop grand, auquel cas, la chenille construit un nouveau fourreau, elle se met immédiatement à refaire une partie postérieure neuve composée de soie. Mais, ainsi constitué, le fourreau ne possède pas, à son extrémité postérieure, les deux valves si bien ajustées qui permettent le rejet des excréments avec fermeture automatique et étanche, dès que l’acte est accompli. On voit alors la petite chenille pratiquer avec ses mâchoires, une fente à la partie postérieure et supérieure du fourreau, puis renforcer les bords de cette fente au moyen de soie convenablement appliquée, et l’appareil, ainsi constitué, fonctionnera aussi bien que celui qu’on a enlevé » (1949, p.153) Comme le conclut l’auteur, ces observations et expériences montrent «à l’évidence» le pouvoir d’invention des chenilles de cette espèce. Elles résolvent des problèmes qui ne leur sont jamais posés dans la nature et font preuve de «véritables initiatives» Cette espèce de chenille excelle dans la confection de fourreaux, elle possède à cet effet une compétence inégalée qu’elle exerce de façon créative. D’autres espèces du même genre ou de genres proches ne possèdent pas une compétence aussi développée ou ne savent pas l’exercer de façon créative. C’est le cas de nombreuses espèces de chenilles se construisant des fourreaux à falbalas comme Coleophora serenella Zeller 1849, qui, selon Réaumur, est incapable de se construire un nouveau fourreau lorsque l’on a détruit le sien. Osons un parallèle avec l’homme, au risque d’encourir le courroux des humanistes. Le domaine dans lequel l’homme excelle et qui est caractéristique de son espèce, c’est le langage. Peu de psycholinguistes contestent aujourd’hui que cette virtuosité est due à une aptitude phylogénétiquement héritée. Certains auteurs n’hésitent pas à parler d’un instinct du langage, par exemple Steven Pinker(1994). De même que nous faisons tous preuve de créativité dans l’exercice de cette compétence, de même, toute proportion gardée, la chenille du Porte-fourreau de l’Orme fait preuve de créativité en exerçant ses talents de couturier. Ce qui est donné à notre espèce ne l’est pas à des espèces très proches. Il en va de même chez les Coleophora. Que ces compétences soient phylogénétiquement héritées n’empêchent pas que les actes qui les mettent en œuvre ne soient nullement phylogénétiquement préformés. Ce n’est pas le cas pour l’homme, il n’y a pas de raison a priori que cela soit le cas pour les autres espèces. Et les expériences faites sur Coleophora limosipennella montrent que ce n’est pas non plus le cas pour elle.
Il est également remarquable que les chenilles qui sont capable de confectionner un nouveau fourreau lorsque le leur a été détruit par l’expérimentateur le font à leur taille. Ce qui permet de supposer qu’elles ont une certaine représentation de leur corps, donc un embryon au moins de la conscience d’elles-mêmes. Comme l’affirme D. R. Griffin, « si les animaux sont doués d’une conscience perceptive, alors on ne peut leur dénier toute forme de conscience de soi qu’au prix d’une restriction arbitraire et injustifiée »(12)
En résumé, certaines chenilles ont une perception, sinon d’elles-mêmes, du moins de leur organisme. Elles se comportent en êtres capables de mettre en œuvre des moyens et de planifier des actions pour atteindre une fin et de le faire de façon inédite. Il s’en suit analytiquement qu’elles sont capables de raisonner et donc douées de raison. Bien entendu, celle-ci n’est ni humaine, ni discursive. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’UNE raison. Alors sont-elles des personnes ?

Imago d'Ephestia küehniella
Imago d'Ephestia küehniella
La question de l’individualité

Comme le faisait remarquer le philosophe Maurice Blondel, il n’y a pas de personne qui ne soit telle ou telle personne, différente de toutes les autres. Il ne peut être pertinent de parler de personne là où il n’y a pas une individualité, une individualité et pas simplement, ni peut-être nécessairement, un individu. Qu’en est-il en ce qui concerne les chenilles ? Comment en juger ? Les chenilles qui réparent leurs fourreaux ont des comportements dont les séquences semblent assez stéréotypées et s’enchaîner selon des patterns semblables. Mais il en va de même lorsque nous réalisons quelque ouvrage. Il n’y a pas une infinité de façons de s’y prendre pour tricoter un pull mais avec une technique identique ou quasi identique et des laines semblables, il est possible d’obtenir des résultats qui vont varier considérablement. Nos verbalisations suivent des règles fixes, mais aucune ne se ressemblent totalement. C’est à la singularité de l’ouvrage et non à la façon dont il est produit qu’il faut s’intéresser. C’est elle qui peut révéler l’individualité de son auteur. Y a-t-il donc une variabilité individuelle significative dans les réparations des fourreaux ? Je n’ai pas trouvé dans la littérature de données concernant cette variabilité individuelle chez Coleophora limosipennella, ni sur aucun des lépidoptères à fourreau. Par contre j’ai trouvé des données intéressantes sur cette variabilité à propos des larves de trichoptères (phryganes). Par exemple, Molanna angustata Curtis, 1834. Cette espèce de Porte-bois peut atteindre 17 mm de long et 2, 7mm de large. Elle élabore un fourreau en sable de forme tubulaire légèrement pointu d’environ 26 mm de longueur et 3mm de largeur pour les plus grands. Ils sont dotés d’un toit en forme de bouclier qui empêche le fourreau de sombrer au fond de l’eau ou d’être renversé par les vagues et les courants. On pense aussi qu’il sert de protection contre les prédateurs. C’est pour réparer cet abri des dommages causés par l’expérimentateur que les larves montrent une grande variabilité individuelle tant dans la manière de réparer que dans les résultats obtenus. Les larves de Phryganea obsoleta Hagen, 1864 sont capables de distinguer leur abri d’un autre de même taille et de s’y réfugier de préférence. Il semble donc bien individualisé, aux yeux de la larve tout du moins qui sait reconnaître son bien. Il est difficile d’extrapoler d’une espèce à une autre. D’un ordre à un autre, l’extrapolation restera très hypothétique. En application d’un principe philosophique, de philosophie pratique, concernant le règne animal que l’on pourrait appeler principe de générosité (par opposition au principe scientifique de parcimonie) qui stipulerait que tant que l’on n’a pas démontré qu’une espèce du règne animal est dépourvue d’une capacité ou une aptitude que l’on attribue à une autre espèce, elle est réputée la posséder, on peut supposer que les chenilles de Coelophora limosipennella individualisent, elles aussi, leur fourreau. Elles sauraient séparer «le tien du mien». Même si ces chenilles ne vivent pas en communauté où l’individualité et la non-substituabilité d’un individu par un autre reçoivent toute leur dimension, il n’est pas absurde de considérer que les chenilles possèdent une certaine individualité, si ce n’est à nos yeux, du moins aux yeux d’une autre chenille de la même espèce. Il serait peut-être un peu hasardeux néanmoins de considérer que chaque chenille a sa personnalité, c’est-à-dire un caractère, une manière d’être au monde qui lui serait propre. Il serait tout autant hasardeux et bien peu généreux de considérer le contraire.

Tout n’est pas réglé pour autant car surgit un nouveau problème : celui de l’identité personnelle. Certes, celle-ci n’est chez les hommes qu’une illusion aux yeux de certains psychologues ou psychanalystes : « Le moi est bric-à-brac d’identification » affirmait Lacan.
D’autres, surtout des philosophes, considèrent qu’elle est une sorte de quête sans fin, toujours lorsqu’il s’agit de l’homme et exclusivement de lui. Ces philosophes du «manque» et leurs disciples n’auront d’ailleurs sans doute pas eu la patience de lire cet article jusqu’à ce paragraphe. Pour eux il y a l’animal d’un côté et l’homme de l’autre, sans distinction d’espèces. L’homme (le genre ?) est un «trou dans l’être» alors que l’animal, lui, n’est qu’un «creux» pour reprendre les formules célèbres de Maurice Merleau-Ponty. Il est donc évident que celui-ci ne peut être une personne. Illusion, quête, ou donnée, l’identité personnelle suppose une même entité pour laquelle cette question se pose. Or pour les animaux qui muent et se métamorphosent comme les lépidoptères et beaucoup d’autres insectes, la question de l’identité tout court se pose. Car s’il s’agit de la même entité, s’agit-il bien du même organisme ? Et si personnalité il y a, il est difficile d’admettre qu’un être qui vole et butine puisse avoir la même qu’un être qui rampe et grignote. Il faudrait donc admettre que le problème se pose en termes neufs pour chaque avatar de l’insecte. Pourquoi pas ? Après tout il n’y aurait rien d’étonnant à ce qu’un être dont l’organisme se modifie radicalement au cours de sa vie, dont le comportement est différent, présente une personnalité différente à chaque stade.

Une personne ?

Résumons : les chenilles de Caleophora limosipennella sont aptes à ressentir des émotions, elles ont une mémoire, sont capables d’apprentissage. Elles ont une certaine conscience de leur corps sinon d’elles-mêmes. Elles peuvent se comporter rationnellement et faire preuve de créativité. On peut supposer que chacune a sa propre personnalité qui en fait un être singulier, faut-il alors répondre positivement à la question de départ et conclure que les chenilles sont des personnes ?
Les chenilles et tout spécialement celles de Caleophora limosipennella sont des êtres vivants, sensibles, singuliers, créatifs, rationnels certes, mais elles ne sont pas raisonnables, c’est-à-dire des sujets moraux. Pour les philosophes d’inspiration kantienne, les chenilles ne peuvent être des personnes. Si on peut trouver trace de comportements qui manifestent à l’évidence un sens moral chez certains animaux supérieurs vivant en société ou qui élèvent leurs petits, il est difficile d’en trouver de tels chez les chenilles qui ne sont qu’un stade transitoire de l’animal, n’ont rien d’autre à faire que manger pour muer et se métamorphoser dans les meilleures conditions. Les qualifications qui relèvent de la morale ou de jugements de valeur moraux sont simplement inapplicables aux actes des chenilles comme aux chenilles elles-mêmes. Cela sonne comme une absurdité, une « erreur de catégorie » et ne fait que montrer que les qualifications morales, d’application universelle dans le cadre d’une espèce, ne peuvent avoir de signification évidente à l’extérieur de celle-ci. Il n’y a pas lieu de se demander à propos d’une chenille si elle est un être moral car cela n’a pas de sens. Je peux dire en effet d’une chenille de Caleophora limosipennella qu’elle est habile, plus habile que sa voisine qui vit deux feuilles plus bas, cela voudra dire qu’elle sait mieux tailler son fourreau, le réparer, le fixer de façon astucieuse, etc. Que pourrait vouloir dire qu’elle est honnête ? Sincère ? Etc.
Dans ces conditions, exiger d’un être qu’il soit un sujet moral pour le considérer comme une personne, c’est une façon de restreindre a priori la personne à la personne humaine.
Par contre, si avec Peter Singer, le philosophe australien du droit des animaux, on estime qu’est une personne tout être rationnel et conscient de soi alors les chenilles sont des personnes. Bien que je sois pour que l’on définisse des droits pour les animaux et que l’on interdise la vivisection, je considère que cette caractérisation de la notion n’est pas opérante. Dans ce type de caractérisation, la notion de personne n’est en fin de compte qu’une abréviation de l’expression « être à la fois rationnel et conscient de soi » Pourquoi ces deux prédicats et pas d’autres ? Ainsi comprise et quels que soient les prédicats, la notion de personne se réduit à n’être qu’une sélection arbitraire parmi l’ensemble des prédicats applicables à un être vivant.

Lorsque l’on veut considérer l’un de ces êtres comme une personne, il ne suffit pas de vérifier s’il souffre, calcule, est fidèle à sa compagne ou son compagnon, ou bien toute autre propriété que l’on voudra. Pour considérer un être vivant comme une personne, il faut (mais il ne suffit pas) lui conférer une valeur intrinsèque en tant qu’être singulier et non simplement en tant que représentant de telle ou telle espèce. Il faut (mais il ne suffit pas ) s’interdire de le considérer comme quelque chose dont on pourrait disposer et utiliser selon son bon plaisir, que l’on pourrait posséder. C’est d’abord lui reconnaître une dignité et donc le respecter. Lui reconnaître une dignité, c’est, a minima, lui reconnaître le même droit de vivre que nous. Le respecter, c’est le laisser vivre selon ses propres fins : « vivre et laisser vivre ». On voit que tout ce que l’on peut connaître des mœurs, des aptitudes, capacités et compétences d’un être vivant non-humain ne permettra jamais de décider si on doit le considérer comme une personne ou non. Ce n’est pas une question que les sciences, la zoologie, l’éthologie, l’entomologie, etc. peuvent résoudre. Pourtant c’est une question à laquelle les chercheurs répondent souvent par la négative – de façon implicite en général – notamment dans la recherche médicale, les neurosciences et la psychologie animale. Sinon, ils ne pourraient traiter les sujets d’expériences, rats, souris, chiens, chats, chimpanzés comme ils le font.
L’esclave ne diffère en rien de son maître. Ils sont tous les deux de la même espèce et pourtant l’esclave n’est pas considéré comme une personne ni par son maître, ni par les hommes libres dans une société esclavagiste. Le neuropsychologue qui détruit des parties du cerveau d’un chat pour étudier le rêve ne considère pas cette pauvre bête comme une personne, du moins on peut l’espérer. Par contre le même individu s’interdirait sûrement de faire les mêmes manipulations sur le chat de la maison comme le remarque Yves Christen. Félix est alors considéré comme une personne, ce qui n’empêche pas évidement de mal se conduire à son égard. Mais cette conduite est alors répréhensible. Si le dernier né de la famille tire les moustaches de Félix au risque de se faire griffer, son père le grondera, lui qui détruit des parties du cerveau de son sujet de recherche. Les deux chats ne diffèrent pourtant en rien. Ils sont de la même espèce et peuvent même être de la même race. Ces exemples montrent bien que la question n’est pas de savoir si X ou Y est, de fait, une personne. Ce n’est pas une question de fait, mais une question sur ce qui doit être. Et nous savons depuis Hume que ce qui est ne permet en rien de décider ce qui doit être. On ne peut s’autoriser de la science pour décider si tel être vivant est ou non une personne, c’est-à-dire si l’on doit la considérer comme telle et se conduire envers elle en conséquence. Bien plus, la démarche scientifique est réductionniste par méthode. Elle se doit d’objectiver les sujets qu’elle étudie et si l’empathie est un outil heuristique, elle ne peut avoir valeur de preuve. Ses comptes-rendus ne doivent pas laisser place au sentiment et être rédigés dans un langage « objectif » et par là des plus artificiels, pauvres et abscons. Bref, loin de nous conduire à considérer les individus des autres espèces comme des personnes ou à tout le moins des êtres possédant une valeur intrinsèque, elle nous en détourne. Les Humains eux-mêmes, elle ne les considère plus comme des sujets lorsqu’elle s’avise d’en faire des objets d’études.
Justifier notre décision de considérer tel ou tel être vivant comme étant ou n’étant pas une personne, c’est justifier notre façon de se conduire à son égard et les jugements de type moraux que l’on peut porter sur cette conduite, qu’elle soit notre ou celle d’un autre. Ainsi comprise la question de considérer un tel et tel comme une personne suppose qu’il y ait interaction entre ce tel et tel et nous, les membres de l’espèce humaine. Il faut que nous fassions d’une façon ou d’une autre société avec ce tel et tel.

Vivre et laisser vivre

Chacun reconnaîtra facilement qu’un être sauvage ne peut être vraiment tel qu’en liberté. Un tel sauvage, c’est, par exemple, le loup de la fable de La Fontaine Le loup et le chien, libre, non domestiqué, ni apprivoisé. Entre un tel être et l’homme occidental actuel, les interrelations ne peuvent qu’être accidentelles. Le principe de non-intervention « vivre et laisser vivre » doit s’appliquer à ces êtres, ce qui est la seule façon de les respecter, ce qui signifie dans la majorité des cas éviter toute interaction avec eux, sauf observer sans déranger, voir sans être vu... La conclusion qui en découle est donc que, en règle générale, la question de les considérer comme des personnes ne se pose pas et ne doit pas se poser car elle signifierait que nous n’avons pas respecté leur sauvagerie. A la limite, considérer le loup de la fable citée plus haut comme une personne, ce serait lui manquer de respect, le considérer avec une familiarité qui, si elle a lieu d’être avec notre voisin, notre chat ou notre chien, ne doit pas avoir cours avec lui. Encore faut-il distinguer entre ces deux derniers, le chat a daigné être notre commensal et partager notre demeure, le chien lui a été domestiqué. En outre j’ai pris soin de préciser « l’homme occidental actuel » qui n’est plus un chasseur cueilleur et vit dans un monde que la science a désenchanté et que la technique a domestiqué et dénaturé.

La plupart des chenilles de la plupart des espèces sont sauvages. Il faut cependant mettre de côté les vers à soie et autres chenilles de papillons d’élevage comme Ephestia küehniella qui ont un statut difficile à définir. La plupart de nos contemporains ne sont guère tentés de se montrer familier avec une chenille quelle que soit son espèce. Nos relations avec elles sont si limitées qu’en général, la question de savoir si elles sont des personnes est tout à fait saugrenue et ne se pose même pas. Mais il peut y avoir des exceptions. Pour tous ces animaux quels que soient l’espèce, la famille, le genre, l’ordre, la classe auxquels ils appartiennent, les respecter, c’est les laisser vivre, c’est-à-dire, dans la plupart des cas, ne pas avoir des relations avec eux, quelle qu’en soit la nature. D’ailleurs certaines chenilles, notamment celles qui sont recouvertes de soies ont, grâce à ces soies, les moyens de se faire respecter et de nous tenir à distance. Elles ne sont pas fréquentables : leur contact provoque des démangeaisons douloureuses, des dermites et lorsqu’elles sont en colonies, des gènes respiratoires voire de graves crises d’allergie respiratoires. Les hommes sont leurs prédateurs potentiels. Elles savent se défendre et si colorées soient-elles parfois, elles sont dangereuses sinon pour notre santé, du moins pour notre bien-être.
C’est pour cela que les choses se compliquent. Elles se compliquent aussi avec Caleophora limosipennella et nombre d’autres chenilles qui attaquent nos arbres, nos légumes, nos fruits, nos provisions ou nos habits menaçant ainsi notre propre survie. L’occidental urbain peut estimer qu’en parlant de menace pour notre survie, j’exagère. L’agriculture est sans cesse en crise de surproduction… ce qui n’empêche pas la faim dans le monde. Que cet occidental moyen songe donc à la famine que peut provoquer ailleurs une invasion de criquets, à défaut de se souvenir de la consternation que produisait dans les campagnes une attaque de doryphores ou de hannetons. Il n’y a pas si longtemps, les préfets lançaient des ordres de réquisition pour le « hannetonnage ». C’est contre les colonies de chenilles de Cul brun (Euptoctis chrysorrhoea L. 1758) qu’a été prise en 1796 la première loi sur l’échenillage obligatoire. Caleophora limosipennella se contente de manger des feuilles d’ormes et peut sans doute être tolérée si elle ne pullule pas. Mais parfois, il faudra envisager de détruire un certain nombre d’individus de cette espèce. Cette situation advenant dans un conflit entre la nature et nos cultures.
James Olivier Curwood est connu pour ses romans d’aventure. Ils ont enchanté l’enfance de beaucoup d’entre nous. Qui n’a lu Barry Chien Loup ou Le fils de la forêt ? James Olivier Curwood fut aussi un grand coureur de bois à une époque où les territoires du nord du Canada comportaient encore des forêts et des montagnes inexplorées. Il était aussi un chasseur repenti. Dans un ouvrage paru en 1921, God’s contry – The trail to hapiness, il a posé la maxime non interventionniste «vivre et laisser vivre » et il a esquissé une sorte de philosophie de la nature panthéiste qui conduit à une morale dans laquelle toute parcelle de vie est respectable et a un droit équivalent à vivre mais qui ne signifie pas que tout être a un droit imprescriptible à vivre. Pour survivre, il faut parfois tuer : ma vie valant autant que celle des ravageurs qui la menace, j’ai le droit de la défendre et c’est le cas aussi de toute autre forme de vie. Voici ce qu’il écrivait dans l’ouvrage cité : « Toutefois je tiens à vous assurer que je n’ai pas perdu la tête et que je n’applique pas avec une étroitesse d’esprit ridicule ma maxime : « vivre et laisser vivre » Si cette (…) tribu de fourmis avait envahi ma cabane et dévoré les aliments indispensables à ma subsistance, je l’aurais détruite ou chassée. La nature me donne le droit de me protéger et de protéger mon bien. C’est également le privilège de toute autre étincelle de vie. Si je me tenais debout sur leur fourmilière, ces mêmes insectes m’attaqueraient avec la rage du désespoir. Mais à présent elles ne me font aucun mal, et je ne les moleste pas.»(13) Ce qui est présenté ici de façon intuitive et concrète est développé plus ou moins bien par des philosophes qui se rattachent au courant de l’éthique environnementale.
Nous avons donc des interactions avec les chenilles de Caleophora limosipennella, de Euproctis chrysorrhoea ou autres « teignes ». À l’évidence, elles ne peuvent laisser place à des relations interpersonnelles quelconques puisque lorsqu’elles se produisent, c’est que nous voulons les détruire. Le reste du temps, nous les ignorons et elles passent inaperçues de tous, les entomologistes exceptés. Ce qu’il faut justifier dans ce cas, c’est notre droit de tuer des individus de ces espèces. Pour cela, il faut montrer que nous devons le faire parce que sont en jeu la préservation de notre intégrité physique et, de façon plus générale, notre survie. Cette justification ne remet en aucun cas le droit de vivre de chacune de ces petites chenilles, équivalent à tout autre et donc au nôtre. Conclusion certes contre-intuitive si nous restons dans une perspective anthropocentrique naturelle, mais qui cesse de l’être lorsque nous parvenons à nous en abstraire grâce à l’évidence de la manifestation du vouloir vivre de chaque individu de n’importe quelle espèce, évidence dont ne fera l’expérience que celui ou celle qui saura redevenir un sauvage, s’immerger dans la nature, une nature qui peut être tout à fait ordinaire, que l’on trouvera même en ville, si on sait la chercher auprès des « sauvages de [sa] rue » Les seules autres interactions que l’on peut envisager, ce sont celles que l’entomologiste peut avoir avec elles considérées comme objet d’étude et là encore, la relation est loin d’être celle que l’on suppose entre personnes.
J’ai donc le droit de tuer un ravageur lorsqu’il menace ma vie. Avouons que ce n’est pas, ou du moins que ce n’est plus, souvent le cas pour l’homme occidental. Mais la menace à l’égard de nos biens est plus fréquente et peut être interprétée de façon plus ou moins extensive. Il faut cependant que cette interprétation soit justifiée au cas par cas. La maxime « vivre et laisser vivre » n’équivaut pas à un simple « laisser vivre » interdisant de tuer même le moustique qui me pique. Elle ne nous dit cependant pas en quelles circonstances je suis fondé à exercer cet acte d’ôter une parcelle de vie que je sais avoir autant de valeur que la mienne. Cela est l’objet d’une « délibération morale » qui n’aurait pas lieu d’être si la réponse était donnée d’avance. Elle doit avoir lieu entre moi et ma conscience, mais elle peut – dans certains cas, elle doit – être objet d’un débat collectif. C’est par exemple le cas lorsque l’on a à décider du sort d’individus d’une espèce prétendue invasive ou bien encore lorsque l’on est en face de prédations d’animaux sauvages sur des animaux domestiques comme les loups sur les moutons, sur des cultures comme les sangliers sur les champs de pommes de terre ou comme beaucoup d’insectes sur des cultures diverses et parmi ces derniers les chenilles comme Caleophora limosipennella, Euptoctis chrysorrhoea et autres « teignes ».
Cette maxime n’entrera pas seule en ligne de compte dans la décision ou dans la justification de tuer mais étant donnée la façon dont elle oblige à envisager cet acte, elle le marque comme exceptionnel et de dernier recours. Non seulement la parcelle de vie supprimée équivaut en valeur à celle sauvegardée, mais l’injonction du « laisser vivre » présuppose a fortiori qu’il faut laisser en vie chaque fois que cela est possible et elle impose que cette possibilité ne doit pas être envisagée à la légère.

Conclusions

Résumons : telle ou telle chenille ne sera pas, le plus souvent, considérée comme une personne dans la vie de tous les jours, mais cela n’est pas nécessaire pour que j’ai l’obligation de la respecter, c’est-à-dire de la laisser vivre à sa guise sauf s’il advenait qu’elle me nuise gravement. Ce qui vaut pour la chenille vaut pour tout animal sauvage. De plus, en ce qui concerne les mammifères ou les oiseaux sauvages, non seulement il n’est pas nécessaire de pouvoir ou devoir les considérer comme des personnes pour les respecter mais il est impératif que l’occidental contemporain ne les considère pas comme tels. Les respecter, pour un occidental moyen, c’est n’avoir pas d’interaction avec eux ou en avoir le minimum.
Cette conclusion vaut pour les membres des espèces sauvages non anthropophiles, à l’exclusion de toute autre. Elle ne vaut pas non plus pour les animaux domestiqués, apprivoisés ou captifs.
Elle a son champ d’application dans l’habituel, le ὡς ἐπὶ τὸ πολύ d’Aristote, dans les situations ordinaires. Il est évident que dans les situations extraordinaires, les catastrophes telles que les marées noires par exemple, il faut soigner ou tenter de soigner les Cormorans, Sternes, Macareux, Fous de Bassan, Goélands, … De même, on se sent obligé de venir en aide à un animal blessé, un oiseau tombé du nid, un cerf pourchassé par une meute de chiens lors d’une chasse à courre… Dans ce dernier cas s’instaure une relation interpersonnelle et il s’agit de venir au secours d’une personne en danger. Le conflit avec le veneur éclate parce que lui ne considère le cerf aux abois qui s’est réfugié dans votre jardin que comme un gibier à tuer. Vous, vous le considérez comme une personne, pas comme une personne humaine bien entendu, comme une personne tout de même. Et c’est en cela que vous vous manifestez comme humain. On l’oublie trop souvent mais «inhumain» ne veut pas dire «non humain», mais signifie «cruel». Comme l’affirmait David Hume : « Il n’est pas d’humains, ni certes de créatures sensibles dont le bonheur ou le malheur nous touche en quelque mesure, quand ils sont proches de nous et qu’on les représente sous de vives couleurs : mais cela procède uniquement de la sympathie et ce n’est pas la preuve de la réalité d’une telle affection universelle pour l’humanité, puisque ce souci s’étend plus loin que notre propre espèce »(14) Ce souci, cette bienveillance dans le cas qui nous occupe renforce tout à la fois la maxime « laisser vivre » appliquée à un cerf dans les situations ordinaires et elle est un puissant motif pour lui venir en aide lors qu’il est en danger.
Mais tous les cas ne sont pas aussi nets et simples. Dans certaines situations, à elle seule la maxime «laisser vivre» sous-détermine notre conduite envers les animaux sauvages. Elle peut être déclinée en plusieurs versions pas toujours conciliables. Cela provient du fait qu’il n’y a pas dans la réalité de distinctions aussi tranchées que l’opposition sauvage/familier (domestique) pourrait le laisser entendre, que les milieux artificialisés et naturels s’interpénètrent et qu’il nous arrive de fréquenter des animaux sauvages, du moins de les observer vivre.
Parti herboriser tôt un matin d’été pour profiter de la fraicheur et des belles lumières, j’examinai un pierrier d’éboulis calcaire fin en voie de stabilisation colonisé par des touffes d’Allium narcissifolium Vill., 1779 [Ail à feuilles de narcisse] que survolaient des papillons du genre Erebia [Moiré], peut-être Erebia euryale Esper, 1805 [Moiré frange-pie] un papillon assez commun en montagne. L’un d’entre eux se prit malencontreusement dans la toile d’une araignée. Le malheureux se débattait désespérément et plus il se débattait, plus il se prenait dans les fils du piège. Je me suis empressé de libérer avant qu’il n’abime ses ailes. Le pauvre papillon resta quelques instants étourdi sur ma main secourable avant de reprendre son vol. Mais du coup, j’avais privé l’araignée de sa proie et, plus grave peut-être pour elle, endommagé sa toile sur laquelle elle s’affairait, pressée de la réparer. Je n’ai pourtant rien à reprocher aux araignées, ni d’aversion particulière pour ces bêtes contrairement à beaucoup de mes contemporains. Avais-je le droit de spolier l’araignée ? Peut-être pas. Devais-je venir en aide au papillon ? Sûrement, car si je ne l’avais pas fait, je l’aurai sans doute regretté… Sympathie spontanée contre une non-intervention réfléchie ? Mais pourquoi cette sympathie envers la proie plutôt qu’envers le prédateur ? Sensiblerie d’un occidental végétarien à ses heures, peu habitué à tuer pour manger, d’autres le faisant pour lui ? Les enfants sont souvent choqués lorsqu’ils sont les témoins d’une scène de prédation. Mais pas toujours. Ils ont parfois des réactions étonnantes. Ainsi cette petite fille qui plaignait ce pauvre lion qui venait de manquer une gazelle et n’aurait rien à manger. Pour revenir au papillon et à l’araignée de mon histoire, il faut souligner qu’il n’est rien arrivé de très grave ni d’irréversible à l’araignée. Elle aura réparé sa toile dans laquelle d’autres proies viendront se faire prendre, proies qui n’auront pas la chance de se faire piéger sous les yeux d’un promeneur sensible à leur détresse. Le papillon par contre allait perdre la vie, situation irréversible s’il en existe. Il n’est certain ni que les papillons aillent au paradis, ni qu’ils ressusciteront des morts à la fin des temps. Je ne peux croire que ce malheureux Moiré ne souffrait pas. Certes, il est impossible de s’imaginer ce qu’il ressentait mais cela devait être atroce. Ce sauvetage du lépidoptère tirait l’injonction du « laisser vivre » vers un « ne pas laisser mourir ». Valable sans restriction en ce qui concerne les animaux familiers avec lesquels nous faisons société d’une façon ou d’une autre, ce principe, ainsi décliné, ne peut valoir qu’exceptionnellement en ce qui concerne les espèces sauvages. En général, nous ne sommes pas présents lors des scènes de prédation et si nous le sommes, nous ne sommes pas pour autant en situation d’intervenir ou nous ne le souhaitons pas.
Soit un très jeune bouquetin, sa mère qui le défend vaillamment contre deux aigles affamés et un observateur à proximité. Pour ce dernier « il est des moments où l’on pense intervenir : ce chevreau est si mignon. Mais l’aigle lui aussi a son importance dans l’écosystème. Il faut se dire que la nature est bien faite et qu’une intervention, fût-elle minime, est malvenue. En intervenant, peut-être sauverais-je un chevreau, mais j’effraierais aussi des aigles et induirais automatiquement un changement dans leur comportement futur. Bien caché sur mon épaule rocheuse, je me contente donc du rôle de spectateur »(15) Une valorisation de la communauté biotique «la nature est bien faite» implique une non-intervention. La maxime « laisser vivre » se décline alors comme «ne pas interférer», « ne pas s’en mêler » : « Il importe de laisser chaque être vaquer à ses activités en respectant le mode de vie qui est le sien – même si ce dernier nuit à l’existence d’autres êtres, doués ou non de sensibilité »(16) quand il s’agit d’animaux sauvages avec lesquels nous n’avons pas d’interactions et que nous ne fréquentons qu’à distance, leur distance de fuite, où d’attaque.
Des décisions inverses auraient pu être prises dans chacun de ces cas. Les délibérations morales ne peuvent suivre des principes moraux avec autant de rigueur que les théorèmes des axiomes dans un système formel. Et c’est heureux ainsi car cela montre que la raison pratique n’est pas formalisable, qu’elle recèle une part d’intuition irréductible qui l’individualise.

Pour terminer, je vais répondre à deux objections. La première est celle qui estime qu’en refusant de considérer les animaux sauvages comme des personnes, on nuit à la cause animale. La seconde est le reproche de passivité.
Une des raisons de considérer tel ou tel animal comme une personne, c’est pouvoir exiger de ne plus le considérer comme propriété des êtres humains. Et tant qu’il n’en est pas ainsi, « l’animal en question sera toujours considéré comme « animal d’élevage », ou bien «animal de chasse », un «animal de rodéo», un « animal domestique » ou toute autre modalité d’appropriation des animaux réduisant ces derniers à n’avoir d’autre existence que celle que notre usage leur reconnaît, et à n’avoir d’autre valeur que celle que nous voulons bien leur conférer »(17) L’auteur, Gary L. Francione ajoute : « Tenir les animaux pour la propriété des êtres humains revient à leur dénier toute valeur inhérente ou intrinsèque, et autorise de façon générale à ignorer les intérêts (de quelque ordre que ce soit) qui peuvent bien être les leurs, pour notre plus grand profit. »(18) Même si le statut juridique des animaux sauvages est différent selon les états, on peut tout à fait souscrire à cette analyse comme à beaucoup de celles de cet auteur et soutenir son engagement en faveur des animaux. Pour autant, cela ne nous oblige pas à considérer les animaux sauvages comme des personnes. Leur témoigner le respect qu’implique la maxime « vivre et laisser vivre » est suffisant pour refuser que l’on puisse les considérer comme des objets qui nous appartiennent et qui n’ont d’autre valeur que de nous être utiles d’une façon ou d’une autre. Comme ils ne peuvent nous appartenir en aucune façon, le commerce de ces animaux, par exemple, ne peut qu’être interdit, de même qu’est interdit aujourd’hui le commerce d’êtres humains sous toutes ses formes. On évite toute une série de difficultés et de perplexités philosophiques et toute hiérarchie discutable entre les espèces car établie d’un point de vue humain. Ce qui ne veut pas dire que tous les problèmes sont résolus en ce qui concerne les chenilles. Une des espèces de papillon dont les chenilles sont mentionnées dans cet article, la teigne de la farine, Ephestia küehniella, est élevée pour ses œufs que l’on fait parasiter par Trichogramma brassicae Bezdenko, 1968, un micro-Hyménoptère, dans le cadre d’un procédé de lutte biologique contre la pyrale du maïs [Ostrinia nubilalis Hübner, 1796)]. Cette utilisation de ce lépidoptère et de ses œufs est un élément essentiel d’une technique de substitution à l’épandage de pesticides comme à l’utilisation de maïs génétiquement modifiés tels que le maïs Bt. Faut-il considérer la production massive et l’élevage de teignes de la farine et donc de leurs chenilles pour obtenir des œufs que l’on fera parasiter par un Trichogramme est moralement condamnable ? Le lecteur tranchera. S’il m’a suivi jusqu’ici, il a tous les éléments pour le faire.
Enfin, il ne faut pas confondre la volonté de non intervention dans la vie sauvage avec de la passivité. Faire appliquer cette maxime suppose que l’on défende avec ardeur les lambeaux de territoires où la nature sauvage a été le moins dénaturée, que l’on milite pour rendre à cette nature des espaces suffisants où on la laissera faire, quoi qu’elle fasse. Ce qui signifie qu’il faudra moins d’humains occupant moins de place. C’est ainsi retrouver les principes de l’écologie profonde tels que définis par son fondateur Arnes Næss et notamment les points 4 et 5 de la «plateforme pour l’écologie profonde» : « 4. L’épanouissement de la vie humaine et des cultures est compatible avec une baisse substantielle de la population humaine. L’épanouissement de la vie non humaine exige une telle baisse» ; « 5. Les ingérences humaines dans le monde non-humain sont excessives et la situation empire rapidement.»(19)
Chenilles d'Inachis Io sur Grande ortie - Paon du jour
Chenilles d'Inachis Io sur Grande ortie - Paon du jour

Notes
(1) 262d, trad. A. Diès, les Belles Lettres.
(2) 263c – e
(3) Les données de cet article sont en partie tirées de la somme que constitue l’ouvrage de Paul Portier, La biologie des lépidoptères. Cette synthèse, sans équivalent, date de 1949. Elle mériterait d’être actualisée. Néanmoins les observations et les résultats expérimentaux utilisés ici restent valables. Les progrès ultérieurs réalisés en entomologie ne les remettent pas en question.
(4) Portier, 1949, p. 96
(5) Portier, ibid.
(6) Potier 1949, p. 97
(7) Potier, ibid., p. 57
(8) Konrad Lorenz, Evolution et modification du comportement ; l’inné et l’acquis, trad. française, L. Jospin, Payot, Paris 1974, p.27 – 28.
(9) Cette question reste controversée. Au le chapitre 5 de son livre Taking Animals Seriously : Mental Life and Moral Status, Cambridge University Press, 1996, David DeGrazia essaie d’établir que les insectes ne n’ont pas de sensations. Mais ses données sont maigres et peu concluantes. On trouvera une mise au point comprenant de nombreuses données et une importante bibliographie dans l’article de l’entomologiste Jeffrey A. Lockwood « Not to Harm a Fly: Our Ethical Obligations to Insects » Between the Species (volume IV, n°3, été 1988, p. 204 – 211) comprenant notamment l’important ouvrage de M.S. Dawkins, Animal Suffering : The Science of Animal Welfare. Chapman and Hall, New York, 1980. Cet article apporte des éléments à notre moulin pour ce qui concerne la sensibilité des insectes et leurs capacités cognitives : « De très nombreuses données empiriques confortent l'idée que les insectes ressentent la douleur et sont conscients de leurs sensations. Dans la mesure où leur douleur leur importe, il est dans leur intérêt de ne pas y être soumis, et leurs conditions de vie sont aggravées par la douleur. De plus, en tant qu'êtres conscients, les insectes ont des projets concernant leur propre avenir (même s'il s'agit d'un avenir immédiat) et leur mort met fin à ces projets. » On trouvera une traduction française de cet article, due à Laurent Dervaux, dans Les Cahiers Antispécistes, n°23 (décembre 2003) sous le titre « « Ne pas faire de mal à une mouche » Nos obligations morales à l’égard des insectes. »
(10) Portier 1949, p.99
(11) Rémi Chauvin, Progrès récents de la physiologie de l’insecte, publications de la Société de Zoologie Agricole, Laboratoire de Zoologie de la Faculté des Sciences de Bordeaux, Talence, 1955, p.66
(12) D. R. Griffin, Animal Minds : Beyond Cognition to Consciousness, Chicago, University of Chicago Press, 2001, p. 274, cité par G. L. Francione, « Taking Sentience Seriously », Journal for Animal Law and Ethics, n°1, 2006, pp. 1 – 20, repris dans G. L. Francione, Animals as Persons : Essays on the Abolition of Animal Exploitation, New York, Colombia UP, 2008, trad. fr. Hicham-Stéphane Afeissa, o. c., p. 210.
(13) Trad. Fr. Louis Positif, p.1021, Laffont, Paris, 1992
(14) David Hume, A Treatrise of Human Nature, trad. française, André Leroy, Aubier – Montaigne, p. 598
(15) François Cardonne, Approcher l’animal en milieu naturel, Acte Sud, Pari, 2004, p. 97
Le combat a duré deux heures. Il a eu une fin heureuse pour la mère et son petit ; malheureuse pour les deux aigles qui se sont lassés devant la résistance de l’étagne et ont quitté la place le ventre vide alors qu’ils devaient être affamés. Leur survie était aussi en jeu. L’auteur a donc eu raison de ne pas intervenir. Entre les aigles et le chevreau, il ne fallait pas choisir. Le droit à la vie des aigles équivalait à celui du chevreau. Mais certaines personnes peuvent être choquées par une telle passivité devant un acte de prédation. Les herbivores sont si beaux, si mignons… Il est pourtant difficile en toute cohérence de condamner l’aigle ou de parler de cruauté dans la nature. C’est souvent le même individu qui a essuyé une larme de bon matin en voyant un petit chamois enlevé par un aigle, qui s’attable le midi devant une paire de côtelettes d’agneau après avoir dégusté en entrée une tranche de foie gras, la course en montagne lui ayant ouvert l’appétit.
(16) John Braid Callicott, o. c., p. 326
(17) G. L. Francione, « Taking Sentience Seriously », Journal for Animal Law and Ethics, n°1, 2006, pp. 1 – 20, repris dans G. L. Francione, Animals as Persons : Essays on the Abolition of Animal Exploitation, New York, Colombia UP, 2008, trad. fr. Hicham-Stéphane Afeissa, o. c., p. 197.
(18) Ibid., p. 197
(19) « 4. The flourishing of human life and cultures is compatible with a substantial decrease of human population. The flourishing of nonhuman life requires such a decrease.
5. Present human interference with the nonhuman world is excessive, and the situation is rapidly worsening »
Arne Næss, Ecology, community and lifestyle, Cambridge University Press, 1989, trad. fr. (modifiée par moi, JFD) C. Ruelle, Écologie, communauté et style de vie, Paris, « Dehors », Édition MF, p. 61

Photos
De haut en bas,
Anthere Wikicommons ;
A. M. Liosi, Wikicommons ;
CABI ;
© Jean-Yves Baugnée/Lepidoptera of belgium, où l'on trouvera d'autres photographies de Coleophora limosipennella
Sarefo Wikicommons ;
Frédérique Ehrhardt - Cernay (68) - 22/07/2007 /Papillons du Poitou-Charente où l'ontrouvera beaucoup de photographies de ces chenilles comme des stades antérieurs et postérieurs des métamorphoses de Inachis io ;
Korall,Un Paon-du-jour (Inachis io) à Lill-Jansskogen, Stockholm, Suède. Wikicommons.
Inachis Io - Paon du jour
Inachis Io - Paon du jour

Vendredi 23 Décembre 2011 Commentaires (1)
Un Coucou de Greenpeace depuis l’intérieur de la centrale de Nogent
Un Coucou de Greenpeace depuis l’intérieur de la centrale de Nogent

Dimanche 11 Décembre 2011 Commentaires (0)

Quel spectacle affligeant que ces élus de gauche à des postes aussi stratégiques que la Région ou la mairie de Paris, Jean-Paul Huchon et Bertrand Delanoë se faisant photographier en compagnie du PDG du Groupe Bolloré à l’occasion de l’inauguration d’Autolib, un service dit public, faussement écologique et qui sera réservé, de fait, aux franciliens aisés !


Autolib, c’est cher !

Ce « nouveau service public », vu son prix, sera réservé aux gens aisés qui ne veulent pas prendre les transports en commun ; ce que tous les commentateurs, même favorables à Autolib reconnaissent. Et paradoxe, il a été promu par des élus de gauche et pas seulement à la Région où à la mairie de Paris. A Sud de Seine, il l’a été aussi par les quatre maires, qu’ils soient PS – comme Pascal Buchet, maire de Fontenay et Philippe Kaltenbach, maire de Clamart, ou PC comme Marie-Hélène Amiable, maire de Bagneux et Catherine Margaté, maire de Malakoff. Malgré l’opposition des écologistes isolés lors du vote à l’agglo, moins seuls car rejoints par une partie des conseillers de gauche à Fontenay-aux-Roses, Sud de Seine va débourser 600 000 € pour bénéficier de ce service. Paris déboursera 30 millions et la Région a mis 50 millions au pot, chaque ville ou agglo participante, 50 000€ par place de station autolib…

Autolib, c’est nul !

Et pourtant, ce service est nul socialement puisque ceux qui ne peuvent pas se payer une voiture et son entretien seront aussi exclus d’Autolib, trop cher. Il est tout autant nul écologiquement. Qui pourrait croire que les quelques 12 000 voitures d’Autolib vont apporter une diminution significative du bruit et de la pollution atmosphérique alors que leur nombre reste insignifiant par rapport à celui du parc d’automobiles à moteur thermique qui tous les jours asphyxient et étourdissent l’Ile de France ? Le gain marginal sera compensé, et au-delà, par le transport par camions à moteur thermique des voitures Autolib électriques en surnombre dans une station à une autre qui en manquera. Sans compter que ces voitures en libre-service renforcent le modèle de la voiture individuelle comme mode de déplacement privilégié…des privilégiés, donc comme mode de transport auquel tous aspirent par mimétisme, les transports en commun étant juste bons pour le commun des mortels qu’évidemment personne ne veut être. Cette dévalorisation des TC que renforce Autolib est aussi vieille que la généralisation de la voiture individuelle. Elle a aussi, et de plus en plus, des raisons objectives qui se déclinent comme allongement des temps de parcours, cadences de passage insuffisantes, confort nul. Et pour les longs trajets, l’orient-express ne fait plus rêver. Tout l’argent dépensé, les crédits consommés pour Autolib seront autant de moins qui iront abonder les fonds nécessaires à une amélioration indispensable des TC.

Autolib, c’est une bonne opération pour le groupe Bolloré !

Le groupe Bolloré a remporté l’appel d’offre pour Autolib, notamment parce qu’il s’engage à prendre le déficit éventuel d’exploitation à sa charge jusqu’à 60 millions d’euros. Comme il n’est pas du tout assuré que ce système de location de voiture en « trace directe » calqué sur le système Vélib fonctionne, c’était pour les collectivités un avantage non négligeable. Pour autant le groupe Bolloré n’est pas devenu brusquement philanthrope. S’il tient autant à Autolib, c’est pour pouvoir réaliser une expérience grandeur nature pour ses batteries qui sont d’un type différent de celles de ses concurrents et démontrer ainsi leur fiabilité tout en se faisant une publicité énorme. Il espère prendre ainsi un avantage décisif sur ses concurrents, notamment lors des appels d’offres. Question pub, ça marche déjà, il n’y a qu’à lire l’article sur Autolib dans le magazine de Fontenay du mois de décembre. Il ne fait pas dans la dentelle. On y apprend que ces batteries sont recyclables à 100 % (sic!).
L’offre faite par Bolloré était sans aucun doute « la mieux-disante » selon le jargon des appels d’offres mais était-il pour autant nécessaire que, lors de l’inauguration, Huchon et de Delanoë, les deux élus PS – donc de gauche en principe – qui occupent des postes clé en Ile de France s’affichent à côté du PDG d’un groupe dont les valeurs ne devraient pas tout à fait être les leurs?

Des élus de gauche ?

Autolib : La Gauche parisienne et francilienne aurait-elle perdu tous ses principes ?
Il aura fallu beaucoup d’adresse et de rapidité à Jean-Paul Huchon pour pouvoir assister à cette inauguration et figurer sur les photos souvenirs. En effet le même jour, aux même heures il y avait aussi l’inauguration, en grandes pompes, par le Président de la République lui-même, des nouvelles voitures qui vont équiper le RER A. A cette occasion Jean-Paul Huchon, qui est aussi président du Syndicat des Transports d’Ile de France, ne pouvait manquer de faire le voyage inaugural en compagnie de Nicolas Sarkozy. Il faut dire que ce jour est à marquer d’une pierre blanche car ces messieurs ne prennent le RER qu’en de telles occasions. En temps normal, ils préfèrent voyager en limousine avec chauffeur et commettre parfois des excès de vitesses lorsqu’ils prennent le volant de ces luxueuses et puissantes berlines. À la Station Châtelet, arguant peut-être d’une pressante envie, Jean-Paul s’esquive et laisse tomber Nicolas. Sarkozy terminera le voyage seul, voyage au bout duquel il prononcera un éloge appuyé du mode de déplacement en transport en commun qu’il fréquente si peu et pour lesquels il n’a rien promis, pas un seul kopek. Mais quand même, ce jour-là, gauche et droite jouaient à front inversé. L’ami du Président de la République lui faisait concurrence et ce Président de droite faisait l’éloge des transports que tout un chacun utilise tandis que le Président de gauche de la région s’en dispensait pour faire celui d’un mode de location de véhicule individuel réservé de fait aux bobos et autres friqués. L’empressement de Huchon à rejoindre Vincent Bolloré et ses voitures peut laisser songeur.

Autolib : La Gauche parisienne et francilienne aurait-elle perdu tous ses principes ?
Et que dire de cette autre photographie officielle de Vincent Bolloré entouré des maires ou des élus représentant les communes ou agglomérations adhérentes au syndicat Autolib ? Delanoë a permis à l’ami de Sarkozy de peaufiner son image et celle de son groupe, eux qui tiennent à cette image au point d’attaquer systématiquement en diffamation tous les reportages ou témoignages sur leur pratique qui pourraient l’entacher.
Au premier rang, presqu’à côté du PDG qui, habillé en clair tranche sur les élus qui l’entourent, presque tous vêtus de teintes sombres– le héros et les figurants, il y a Philippe Kaltenbach(PS) tout sourire. Il n’y avait pourtant pas de quoi se réjouir ! Représentait-il Clamart ou Sud de Seine à cette inauguration que l’on aurait pu espérer plus discrète ? On y voit aussi un représentant de Malakoff, ville communiste… Et aussi un représentant de Fontenay, Gérard Mahé (PS) à gauche, le premier du troisième rang. On se demande ce qu’il avait à faire là puisque le Conseil municipal n’avait pas encore délibéré. Il a d’ailleurs bien failli se prononcer contre la convention d’occupation de la voirie avec Autolib. A cause des voix de l’UMP venant au secours du maire PS mis en difficulté par une partie de sa majorité PS, PC et écolo, cela n’a pas été le cas. Un maire qui était tellement sûr du résultat du vote que faisant l’impasse de l’avis qu’il croyait négligeable des écologistes, il avait fait publier dans le magazine de la ville un article sur Autolib plus élogieux que la plaquette publicitaire la plus élogieuse.

Toutes ces pantalonnades, ces petites manœuvres dérisoires pour faire accepter un « service » dispendieux et inutile laissent un goût amère. À force de gérer à courte vue, la gauche aurait-elle perdu tous ses principes ?

Photos, de haut en bas : H. GARAT/Mairie de Paris , Sophie Robichon/Mairie de Paris

Dimanche 11 Décembre 2011 Commentaires (3)
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