Nature - environnement
Lors de la manifestation anti-loup organisée par la Fédération Nationale Ovine et la FNSEA à Paris le 27/10/ 2014, les éleveurs avaient amené avec eux 300 brebis sans trop se soucier du bien-être de ces bêtes. Ils les ont parquées sur les Champs Élysées, milieu inconnu et hostile pour elles, après leur avoir fait subir un trop long voyage. Eux qui ne s’inquiètent guère des conditions souvent déplorables dans lesquelles elles sont abattues, les voilà qui s’apitoient sur le sort de celles que les loups mangent. Ils n’ont pourtant pas réussi à faire pleurer le Parisien qui a bien compris, même s’il vit loin des estives, que c’est surtout sur leur manque à gagner que ces éleveurs se lamentent. D’ailleurs, l’échec était prévisible : aujourd’hui le loup est aimé.
Échec de la tentative de séduction : le loup est beau !
Comme les autres exploitants agricoles, les éleveurs ovins et leurs syndicats ont l’oreille du gouvernement, de ses ministres de l’Environnement et de l’Agriculture bien entendu, mais aussi du ministre de l’Intérieur et même du Premier Ministre qui a tenu un discours résolument anti-loup lors du congrès de l'Association nationale des élus de la montagne, caressant les éleveurs dans le sens du poil.
À Paris ceux-ci ont cependant appris à leurs dépens que l’on ne s’approche pas aussi facilement d’un ministère que l’on conchie de lisier la façade d’une simple préfecture de province. Ils ont goûté de la grenade lacrymogène lorsqu’ils ont voulu se rendre rue de Varenne où se trouve le ministère de l’Agriculture.
Cette manifestation était avant tout une opération de « séduction du public ». Elle semble en grande partie ratée comme en témoigne les propos d’une Parisienne rapportés par le journal La Montagne dans son édition du 28 Novembre 2014. Venue montrer les brebis à son petit-fils, elle a déclarée : «Elles sont belles et je comprends que chacun défende ses intérêts… Mais le loup aussi est beau et doit être protégé ».
Oui à l’argent de l’Europe ! Non aux règles européennes de protection de la nature !
Avec les éleveurs auvergnats, les céréaliers-éleveurs champenois (bien distinguer les éleveurs des bergers qui en sont les employés) constituaient le gros des troupes. Ce sont eux qui avait amené dans une transhumance symbolique leurs brebis respirer l’air pollué de Paris.
Les éleveurs ovins d’Auvergne manifestaient en nombre ce 27 novembre 2014 alors que les attaques de troupeaux dans cette région se comptent sur les doigts de la main et que les loups dont la présence ne semble qu’être ponctuelle sont seulement suspectés d’en être les auteurs. Il se pourrait bien que les coupables soient des chiens errants. Ces éleveurs-là crient avant d’avoir mal !
Selon leurs propres dires, les céréaliers-éleveurs champenois – qui sont surtout des céréaliers – élèvent des moutons principalement pour toucher des primes de l’Europe : « On utilise les moutons pour valoriser les coteaux que l'on ne peut pas cultiver, explique Bernard Piot, qui gère 400 hectares de cultures et 37 ha de prairies. Maintenir des zones d'herbe nous permet de bénéficier des aides de la Politique agricole commune » (Le Monde, 24.10.2013).
Les éleveurs ovins et leurs organisations veulent bien le beurre, à savoir une enveloppe d’aide de 125 millions d’euros pour la production ovine versée par l’Europe au titre de la Politique Agricole Commune mais ils ne veulent pas débourser l’argent du beurre. Ils refusent l’application de la directive nitrate et veulent l’éradication du loup, espèce protégée au niveau européen.
Comme les autres exploitants agricoles, les éleveurs ovins et leurs syndicats ont l’oreille du gouvernement, de ses ministres de l’Environnement et de l’Agriculture bien entendu, mais aussi du ministre de l’Intérieur et même du Premier Ministre qui a tenu un discours résolument anti-loup lors du congrès de l'Association nationale des élus de la montagne, caressant les éleveurs dans le sens du poil.
À Paris ceux-ci ont cependant appris à leurs dépens que l’on ne s’approche pas aussi facilement d’un ministère que l’on conchie de lisier la façade d’une simple préfecture de province. Ils ont goûté de la grenade lacrymogène lorsqu’ils ont voulu se rendre rue de Varenne où se trouve le ministère de l’Agriculture.
Cette manifestation était avant tout une opération de « séduction du public ». Elle semble en grande partie ratée comme en témoigne les propos d’une Parisienne rapportés par le journal La Montagne dans son édition du 28 Novembre 2014. Venue montrer les brebis à son petit-fils, elle a déclarée : «Elles sont belles et je comprends que chacun défende ses intérêts… Mais le loup aussi est beau et doit être protégé ».
Oui à l’argent de l’Europe ! Non aux règles européennes de protection de la nature !
Avec les éleveurs auvergnats, les céréaliers-éleveurs champenois (bien distinguer les éleveurs des bergers qui en sont les employés) constituaient le gros des troupes. Ce sont eux qui avait amené dans une transhumance symbolique leurs brebis respirer l’air pollué de Paris.
Les éleveurs ovins d’Auvergne manifestaient en nombre ce 27 novembre 2014 alors que les attaques de troupeaux dans cette région se comptent sur les doigts de la main et que les loups dont la présence ne semble qu’être ponctuelle sont seulement suspectés d’en être les auteurs. Il se pourrait bien que les coupables soient des chiens errants. Ces éleveurs-là crient avant d’avoir mal !
Selon leurs propres dires, les céréaliers-éleveurs champenois – qui sont surtout des céréaliers – élèvent des moutons principalement pour toucher des primes de l’Europe : « On utilise les moutons pour valoriser les coteaux que l'on ne peut pas cultiver, explique Bernard Piot, qui gère 400 hectares de cultures et 37 ha de prairies. Maintenir des zones d'herbe nous permet de bénéficier des aides de la Politique agricole commune » (Le Monde, 24.10.2013).
Les éleveurs ovins et leurs organisations veulent bien le beurre, à savoir une enveloppe d’aide de 125 millions d’euros pour la production ovine versée par l’Europe au titre de la Politique Agricole Commune mais ils ne veulent pas débourser l’argent du beurre. Ils refusent l’application de la directive nitrate et veulent l’éradication du loup, espèce protégée au niveau européen.
La Fédération Nationale Ovine et la FNSEA se félicitent de l’aide de l’Europe pour l’élevage mais en même temps vitupèrent contre la réglementation environnementale européenne. Sous leur pression le gouvernement français applique cette réglementation de mauvaise grâce et à reculons, au risque d’encourir des pénalités financières. Elles seront payées en fin de compte par les contribuables, tous les contribuables, y compris ceux qui sont en désaccord avec ce laisser-aller environnemental coupable et le dénoncent.
La dent du loup, c’est violent ! Le couteau de l’égorgeur, ça ne l’est pas…
Parquées au pied de la Tour Eiffel, en pleine ville, les quelques 300 brebis auvergnates et champenoises ont été placées dans un environnement impropre et inconnu, perçu comme hostile, donc stressant et source de souffrances. Celles qui étaient parties d’Auvergne la veille de la manifestation à 10h du matin ont dû subir entre huit et neuf heures de transport. La bétaillère s’est arrêtée le soir à Rambouillet où les bêtes ont passé la nuit dans un pré. Dans quelles conditions ? Personne ne l’a demandé, ni a fortiori vérifié !
On a entendu sur France-Info un éleveur se lamenter sur le sort de ses pauvres brebis égorgées, raconter qu’il les appelait par leur nom et qu’il en avait élevé certaines au biberon ! D’ailleurs l’un d’entre eux donnait le biberon à un agneau pour épater le badaud parisien ! Ces types se foutent du monde, de vous, de moi ! S’ils les aimaient tant leurs brebis, ils leur auraient évité ce voyage à Paris très pénible pour elles.
La dent du loup, c’est violent ! Le couteau de l’égorgeur, ça ne l’est pas…
Parquées au pied de la Tour Eiffel, en pleine ville, les quelques 300 brebis auvergnates et champenoises ont été placées dans un environnement impropre et inconnu, perçu comme hostile, donc stressant et source de souffrances. Celles qui étaient parties d’Auvergne la veille de la manifestation à 10h du matin ont dû subir entre huit et neuf heures de transport. La bétaillère s’est arrêtée le soir à Rambouillet où les bêtes ont passé la nuit dans un pré. Dans quelles conditions ? Personne ne l’a demandé, ni a fortiori vérifié !
On a entendu sur France-Info un éleveur se lamenter sur le sort de ses pauvres brebis égorgées, raconter qu’il les appelait par leur nom et qu’il en avait élevé certaines au biberon ! D’ailleurs l’un d’entre eux donnait le biberon à un agneau pour épater le badaud parisien ! Ces types se foutent du monde, de vous, de moi ! S’ils les aimaient tant leurs brebis, ils leur auraient évité ce voyage à Paris très pénible pour elles.
De plus la compassion à l’égard de leur cheptel est bien sélective. Sinon, ils regarderaient de plus près les conditions dans lesquelles il est abattu dans nombre d’abattoirs dont certains sont auvergnats. Ils ne le toléreraient pas. Pas plus qu’ils ne toléreraient que leurs chères brebis soient égorgées sans étourdissement pour pouvoir être vendues à l’export dans les pays du Proche et Moyen-Orient.
Un éleveur champenois dont le troupeau a été victime d’une attaque de loup a déclaré à la journaliste Audrey Garric : «Voir des animaux morts fait partie de notre métier, mais on n'est pas habitués à une telle violence » (Le Monde, art. cité). Mauvaise foi ou schizoïdie ? C’est violent quand c’est un loup affamé qui tue la brebis, cela ne l’est plus lorsque dans un abattoir elle est suspendue par une patte la tête en bas et qu’elle gigote alors que le tueur l’égorge sans étourdissement préalable selon le rite hallal ? (Voir ici)
Le loup bouc émissaire ? Peut-être…
Les associations du collectif « Cap Loup » considèrent qu’en déclarant la guerre au loup les agriculteurs se trompent d’ennemis : «Le loup n’est pas responsable des difficultés économiques, écrivent-elles dans un communiqué publié à la suite de la manifestation parisienne. Le loup est une cible très facile à désigner, fédératrice pour des syndicats agricoles dépassés par les difficultés profondes de la filière ovine. La très forte concurrence internationale, la baisse continue de la consommation de viande ovine en France (-50% en 30 ans), la disparition des terres agricoles au profit de l’urbanisation (7 millions d’hectares en 50 ans), la multiplication des maladies (émergence récente du virus de Schmallenberg): voilà les causes réelles des difficultés de l’élevage ovin. »
Ce constat est sans aucun doute exact, mais même si tout allait pour le mieux sur le plan économique pour l’élevage ovin, le loup dès qu’il pointe son museau est pour les éleveurs et les bergers ce qu’il n’a jamais cessé d’être depuis toujours : l’ennemi à abattre. Bergers et éleveurs le perçoivent comme un fléau, un peu comme le jardinier perçoit le doryphore, la courtilière ou la taupe. Mais à la différence de ces derniers, on le pense capable de s’attaquer à l’homme et il a fait peur. Il le fait peut-être toujours, l’hiver, dans les quelques « bouts du monde » isolés qui existent encore sur les plateaux du Massif Central battus par l’Écir ou la Burle.
Le loup ennemi héréditaire du paysan, certainement !
Un éleveur champenois dont le troupeau a été victime d’une attaque de loup a déclaré à la journaliste Audrey Garric : «Voir des animaux morts fait partie de notre métier, mais on n'est pas habitués à une telle violence » (Le Monde, art. cité). Mauvaise foi ou schizoïdie ? C’est violent quand c’est un loup affamé qui tue la brebis, cela ne l’est plus lorsque dans un abattoir elle est suspendue par une patte la tête en bas et qu’elle gigote alors que le tueur l’égorge sans étourdissement préalable selon le rite hallal ? (Voir ici)
Le loup bouc émissaire ? Peut-être…
Les associations du collectif « Cap Loup » considèrent qu’en déclarant la guerre au loup les agriculteurs se trompent d’ennemis : «Le loup n’est pas responsable des difficultés économiques, écrivent-elles dans un communiqué publié à la suite de la manifestation parisienne. Le loup est une cible très facile à désigner, fédératrice pour des syndicats agricoles dépassés par les difficultés profondes de la filière ovine. La très forte concurrence internationale, la baisse continue de la consommation de viande ovine en France (-50% en 30 ans), la disparition des terres agricoles au profit de l’urbanisation (7 millions d’hectares en 50 ans), la multiplication des maladies (émergence récente du virus de Schmallenberg): voilà les causes réelles des difficultés de l’élevage ovin. »
Ce constat est sans aucun doute exact, mais même si tout allait pour le mieux sur le plan économique pour l’élevage ovin, le loup dès qu’il pointe son museau est pour les éleveurs et les bergers ce qu’il n’a jamais cessé d’être depuis toujours : l’ennemi à abattre. Bergers et éleveurs le perçoivent comme un fléau, un peu comme le jardinier perçoit le doryphore, la courtilière ou la taupe. Mais à la différence de ces derniers, on le pense capable de s’attaquer à l’homme et il a fait peur. Il le fait peut-être toujours, l’hiver, dans les quelques « bouts du monde » isolés qui existent encore sur les plateaux du Massif Central battus par l’Écir ou la Burle.
Le loup ennemi héréditaire du paysan, certainement !
Le fermier le chien et le renard - illustration grandville
En tout cas, il fut vécu dans cette région comme un fléau jusqu’à une date récente. Voici ce qu’écrivait en 1944, il y a moins d’un siècle, l’inspecteur primaire et érudit local H. Germouty en introduction à son article « Le loup dans l’histoire et le folklore du Massif Central » :
« Le loup et le renard sont d'étranges voisins !
Je ne bâtirai point autour de leur demeure,
nous affirme La Fontaine. La plupart des campagnards du Massif Central pensent de même. Dans toute cette région, le loup a été au cours des siècles, un voisin redoutable et redouté. C’était non seulement l’ennemi numéro un, mais encore le traître dangereux avec lequel on était aux prises à peu près tous les jours. Aussi son existence, la liste de ses méfaits, les malheurs qu’il a causés, tiennent-ils une très grande place dans l’histoire et le folklore de cette partie de la France » (Auvergne, cahiers d’études régionales, n° 107, 1944, p.27, souligné par moi) .
Dans cet article aussi instructif que révélateur on apprend qu’à l’orée du siècle dernier, « Les histoire de loups dites aux veillées de jadis dans toutes les étables de la vaste région du Massif Central dénommée « la Montagne » causaient toujours une certaine émotion et provoquaient un véritable état de peur » notamment chez les enfants. Page 37 de son article H. Germouty cite à ce propos Martin Nadaud, maçon creusois et homme politique auteur de l’aphorisme souvent répété depuis « Quand le bâtiment va, tout va ! » qui a participé à ces veillées dans sa jeunesse. Il écrivait : « Nous sortions de ces veillées tellement effrayés qu’il fallait nous tenir par la main pour nous reconduire à la maison. » Il n’est pas étonnant que cette peur du loup se soit ancrée dans l’esprit de ces jeunes et ait perdurée au fond d’eux-mêmes, inavouée mais prête à resurgir pour peu que l’occasion s’en présentât. Une peur que l’on jugeait sans doute salutaire ! Une peur transmise à leurs descendants…
H. Germouty constate la diminution du nombre de loups à son époque et note que « les histoires de loups disparaissent peu à peu avec les fauves eux-mêmes. » Il considère que « les routes qui sillonnent les bois, les battues fructueuses qui ont été organisées, la diminution des troupeaux de moutons, le renforcement de leur garde, ont amené la rareté de ce fléau dans nos campagnes » (p. 40) Les termes soulignés dans cette citation montrent bien que pour cet auteur le loup est un fléau et que sa disparition prochaine est considérée comme une très bonne chose. C’est aussi ce que pensaient éleveurs et bergers.
Il ne faut pas oublier que c’est dans le Massif Central qu’a sévi le loup du Gévaudan, aujourd’hui département de la Lozère. Il faut aussi rappeler que le dernier loup abattu en France avant le retour de l’espèce dans le Mercantour en 1992, le fut dans le Limousin en 1937. 77 ans, ce n’est pas si long pour la mémoire collective ! Tout cela permet de comprendre que dans une partie du Massif Central, l’Auvergne, où les loups n’ont jusqu’à présent posé la patte qu’occasionnellement, les éleveurs se mobilisent aussi facilement contre son retour. Pour l’éleveur et le berger auvergnat le loup est, et restera l’ennemi héréditaire ! Et cela n’a rien à voir avec l’économie… Il s’agit d’un atavisme culturel partagé dans bien des campagnes et montagnes des régions de France.
La protection du loup, la science et l’économie
On peut justifier la protection du loup de bien des façons. Dans notre civilisation occidentale où la science est devenue une religion d’état, l’argumentation pour être recevable devra être, ou avoir l’air d’être, « scientifique ». Ainsi elle se parera des atours de l’objectivité et de la rationalité. La référence sera alors la biologie de la conservation et le motif la sauvegarde de la biodiversité. En protégeant le loup on protège toutes les espèces qui partagent son habitat, le loup étant qualifié d’ « espèce parapluie » c’est-à-dire une espèce dont les besoins écologiques incluent ceux de nombreuses autres espèces de telle sorte qu’en la protégeant, on les protège aussi.
L’autre divinité actuelle, c’est le fric et de ce point de vue, il est possible d’arguer que le tourisme vert favorisé par le loup est plus rentable que le pastoralisme qui ne survit qu’à coup de subventions prises in fine dans la poche des contribuables. Un ancien maire de Saint Martin Vésubie Gaston Franco déclarait « Le pastoralisme n’est pas indispensable au Mercantour » sous-entendu « le tourisme l’est ». Gaston Franco le savait si bien qu’il est à l’origine d’ « Alpha - Le Temps du Loup » où les touristes peuvent venir observer des loups évoluant en semi-liberté dans un vaste enclos boisé.
Les associations de défense du loup jouent habillement sur ces deux claviers pourtant ce n’est pas pour des raisons « scientifiques » tirées de la biologie de la conservation dont beaucoup ignorent l’existence même, ni pour des raisons économiques qui ne les concernent que très indirectement que le regard porté sur le loup par une majorité de nos contemporains a changé.
Pourquoi les gens ne choisissent plus entre le berger et le loup
Comme le met en évidence l’analyse de l’article de H. Germouty, entre le loup et le berger, il n’y avait pas d’hésitation jusque dans la première moitié du XXème siècle au moins, l’opinion publique choisissait massivement le berger.
Le berger a longtemps joui d’une bonne image dont l’une des racines est sans doute la métaphore chrétienne du Seigneur, berger de ses ouailles, c’est-à-dire de ses brebis : « Moi, je suis le bon berger : le bon berger laisse sa vie pour les brebis … Moi, je suis le bon berger : je connais les miens et je suis connu des miens, comme le Père me connaît et moi je connais le Père ; et je laisse ma vie pour les brebis » (Jean 10 v.11, 14 et 15)
Mais cette image s’est singulièrement ternie depuis que le loup venu d’Italie a posé la patte en France. Elle s’est ternie parce que trop souvent le berger est confondu avec l’éleveur, le propriétaire du troupeau. Une confusion qui se produit d’autant plus facilement que les deux ne font parfois qu’un et que vis-à-vis du loup, berger et éleveur font souvent cause commune. Plus grave encore, ils font cause commune avec le chasseur qui voit dans le loup un concurrent. Or, l’image du chasseur n’est pas bonne pour une grosse majorité de gens, pour presque tous ceux qui ne chassent pas ou n’ont pas de chasseurs parmi leurs proches.
Les gens ont vite compris que la protection de la nature était le cadet des soucis de cette triplette et qu’elle considérait que la montagne et tous les espaces naturels lui appartenaient. Pas de place pour le loup ou un autre animal sauvage, plus guère de place non plus pour les autres usagers de ces espaces que leurs chiens dissuadent de fréquenter avec plus de succès qu’ils dissuadent les loups d’attaquer les troupeaux ! Il y a conflit d’usages.
L’opinion publique n’est plus du seul côté du berger même si cela ne se reflète guère dans la presse régionale trop souvent résolument anti-loup et pro-chasse. Mais la raison principale n’en est pas cette collusion berger, éleveur propriétaire, chasseur. Ce n’est pas non plus ces conflits d’usages qui en sont la raison principale bien que tout cela ait un rôle. La raison principale c’est que les gens ne veulent plus la mort du loup tout simplement parce qu’ils le trouvent beau : ils l’aiment !
« Le loup et le renard sont d'étranges voisins !
Je ne bâtirai point autour de leur demeure,
nous affirme La Fontaine. La plupart des campagnards du Massif Central pensent de même. Dans toute cette région, le loup a été au cours des siècles, un voisin redoutable et redouté. C’était non seulement l’ennemi numéro un, mais encore le traître dangereux avec lequel on était aux prises à peu près tous les jours. Aussi son existence, la liste de ses méfaits, les malheurs qu’il a causés, tiennent-ils une très grande place dans l’histoire et le folklore de cette partie de la France » (Auvergne, cahiers d’études régionales, n° 107, 1944, p.27, souligné par moi) .
Dans cet article aussi instructif que révélateur on apprend qu’à l’orée du siècle dernier, « Les histoire de loups dites aux veillées de jadis dans toutes les étables de la vaste région du Massif Central dénommée « la Montagne » causaient toujours une certaine émotion et provoquaient un véritable état de peur » notamment chez les enfants. Page 37 de son article H. Germouty cite à ce propos Martin Nadaud, maçon creusois et homme politique auteur de l’aphorisme souvent répété depuis « Quand le bâtiment va, tout va ! » qui a participé à ces veillées dans sa jeunesse. Il écrivait : « Nous sortions de ces veillées tellement effrayés qu’il fallait nous tenir par la main pour nous reconduire à la maison. » Il n’est pas étonnant que cette peur du loup se soit ancrée dans l’esprit de ces jeunes et ait perdurée au fond d’eux-mêmes, inavouée mais prête à resurgir pour peu que l’occasion s’en présentât. Une peur que l’on jugeait sans doute salutaire ! Une peur transmise à leurs descendants…
H. Germouty constate la diminution du nombre de loups à son époque et note que « les histoires de loups disparaissent peu à peu avec les fauves eux-mêmes. » Il considère que « les routes qui sillonnent les bois, les battues fructueuses qui ont été organisées, la diminution des troupeaux de moutons, le renforcement de leur garde, ont amené la rareté de ce fléau dans nos campagnes » (p. 40) Les termes soulignés dans cette citation montrent bien que pour cet auteur le loup est un fléau et que sa disparition prochaine est considérée comme une très bonne chose. C’est aussi ce que pensaient éleveurs et bergers.
Il ne faut pas oublier que c’est dans le Massif Central qu’a sévi le loup du Gévaudan, aujourd’hui département de la Lozère. Il faut aussi rappeler que le dernier loup abattu en France avant le retour de l’espèce dans le Mercantour en 1992, le fut dans le Limousin en 1937. 77 ans, ce n’est pas si long pour la mémoire collective ! Tout cela permet de comprendre que dans une partie du Massif Central, l’Auvergne, où les loups n’ont jusqu’à présent posé la patte qu’occasionnellement, les éleveurs se mobilisent aussi facilement contre son retour. Pour l’éleveur et le berger auvergnat le loup est, et restera l’ennemi héréditaire ! Et cela n’a rien à voir avec l’économie… Il s’agit d’un atavisme culturel partagé dans bien des campagnes et montagnes des régions de France.
La protection du loup, la science et l’économie
On peut justifier la protection du loup de bien des façons. Dans notre civilisation occidentale où la science est devenue une religion d’état, l’argumentation pour être recevable devra être, ou avoir l’air d’être, « scientifique ». Ainsi elle se parera des atours de l’objectivité et de la rationalité. La référence sera alors la biologie de la conservation et le motif la sauvegarde de la biodiversité. En protégeant le loup on protège toutes les espèces qui partagent son habitat, le loup étant qualifié d’ « espèce parapluie » c’est-à-dire une espèce dont les besoins écologiques incluent ceux de nombreuses autres espèces de telle sorte qu’en la protégeant, on les protège aussi.
L’autre divinité actuelle, c’est le fric et de ce point de vue, il est possible d’arguer que le tourisme vert favorisé par le loup est plus rentable que le pastoralisme qui ne survit qu’à coup de subventions prises in fine dans la poche des contribuables. Un ancien maire de Saint Martin Vésubie Gaston Franco déclarait « Le pastoralisme n’est pas indispensable au Mercantour » sous-entendu « le tourisme l’est ». Gaston Franco le savait si bien qu’il est à l’origine d’ « Alpha - Le Temps du Loup » où les touristes peuvent venir observer des loups évoluant en semi-liberté dans un vaste enclos boisé.
Les associations de défense du loup jouent habillement sur ces deux claviers pourtant ce n’est pas pour des raisons « scientifiques » tirées de la biologie de la conservation dont beaucoup ignorent l’existence même, ni pour des raisons économiques qui ne les concernent que très indirectement que le regard porté sur le loup par une majorité de nos contemporains a changé.
Pourquoi les gens ne choisissent plus entre le berger et le loup
Comme le met en évidence l’analyse de l’article de H. Germouty, entre le loup et le berger, il n’y avait pas d’hésitation jusque dans la première moitié du XXème siècle au moins, l’opinion publique choisissait massivement le berger.
Le berger a longtemps joui d’une bonne image dont l’une des racines est sans doute la métaphore chrétienne du Seigneur, berger de ses ouailles, c’est-à-dire de ses brebis : « Moi, je suis le bon berger : le bon berger laisse sa vie pour les brebis … Moi, je suis le bon berger : je connais les miens et je suis connu des miens, comme le Père me connaît et moi je connais le Père ; et je laisse ma vie pour les brebis » (Jean 10 v.11, 14 et 15)
Mais cette image s’est singulièrement ternie depuis que le loup venu d’Italie a posé la patte en France. Elle s’est ternie parce que trop souvent le berger est confondu avec l’éleveur, le propriétaire du troupeau. Une confusion qui se produit d’autant plus facilement que les deux ne font parfois qu’un et que vis-à-vis du loup, berger et éleveur font souvent cause commune. Plus grave encore, ils font cause commune avec le chasseur qui voit dans le loup un concurrent. Or, l’image du chasseur n’est pas bonne pour une grosse majorité de gens, pour presque tous ceux qui ne chassent pas ou n’ont pas de chasseurs parmi leurs proches.
Les gens ont vite compris que la protection de la nature était le cadet des soucis de cette triplette et qu’elle considérait que la montagne et tous les espaces naturels lui appartenaient. Pas de place pour le loup ou un autre animal sauvage, plus guère de place non plus pour les autres usagers de ces espaces que leurs chiens dissuadent de fréquenter avec plus de succès qu’ils dissuadent les loups d’attaquer les troupeaux ! Il y a conflit d’usages.
L’opinion publique n’est plus du seul côté du berger même si cela ne se reflète guère dans la presse régionale trop souvent résolument anti-loup et pro-chasse. Mais la raison principale n’en est pas cette collusion berger, éleveur propriétaire, chasseur. Ce n’est pas non plus ces conflits d’usages qui en sont la raison principale bien que tout cela ait un rôle. La raison principale c’est que les gens ne veulent plus la mort du loup tout simplement parce qu’ils le trouvent beau : ils l’aiment !
Voilà la vraie raison sans doute tout à fait déraisonnable mais parfaitement valable et respectable qui fait que beaucoup d’entre nous sont pour que l’on protège le loup. Relisons les propos de la parisienne venue montrer les brebis à son petit-fils : «le loup aussi est beau et doit être protégé ». Tout est dit mais il est évident que ce n’est pas des raisons de ce genre qu’il faut invoquer face à des technocrates au cœur sec, experts, scientifiques et économistes de tout poil qui veulent des raisons objectives à nos choix et qui tiennent les élus sous leur coupe ou derrière lesquels ces élus se réfugient.
Ce revirement d’un animal redouté à exterminer à un animal admiré qu’il faut protéger, de la haine à l’amour faut-il l’expliquer ? Est-il seulement explicable ? S’il fallait à tout prix le faire, il semble que le plus plausible serait d’invoquer le besoin de nature sauvage universel chez tous les hommes et qui se révélerait seulement lorsque cette nature de plus en plus asservie et domestiquée est en voie de disparition. C’est l’hypothèse que retient Élise Rousseau dans son Anthologie du Loup lorsqu’elle écrit : « L’homme d’aujourd’hui ayant exterminé le sauvage, apprivoisé la nature, se retrouve soudain avec un manque. Celui de la vraie nature. Pas celle des vergers et des futaies bien entretenues. La vraie nature, imprévisible, inextricable, vierge de toute domestication. Où il reste une place pour cette crainte, ce mystère, cette peur que l’on a tellement tenté d’éradiquer. Qui mieux que le loup peut symboliser ce besoin de renouer avec cette nature-là ? » (Delachaux et Niestlé, Paris, 2006, p. 250)
Dans ces conditions il était joué d’avance que l’opération de communication des éleveurs ovins pour séduire les citadins ne pouvait qu’échouer. Ce n’étaient pas quelques malheureuses brebis parquées sur les Champs Élysées qui les feraient crier haro sur le loup.
NB : 80% des Français considèrent qu’ « un animal comme le loup a sa place dans la nature en France» et ne veulent pas qu’il soit éradiqué selon un sondage IFOP pour l’ASPAS et One Voice effectué en septembre 2013 (consultable ici)
Ce revirement d’un animal redouté à exterminer à un animal admiré qu’il faut protéger, de la haine à l’amour faut-il l’expliquer ? Est-il seulement explicable ? S’il fallait à tout prix le faire, il semble que le plus plausible serait d’invoquer le besoin de nature sauvage universel chez tous les hommes et qui se révélerait seulement lorsque cette nature de plus en plus asservie et domestiquée est en voie de disparition. C’est l’hypothèse que retient Élise Rousseau dans son Anthologie du Loup lorsqu’elle écrit : « L’homme d’aujourd’hui ayant exterminé le sauvage, apprivoisé la nature, se retrouve soudain avec un manque. Celui de la vraie nature. Pas celle des vergers et des futaies bien entretenues. La vraie nature, imprévisible, inextricable, vierge de toute domestication. Où il reste une place pour cette crainte, ce mystère, cette peur que l’on a tellement tenté d’éradiquer. Qui mieux que le loup peut symboliser ce besoin de renouer avec cette nature-là ? » (Delachaux et Niestlé, Paris, 2006, p. 250)
Dans ces conditions il était joué d’avance que l’opération de communication des éleveurs ovins pour séduire les citadins ne pouvait qu’échouer. Ce n’étaient pas quelques malheureuses brebis parquées sur les Champs Élysées qui les feraient crier haro sur le loup.
NB : 80% des Français considèrent qu’ « un animal comme le loup a sa place dans la nature en France» et ne veulent pas qu’il soit éradiqué selon un sondage IFOP pour l’ASPAS et One Voice effectué en septembre 2013 (consultable ici)
Jeudi 4 Décembre 2014
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