Nature - environnement
«Europe’s forest management did not mitigate climate warming » tel est le titre quelque peu provocateur ou alarmiste d’un article publié dans le numéro du 5 Février 2016 de la revue Science, (Naudts et al., Vol 351, numero 6273 6 VOL 351 ISSUE 6273, p. 597). Dans cet article une équipe de chercheurs de l’Institut Pierre Simon Laplace (IPSL) publie des résultats qui remettent en cause les conceptions communément admises sur la gestion des forêts susceptible d’en faire des puits de carbone et d’atténuer le réchauffement climatique. Non seulement cette gestion n’aurait pas réduit le réchauffement climatique mais elle l’aurait renforcé.
Il s’agit ici d’examiner les conséquences des résultats publiés par Kim Naudts et son équipe pour le combat contre une gestion productiviste de la forêt française dans le contexte d’une politique environnementale dominée par la priorité donnée aux mesures supposées permettre d’atténuer le changement climatique.
Résumé
Après avoir exposé les principaux résultats auxquels sont parvenus les chercheurs de l’IPSL, on constate qu’une de leurs conséquences est que la préservation des forêts en libre évolution et la préservation de ce qui subsiste de naturalité dans les forêts gérées non seulement ne sont pas contraires à la politique climatique dominante mais qu’elles y contribuent alors que la gestion des forêts dans le cadre d’une sylviculture intensive renforce le changement climatique. (§ I)
Sont ensuite passés en revue les arguments avancés en défense de la gestion forestière productiviste, ce qui permet d’établir que les forêts laissées en libre évolution sont au moins aussi résilientes que les forêts gérées face aux aléas climatiques, notamment les tempêtes et les incendies. Il n’y a donc pas plus (et même peut-être moins) de risques de déstockage massif de carbone avec les unes qu’avec les autres lors de ces aléas. (§ II – III)
La discussion de l’objection selon laquelle le bilan carbone de la forêt établi par Naudts et ses co-auteurs est négatif parce qu’il n’est pas complet et ne prend pas en compte « l’effet de substitution » induit par l’usage du bois conduit à distinguer nettement entre une énergie renouvelable et une énergie « décarbonée ». Plus encore, on montre qu’en France les mesures visant à développer industriellement la filière bois/énergie et plus généralement à exploiter la biomasse extraite des forêts comme source d’énergie renouvelable entrent en contradiction avec une politique d’atténuation du changement climatique. (§IV – VII)
Cette conclusion revêt un intérêt majeur pour les défenseurs de la naturalité des forêts et du maintien de forêts en libre évolution. Elle débouche cependant sur une question troublante à laquelle on apporte quelques éléments de réponse : pourquoi le développement d’énergies renouvelables, notamment l’éolien et le bois/énergie, appréhendées comme « douces » s’avère particulièrement nocif envers l’environnement et la Nature ? (§ VIII – IX).
(Le lecteur que les analyses et argumentations sur les détails de la gestion forestière rebuteraient peut se rendre directement à la section VIII.)
Après avoir exposé les principaux résultats auxquels sont parvenus les chercheurs de l’IPSL, on constate qu’une de leurs conséquences est que la préservation des forêts en libre évolution et la préservation de ce qui subsiste de naturalité dans les forêts gérées non seulement ne sont pas contraires à la politique climatique dominante mais qu’elles y contribuent alors que la gestion des forêts dans le cadre d’une sylviculture intensive renforce le changement climatique. (§ I)
Sont ensuite passés en revue les arguments avancés en défense de la gestion forestière productiviste, ce qui permet d’établir que les forêts laissées en libre évolution sont au moins aussi résilientes que les forêts gérées face aux aléas climatiques, notamment les tempêtes et les incendies. Il n’y a donc pas plus (et même peut-être moins) de risques de déstockage massif de carbone avec les unes qu’avec les autres lors de ces aléas. (§ II – III)
La discussion de l’objection selon laquelle le bilan carbone de la forêt établi par Naudts et ses co-auteurs est négatif parce qu’il n’est pas complet et ne prend pas en compte « l’effet de substitution » induit par l’usage du bois conduit à distinguer nettement entre une énergie renouvelable et une énergie « décarbonée ». Plus encore, on montre qu’en France les mesures visant à développer industriellement la filière bois/énergie et plus généralement à exploiter la biomasse extraite des forêts comme source d’énergie renouvelable entrent en contradiction avec une politique d’atténuation du changement climatique. (§IV – VII)
Cette conclusion revêt un intérêt majeur pour les défenseurs de la naturalité des forêts et du maintien de forêts en libre évolution. Elle débouche cependant sur une question troublante à laquelle on apporte quelques éléments de réponse : pourquoi le développement d’énergies renouvelables, notamment l’éolien et le bois/énergie, appréhendées comme « douces » s’avère particulièrement nocif envers l’environnement et la Nature ? (§ VIII – IX).
(Le lecteur que les analyses et argumentations sur les détails de la gestion forestière rebuteraient peut se rendre directement à la section VIII.)
I – Pour obtenir leurs résultats les auteurs ont dû reconstituer l’histoire de l’utilisation des sols depuis 1750 et procéder à des modélisations pour déterminer les effets biophysiques et biochimiques des changements d’utilisation des sols. La modélisation construite tient compte à la fois des modifications dans la couverture des sols (déforestation et reboisement) et des évolutions dans la gestion des surfaces boisées. Ils ont couplé cette modélisation avec un modèle de circulation atmosphérique pour déterminer dans le changement climatique ce qui revenait aux émissions globales de gaz à effet de serre d’origine humaine et ce qui revenait aux modifications dans l’utilisation des sols depuis 1750.
Si l’on suit leurs conclusions, la gestion des forêts en Europe envisagée depuis 1750 a conduit à un bilan carbone négatif qui se monte à 3,1 milliards de tonnes (3, 1 pétagrammes / 1 pétagramme (Pg) = 10 12 kilogrammes) de carbone et cela en dépit d’un considérable reboisement, la surface occupée par les forêts ayant augmentée de 386 000 Km2 au cours de la période à partir de 1850. De plus l’enrésinement des surfaces boisées serait responsable d’une augmentation de la température ambiante en été qu’ils évaluent à 0,12 K (K pour kelvin – 0,12 K = 0,12°C : une variation de 1K étant égale à une variation de 1°C) tandis que le reboisement aurait induit à la limite supérieure de l’atmosphère un forçage radiatif de 0.12 watts par m2.
L’augmentation du forçage radiatif serait due principalement au reboisement comme tel. Elle s’expliquerait par une diminution de l’albédo des surfaces reboisées (elles sont plus sombres et absorbent plus de lumière solaire) que le puit de carbone créé par ces boisements ne compenserait pas totalement.
Au cours de la période et notamment à partir de 1850, la surface occupée par des feuillus a proportionnellement régressée au profit celle occupée par des conifères. Non seulement le reboisement s’est effectué pour l’essentiel avec des espèces de conifères mais en outre des conifères ont été substitués aux feuillus dans les forêts existantes, ce qui a conduit en définitive à une augmentation de 633 000 km2 des surfaces de conifères au dépens des surfaces de feuillus qui ont diminué de 436 000 Km2. La proportion de conifères par rapport aux feuillus est passée de 30% / 70% en 1750 à 57% /43%.
C’est ce remplacement des feuillus par des conifères qui serait le responsable principal de l’augmentation de la température atmosphérique ambiante en été : 0,8 K pour 0,12 K d’augmentation totale. Cela s’expliquerait par une diminution sensible de l’évapotranspiration due au fait que les conifères ont des feuilles réduites à des aiguilles.
Il y aurait deux causes principales à ce que les auteurs nomment « la dette carbone », c’est-à-dire le Δ positif des émissions de carbone entre 1750 et aujourd’hui : l’extraction du bois (éclaircie, récolte, récupération de la litière) et la mise en production des forêts laissées en libre évolution et donc non exploitées.
L’exploitation forestière est émettrice de CO2 en ce qu’elle conduit au déstockage du carbone captif dans le bois et dans le sol des forêts tandis que « la diminution des stocks de carbone due à l’extraction du bois des forêts non gérées auparavant ne peut pas être compensée par la constitution d’un stock de carbone dans les produits du bois (seulement 0,05 Pg C [pétagrammes de carbone] seraient compensés) »
Si l’on suit leurs conclusions, la gestion des forêts en Europe envisagée depuis 1750 a conduit à un bilan carbone négatif qui se monte à 3,1 milliards de tonnes (3, 1 pétagrammes / 1 pétagramme (Pg) = 10 12 kilogrammes) de carbone et cela en dépit d’un considérable reboisement, la surface occupée par les forêts ayant augmentée de 386 000 Km2 au cours de la période à partir de 1850. De plus l’enrésinement des surfaces boisées serait responsable d’une augmentation de la température ambiante en été qu’ils évaluent à 0,12 K (K pour kelvin – 0,12 K = 0,12°C : une variation de 1K étant égale à une variation de 1°C) tandis que le reboisement aurait induit à la limite supérieure de l’atmosphère un forçage radiatif de 0.12 watts par m2.
L’augmentation du forçage radiatif serait due principalement au reboisement comme tel. Elle s’expliquerait par une diminution de l’albédo des surfaces reboisées (elles sont plus sombres et absorbent plus de lumière solaire) que le puit de carbone créé par ces boisements ne compenserait pas totalement.
Au cours de la période et notamment à partir de 1850, la surface occupée par des feuillus a proportionnellement régressée au profit celle occupée par des conifères. Non seulement le reboisement s’est effectué pour l’essentiel avec des espèces de conifères mais en outre des conifères ont été substitués aux feuillus dans les forêts existantes, ce qui a conduit en définitive à une augmentation de 633 000 km2 des surfaces de conifères au dépens des surfaces de feuillus qui ont diminué de 436 000 Km2. La proportion de conifères par rapport aux feuillus est passée de 30% / 70% en 1750 à 57% /43%.
C’est ce remplacement des feuillus par des conifères qui serait le responsable principal de l’augmentation de la température atmosphérique ambiante en été : 0,8 K pour 0,12 K d’augmentation totale. Cela s’expliquerait par une diminution sensible de l’évapotranspiration due au fait que les conifères ont des feuilles réduites à des aiguilles.
Il y aurait deux causes principales à ce que les auteurs nomment « la dette carbone », c’est-à-dire le Δ positif des émissions de carbone entre 1750 et aujourd’hui : l’extraction du bois (éclaircie, récolte, récupération de la litière) et la mise en production des forêts laissées en libre évolution et donc non exploitées.
L’exploitation forestière est émettrice de CO2 en ce qu’elle conduit au déstockage du carbone captif dans le bois et dans le sol des forêts tandis que « la diminution des stocks de carbone due à l’extraction du bois des forêts non gérées auparavant ne peut pas être compensée par la constitution d’un stock de carbone dans les produits du bois (seulement 0,05 Pg C [pétagrammes de carbone] seraient compensés) »
Certes le remplacement des feuillus par des conifères renforce temporairement l’effet « puits de carbone », ceux-ci ayant une croissance plus rapide que ceux-là. Cependant, ils sont récoltés plus tôt et au total en combinant l’extraction du bois avec le changement d’essence on obtient un excédent d’émission de carbone de 1,9 Pg C (1,9 milliard de tonnes). Pour le dire autrement, si à court terme une forêt exploitée stocke plus de carbone qu’une forêt qui ne l’est pas, sur le long terme, un peu plus d’un siècle et demi, c’est l’inverse.
De plus, la mise en production durant la période étudiée de 417 000 km2 forêts qui n’étaient pas gérées auparavant aurait conduit à elle seule à l’émission de 3.5 Pg C (3,5 milliards de tonnes) dans l’atmosphère en estimant que par rapport à une forêt gérée, le carbone stocké dans une forêt non gérée est moindre de 24% pour la biomasse vivante, de 43% pour le bois mort, de 8% pour la litière et de 6% pour le sol. Seule une petite partie aurait été compensée par le reboisement de 386 000Km2 de parcelles agricoles à partir de 1850 et par un enrésinement des boisements.
Forts de ces résultats, les auteurs peuvent conclure que : « not all forest management contributes to climate change mitigation.» (Ce n’est pas le cas que n’importe quelle gestion forestière contribue à réduire le changement climatique.)
De plus, la mise en production durant la période étudiée de 417 000 km2 forêts qui n’étaient pas gérées auparavant aurait conduit à elle seule à l’émission de 3.5 Pg C (3,5 milliards de tonnes) dans l’atmosphère en estimant que par rapport à une forêt gérée, le carbone stocké dans une forêt non gérée est moindre de 24% pour la biomasse vivante, de 43% pour le bois mort, de 8% pour la litière et de 6% pour le sol. Seule une petite partie aurait été compensée par le reboisement de 386 000Km2 de parcelles agricoles à partir de 1850 et par un enrésinement des boisements.
Forts de ces résultats, les auteurs peuvent conclure que : « not all forest management contributes to climate change mitigation.» (Ce n’est pas le cas que n’importe quelle gestion forestière contribue à réduire le changement climatique.)
Comme le précisent les auteurs « Les forestiers ont favorisé une poignée d'espèce d'arbres commercialement rentables (le Pin sylvestre, le sapin de la Norvège et le hêtre) et, de cette manière, ils sont en grande partie responsables de la distribution actuelle des espèces de conifères et de feuillus ». Les forestiers cherchaient avant tout à satisfaire les demandes en bois d’une population sans cesse croissante qui fait plus que quadrupler passant de 140 000 000 habitants en 1750 580 000 000 en 2010, d’où la mise en exploitation de forêts laissées en évolution libre. C’est aussi pour satisfaire la demande qu’ils convertirent les taillis en futaies. Il ne s’agissait évidemment pas pour eux de gérer les forêts pour en faire des puits de carbone ; les politiques d’atténuation du changement climatique n’étant apparues que trèsrécemment.
Bien entendu, les résultats publiés dans cet article ne vont pas dans le sens des sylviculteurs productivistes. Ils remettent en cause l’idée qu’une gestion des forêts dans le but de production commerciale intensive de bois permettrait de faire du même coup que les surfaces boisées ainsi traitées contribuent à l’atténuation du changement climatique.
Dans un article précédent (ici) j’ai rappelé comment les plantations de résineux, jointes à une sylviculture dite « dynamique » détruisaient les forêts véritables. Cette exploitation intensive antinature obéit à des impératifs de rentabilité mais se targue néanmoins d’être écologique en s’enrôlant sous la bannière de la « lutte contre le réchauffement climatique » au prétexte que cette forme de gestion renforce le rôle de puits de carbone joué par ces surfaces boisées. C’est ainsi que la dénaturation de la forêt française – et en fin de compte son sacrifice – pourrait se poursuivre, voire s’intensifier avec l’onction de politiciens « écologistes » au nom de la transition énergétique et du primat donné aux politiques climatiques.
Or, si les résultats que publient ces chercheurs se confirment, les politiques d’atténuation du changement climatique ne pourront plus être invoquées pour justifier une sylviculture productiviste. Au contraire, la défense d’une politique forestière qui respecte la diversité et préserve ce qui reste de naturalité de nos forêts pourra s’appuyer sur un argument supplémentaire : les forêts non exploitées stockent sur le long terme plus de carbone que celles qui le sont.
On notera que Seid et al. (2007, p.73) avaient obtenu un résultat analogue dans un contexte et selon des méthodes différentes. Selon ces auteurs, si l’on considère une période de 100 ans, la «préservation intégrale » est ce qui permet d’obtenir la plus grande quantité de carbone séquestré grâce à la croissance du bois sur pied et à l’accumulation de bois mort, mais pour eux cette forme de non gestion n’est qu’une «référence biologique» pour situer les autres modes de gestion qu’ils envisagent et non une gestion réalisable (a feasible management alternative) principalement pour des raisons économiques et d’admissibilité sociale.
********
II – Contacté par le journal Le Monde, Jean-Luc Peyron, le directeur du groupement d’intérêt public sur les écosystèmes forestiers Ecofore reprend la doctrine traditionnelle : la forêt en France ayant doublé sa superficie et quintuplé son rendement à l’hectare, séquestrerait 8 % des émissions nationales annuelles de gaz à effet de serre (15% selon l’ADME 2016 soit presque le double : un tel écart fait problème !). Mais ni cette extension, ni cette productivité améliorée (obtenue principalement par l’enrésinement des parcelles, l’apport d’engrais et de pesticides au bilan carbone douteux) ne sont contestées par les chercheurs de l’IPSL. Ce qu’ils ont montré est que cette séquestration n’est que temporaire alors que sur le long terme, le stock de carbone dans les forêts en libre évolution est supérieur.
Un autre argument invoqué par Jean-Luc Peyron que l’on retrouve aussi dans un autre contexte dans des écrits de l’ADME consiste à prétendre qu’une forêt gérée résiste mieux aux tempêtes et aux sècheresses génératrices d’incendie que les forêts en libre évolution, donc avec moins de risque de déstockage brutal de carbone. La section suivante est consacrée à une critique de cet argument. On envisagera d’abord les tempêtes puis les incendies.
*********
III – Au préalable il faut souligner que, dans les deux cas, ce déstockage ne serait jamais qu’ « une dette carbone » qui serait compensée au bout d’un « temps de retour » plus ou moins long.
Les analyses des dégâts occasionnés dans les forêts françaises après la tempête de 1999 montrent à tout le moins que les choses ne sont pas aussi tranchées, pour ne pas dire plus, en ce qui concerne la résistance aux tempêtes.
Pour ce qui est des peuplements, est confirmée la situation « très défavorable des peuplements résineux quant à la résistance au vent, notamment pour l'épicéa commun et le douglas qui ont été les principales essences utilisées en reboisement : 10 à 15% des peuplements sont instables, 50 à 55% sont susceptibles de le devenir après une intervention sylvicole ; les peuplements stables n'occupent qu'un tiers de la surface. Le sapin pectiné présente un profil similaire. En ce qui concerne les autres essences, et avec des réserves sur la pertinence de la classification, la situation semble moins préoccupante pour le pin sylvestre et les pins autres que le pin maritime ; ce dernier ainsi que les autres résineux se situent dans une position intermédiaire. » (Pignard, G. 2000, p. 196) En substituant des peuplements d’épicéas communs et de douglas en peuplements souvent mono-spécifiques aux peuplements feuillus naturels, la Ce n’est que dans ce type de boisements que l’on a pu constater des effets « châteaux de cartes » dévastateurs.Ce n’est que dans ce type de boisements que l’on a pu constater des effets « châteaux de cartes » dévastateurs.
Bien entendu, les résultats publiés dans cet article ne vont pas dans le sens des sylviculteurs productivistes. Ils remettent en cause l’idée qu’une gestion des forêts dans le but de production commerciale intensive de bois permettrait de faire du même coup que les surfaces boisées ainsi traitées contribuent à l’atténuation du changement climatique.
Dans un article précédent (ici) j’ai rappelé comment les plantations de résineux, jointes à une sylviculture dite « dynamique » détruisaient les forêts véritables. Cette exploitation intensive antinature obéit à des impératifs de rentabilité mais se targue néanmoins d’être écologique en s’enrôlant sous la bannière de la « lutte contre le réchauffement climatique » au prétexte que cette forme de gestion renforce le rôle de puits de carbone joué par ces surfaces boisées. C’est ainsi que la dénaturation de la forêt française – et en fin de compte son sacrifice – pourrait se poursuivre, voire s’intensifier avec l’onction de politiciens « écologistes » au nom de la transition énergétique et du primat donné aux politiques climatiques.
Or, si les résultats que publient ces chercheurs se confirment, les politiques d’atténuation du changement climatique ne pourront plus être invoquées pour justifier une sylviculture productiviste. Au contraire, la défense d’une politique forestière qui respecte la diversité et préserve ce qui reste de naturalité de nos forêts pourra s’appuyer sur un argument supplémentaire : les forêts non exploitées stockent sur le long terme plus de carbone que celles qui le sont.
On notera que Seid et al. (2007, p.73) avaient obtenu un résultat analogue dans un contexte et selon des méthodes différentes. Selon ces auteurs, si l’on considère une période de 100 ans, la «préservation intégrale » est ce qui permet d’obtenir la plus grande quantité de carbone séquestré grâce à la croissance du bois sur pied et à l’accumulation de bois mort, mais pour eux cette forme de non gestion n’est qu’une «référence biologique» pour situer les autres modes de gestion qu’ils envisagent et non une gestion réalisable (a feasible management alternative) principalement pour des raisons économiques et d’admissibilité sociale.
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II – Contacté par le journal Le Monde, Jean-Luc Peyron, le directeur du groupement d’intérêt public sur les écosystèmes forestiers Ecofore reprend la doctrine traditionnelle : la forêt en France ayant doublé sa superficie et quintuplé son rendement à l’hectare, séquestrerait 8 % des émissions nationales annuelles de gaz à effet de serre (15% selon l’ADME 2016 soit presque le double : un tel écart fait problème !). Mais ni cette extension, ni cette productivité améliorée (obtenue principalement par l’enrésinement des parcelles, l’apport d’engrais et de pesticides au bilan carbone douteux) ne sont contestées par les chercheurs de l’IPSL. Ce qu’ils ont montré est que cette séquestration n’est que temporaire alors que sur le long terme, le stock de carbone dans les forêts en libre évolution est supérieur.
Un autre argument invoqué par Jean-Luc Peyron que l’on retrouve aussi dans un autre contexte dans des écrits de l’ADME consiste à prétendre qu’une forêt gérée résiste mieux aux tempêtes et aux sècheresses génératrices d’incendie que les forêts en libre évolution, donc avec moins de risque de déstockage brutal de carbone. La section suivante est consacrée à une critique de cet argument. On envisagera d’abord les tempêtes puis les incendies.
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III – Au préalable il faut souligner que, dans les deux cas, ce déstockage ne serait jamais qu’ « une dette carbone » qui serait compensée au bout d’un « temps de retour » plus ou moins long.
Les analyses des dégâts occasionnés dans les forêts françaises après la tempête de 1999 montrent à tout le moins que les choses ne sont pas aussi tranchées, pour ne pas dire plus, en ce qui concerne la résistance aux tempêtes.
Pour ce qui est des peuplements, est confirmée la situation « très défavorable des peuplements résineux quant à la résistance au vent, notamment pour l'épicéa commun et le douglas qui ont été les principales essences utilisées en reboisement : 10 à 15% des peuplements sont instables, 50 à 55% sont susceptibles de le devenir après une intervention sylvicole ; les peuplements stables n'occupent qu'un tiers de la surface. Le sapin pectiné présente un profil similaire. En ce qui concerne les autres essences, et avec des réserves sur la pertinence de la classification, la situation semble moins préoccupante pour le pin sylvestre et les pins autres que le pin maritime ; ce dernier ainsi que les autres résineux se situent dans une position intermédiaire. » (Pignard, G. 2000, p. 196) En substituant des peuplements d’épicéas communs et de douglas en peuplements souvent mono-spécifiques aux peuplements feuillus naturels, la Ce n’est que dans ce type de boisements que l’on a pu constater des effets « châteaux de cartes » dévastateurs.Ce n’est que dans ce type de boisements que l’on a pu constater des effets « châteaux de cartes » dévastateurs.
En outre si l’on raisonne en termes de naturalité, les chablis et volis dans les boisements des réserves naturelles occasionnés par la tempête de 1999 n’ont pas porté atteinte à ces boisements sur le moyen terme. Ils sont même souvent considérés comme bénéfiques pourson évolution.
Enfin du point de vue de la séquestration du C, une partie de ce C stockée dans le bois des chablis sera reprise dans le sol, celle émise dans l’atmosphère lors du processus de dégradation sera reprise lors de la reconquête du chablis. Si en flux il y a émission de CO2, en stock le bilan de la décomposition au terme de la régénération et en attendant la nouvelle dégradation est nul.
Il faut ajouter un autre effet bénéfique du vent. Alors que les tempêtes d’intensité exceptionnelle telles que celles de 1990 ou de 1999 abattent arbres sains et malades, les arbres abattus par les tempêtes en années « normales » sont principalement des arbres souffrant de maladies affectant leur résistance mécanique comme par exemple les chênes parasités par les collybies (collybia fusipes) : «le risque de chablis en forêt d’Amance serait 7,8 fois plus important pour les chênes fortement infectés que pour les chênes sains » (Drouineau, S. 2000, p. 162). L’auteur considère qu’il y a là un effet « d’écrémage » qui est masqué en cas de fortes tempêtes : « Les tempêtes ont pour effet premier d’écrémer les arbres fragilisés. À des vitesses de vent critiques, l’effet est dilué par l’apparition en masse de dégâts affectant des arbres et des peuplements sains. » Cet effet d’écrémage assainit les boisements. C’est pourquoi dans les chablis de la tempête de 1999 on trouve moins d’arbres parasités que dans celle de 1990. Cette dernières et les tempêtes ayant eu lieu entre temps à des vitesses sub-critiques ayant fait tomber les arbres dont la maladie affectait la résistance mécanique : « Ce même effet d’écrémage est invoqué par Piou, dans le cas de deux tempêtes se succédant à quelques années d’intervalle, pour expliquer que les taux d’infection racinaire des arbres abattus par la seconde tempête soient nettement moindres que pour les arbres abattus par la première (observation réalisée à l’Arboretum des Barres suite aux tempêtes de 1990 et 1999) » (Id. même page).
Concernant les incendies, il faudrait rappeler tout d’abord que les incendies de forêts sont à 90 % d’origine humaine lorsque l’origine du départ de feu est connue ; parmi les causes naturelles, c’est la foudre qui est la plus fréquente (Magnier, 2011). Donc la question principale en la matière est comment préserver les forêts des risques d’incendie que leur font courir les hommes, leurs installations, leurs infrastructures et leurs activités sans même parler des pyromanes. Elle se pose avec une acuité toute particulière en ce qui concerne la forêt méditerranéenne, mais pas seulement.
Il faut remarquer qu’une forêt qui a subi un incendie n’est pas morte pour autant. Dans les forêts qui sont le plus exposées à des feux comme les forêts méditerranéennes, une sélection naturelle s’est opérée au profit d’espèces pyrophytes, c’est-à-dire des espèces qui ont une bonne capacité de résistance au feu ou qui peuvent en tirer profit.
Parmi les arbres pyrophytes, on peut citer les pins d’Alep ou pins blancs de Provence. Leurs cônes leur servent de banques de graines aériennes. Dans ces cônes fermés par de la résine les graines peuvent rester en dormance plusieurs années en attendant qu’adviennent des conditions favorables à leur germination, c’est-à-dire un feu de forêt. La chaleur fait fondre la résine, ce qui permettra l’ouverture des cônes. Les graines tombent sur un sol libéré de la concurrence des autres espèces et fertilisé par les cendres, ce qui va favoriser la germination et accélérer la levée des graines. Après un feu, ils sont les premiers à recoloniser un territoire amorçant ainsi les successions qui vont reconstituer la forêt brûlée. Il y a aussi des arbres tels les chênes-lièges qui peuvent supporter un incendie grâce à leur écorce extrêmement épaisse, ce qui est rare chez les feuillus. Les autres feuillus se régénèreront moins vite que les pins blancs de Provence à partir de rejets de leurs souches restées vivantes dans le sol. La forêt incendiée finira par se reconstituer à l’identique sans que les hommes aient besoin de s’en mêler.
Enfin du point de vue de la séquestration du C, une partie de ce C stockée dans le bois des chablis sera reprise dans le sol, celle émise dans l’atmosphère lors du processus de dégradation sera reprise lors de la reconquête du chablis. Si en flux il y a émission de CO2, en stock le bilan de la décomposition au terme de la régénération et en attendant la nouvelle dégradation est nul.
Il faut ajouter un autre effet bénéfique du vent. Alors que les tempêtes d’intensité exceptionnelle telles que celles de 1990 ou de 1999 abattent arbres sains et malades, les arbres abattus par les tempêtes en années « normales » sont principalement des arbres souffrant de maladies affectant leur résistance mécanique comme par exemple les chênes parasités par les collybies (collybia fusipes) : «le risque de chablis en forêt d’Amance serait 7,8 fois plus important pour les chênes fortement infectés que pour les chênes sains » (Drouineau, S. 2000, p. 162). L’auteur considère qu’il y a là un effet « d’écrémage » qui est masqué en cas de fortes tempêtes : « Les tempêtes ont pour effet premier d’écrémer les arbres fragilisés. À des vitesses de vent critiques, l’effet est dilué par l’apparition en masse de dégâts affectant des arbres et des peuplements sains. » Cet effet d’écrémage assainit les boisements. C’est pourquoi dans les chablis de la tempête de 1999 on trouve moins d’arbres parasités que dans celle de 1990. Cette dernières et les tempêtes ayant eu lieu entre temps à des vitesses sub-critiques ayant fait tomber les arbres dont la maladie affectait la résistance mécanique : « Ce même effet d’écrémage est invoqué par Piou, dans le cas de deux tempêtes se succédant à quelques années d’intervalle, pour expliquer que les taux d’infection racinaire des arbres abattus par la seconde tempête soient nettement moindres que pour les arbres abattus par la première (observation réalisée à l’Arboretum des Barres suite aux tempêtes de 1990 et 1999) » (Id. même page).
Concernant les incendies, il faudrait rappeler tout d’abord que les incendies de forêts sont à 90 % d’origine humaine lorsque l’origine du départ de feu est connue ; parmi les causes naturelles, c’est la foudre qui est la plus fréquente (Magnier, 2011). Donc la question principale en la matière est comment préserver les forêts des risques d’incendie que leur font courir les hommes, leurs installations, leurs infrastructures et leurs activités sans même parler des pyromanes. Elle se pose avec une acuité toute particulière en ce qui concerne la forêt méditerranéenne, mais pas seulement.
Il faut remarquer qu’une forêt qui a subi un incendie n’est pas morte pour autant. Dans les forêts qui sont le plus exposées à des feux comme les forêts méditerranéennes, une sélection naturelle s’est opérée au profit d’espèces pyrophytes, c’est-à-dire des espèces qui ont une bonne capacité de résistance au feu ou qui peuvent en tirer profit.
Parmi les arbres pyrophytes, on peut citer les pins d’Alep ou pins blancs de Provence. Leurs cônes leur servent de banques de graines aériennes. Dans ces cônes fermés par de la résine les graines peuvent rester en dormance plusieurs années en attendant qu’adviennent des conditions favorables à leur germination, c’est-à-dire un feu de forêt. La chaleur fait fondre la résine, ce qui permettra l’ouverture des cônes. Les graines tombent sur un sol libéré de la concurrence des autres espèces et fertilisé par les cendres, ce qui va favoriser la germination et accélérer la levée des graines. Après un feu, ils sont les premiers à recoloniser un territoire amorçant ainsi les successions qui vont reconstituer la forêt brûlée. Il y a aussi des arbres tels les chênes-lièges qui peuvent supporter un incendie grâce à leur écorce extrêmement épaisse, ce qui est rare chez les feuillus. Les autres feuillus se régénèreront moins vite que les pins blancs de Provence à partir de rejets de leurs souches restées vivantes dans le sol. La forêt incendiée finira par se reconstituer à l’identique sans que les hommes aient besoin de s’en mêler.
Melanophila acuminata
Parmi les espèces pyrophytes, il y a aussi des insectes et des champignons. Parmi les insectes, on peut citer des coléoptères notamment Melanophila acuminata et Melanophila cuspidata qui se reproduisent sur les troncs brulés et que l’on retrouve en quantité dans les pinèdes incendiées (Léveillé, 2013). Melanophila acuminata serait dotée d’un capteur sensoriel spécial lui permettant de détecter la fumée et la chaleur se dégageant d’une forêt qui brûle et ainsi s’orienter vers elle (Léveillé, 2013). Parmi les champignons qui poussent sur les troncs brûlés, il y a Geopyxis carbonaria, Ascobolus carbonarius, Peziza petersii, Pyronema confluens. En revanche les tortues d’Herman sont, elles, des victimes de ces incendies. Comme pour tout bouleversement d’un milieu, il y a des gagnants et des perdants. Considérés globalement, les incendies s’ils n’étaient que d’origine naturelle seraient suffisamment espacés pour jouer un rôle positif dans l’évolution naturelle des forêts en leur permettant de se régénérer. Un incendie a des effets complexes (dégagement de chaleur mais aussi fumées) mais le bilan carbone en stock est nul au bout d’un temps T’ puisque tout le CO2 relâché dans l’atmosphère sera repris à nouveau lors du processus de reconstitution naturelle à l’identique de la forêt incendiée à T.
Pour éviter les malentendus, précisons qu’ici nous n’envisageons pas les pertes commerciales, ni les dommages aux biens ou aux personnes lors de ces incendies de forêt. Ce sont ces dommages qui nécessitent et justifient que l’on combatte de tels incendies en France, que l’on édicte des règles d’urbanisme et que l’on réalise des aménagements pour tenter de les éviter ou en maîtriser l’ampleur. Dans des parcs nationaux de grande étendue comme aux USA le problème ne se pose évidemment pas dans les mêmes termes en ce qui concerne la protection des biens et des personnes. Signalons au passage que l’épaisseur et les propriétés de l’écorce des grands séquoias les rendent capables de résister sans dommage à un incendie. Bien plus comme dans le cas des pins d’Alep, les cônes étonnamment petits de ces arbres gigantesques ne s’ouvrent qu’à la chaleur. Pauvres en réserves nutritives, les graines ont absolument besoin de la fertilisation des sols par les cendres pour se développer.Donc en résumé, les forêts en libre évolution se débrouillent bien toutes seules, sans l’intervention de forestiers, pour supporter les tempêtes et passer entre les flammes des incendies s’ils sont suffisamment espacés. Mais en cas d’incendies à répétition, le forestier est lui aussi impuissant. Bien plus, tempêtes et incendies sont des perturbations naturelles qui sont bénéfiques en assainissant les boisements et en permettant leur régénération.
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Pour éviter les malentendus, précisons qu’ici nous n’envisageons pas les pertes commerciales, ni les dommages aux biens ou aux personnes lors de ces incendies de forêt. Ce sont ces dommages qui nécessitent et justifient que l’on combatte de tels incendies en France, que l’on édicte des règles d’urbanisme et que l’on réalise des aménagements pour tenter de les éviter ou en maîtriser l’ampleur. Dans des parcs nationaux de grande étendue comme aux USA le problème ne se pose évidemment pas dans les mêmes termes en ce qui concerne la protection des biens et des personnes. Signalons au passage que l’épaisseur et les propriétés de l’écorce des grands séquoias les rendent capables de résister sans dommage à un incendie. Bien plus comme dans le cas des pins d’Alep, les cônes étonnamment petits de ces arbres gigantesques ne s’ouvrent qu’à la chaleur. Pauvres en réserves nutritives, les graines ont absolument besoin de la fertilisation des sols par les cendres pour se développer.Donc en résumé, les forêts en libre évolution se débrouillent bien toutes seules, sans l’intervention de forestiers, pour supporter les tempêtes et passer entre les flammes des incendies s’ils sont suffisamment espacés. Mais en cas d’incendies à répétition, le forestier est lui aussi impuissant. Bien plus, tempêtes et incendies sont des perturbations naturelles qui sont bénéfiques en assainissant les boisements et en permettant leur régénération.
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Cônes de pins d'Alep
IV – Une des conséquences que l’on peut tirer des résultats publiés dans l’article de Science est que le renforcement de l’exploitation des forêts par le développement des filières bois/énergie et dans une moindre mesure bois/matériaux peut entrer contradiction avec une politique d’atténuation du changement climatique et ne peut plus être considérée comme étant automatiquement en synergie avec elle.
Pour les exploitants forestiers français partisans d’une sylviculture productiviste (qui avance souvent masquée) cette conséquence n’est pas acceptable. Pour eux comme pour l’ADME, il faut prendre en compte non seulement « l’effet de séquestration » du carbone mais aussi « l’effet de substitution », c’est-à-dire les émissions de CO2 évitées en substituant un produit du bois à des combustibles ou des matériaux dont la fabrication est génératrice de gaz à effet de serre.
Pour Jean-Luc Peyron cité par Le Monde « cette étude ne dresse pas le bilan carbone complet des forêts » parce qu’elle ne prend pas en compte « l’effet de substitution ».
Si cette critique était pertinente et correcte, elle aurait pour conséquence de restaurer la possibilité d’une convergence automatique entre une exploitation productiviste des forêts et les politiques d’atténuation du changement climatique jugées à tort ou à raison prioritaires aujourd’hui. Son examen a donc un intérêt pratique. Mais il a aussi un intérêt théorique en permettant de distinguer plus nettement entre deux objectifs de politiques publiques qui sont souvent présentés comme allant de pair et par là même souvent confondus.
Avant d’envisager la pertinence de l’argument, il faut noter qu’en ne prenant pas en compte les effets de substitution, les auteurs de cet article de Science n’ont fait que se conformer à la comptabilisation de l’Europe en matière d’émission de gaz à effet de serre. Selon cette comptabilisation, les émissions évitées par l’utilisation du bois récolté doivent être comptabilisées dans les secteurs de l’industrie et de l’énergie et pas dans le secteur UTCATF (Utilisation des Terres, Changements d’Affectation des Terres et Foresterie). Peut-on reprocher aux auteurs de l’étude de ne pas avoir pris en compte l’effet de substitution conformément à ces règles de comptabilisation qui sont celles qui ont été adoptées lors de la conférence sur le climat de Durban ?
On remarquera que la valeur de l’effet de substitution pour un usage ou une fabrication donnée va varier considérablement selon l’origine de l’énergie utilisée pour cet usage ou cette fabrication. S’il s’agit par exemple de l’électricité utilisée comme chauffage ou pour produire de l’aluminium, tout va dépendre de son origine : hydroélectrique, photovoltaïque, éolienne ou nucléaire, la substitution n’entraînera aucune réduction d’émission de CO2. Elle ne sera pas du même ordre s’il s’agit de gaz ou de charbon… Dans certains cas, il se pourrait même que l’effet de substitution ait des conséquences négatives en matière d’émission de CO2. Bref, le calcul de l’effet de substitution va dépendre du mix énergétique d’origine qu’il va modifier et d’autres variables comme l’énergie utilisée pour « récolter » le bois, le transformer, etc., les temps de retour carbone…
L’effet de substitution est donc à prendre en compte pour évaluer le bilan carbone d’un mix énergétique pour une utilisation donnée, pas pour calculer celui de la gestion d’une forêt qui va rester identique alors que la valeur de l’effet de substitution correspondra au Δ des émissions de CO2 entre les valeurs du mix initial et du nouveau mix intégrant le bois, variable selon les types d’énergie mises en jeu.
L’argument n’est donc pas pertinent. L’effet de substitution de l’utilisation du bois/énergie et du bois/matériaux ne concerne pas le bilan carbone de la forêt mais celui d’une industrie donnée dans un contexte énergétique donné.
C’est donc bien un bilan carbone complet des forêts que dresse l’article de Science, ou s’il n’était pas complet, ce serait pour d’autres raisons à découvrir mais pas parce qu’il ne prend pas en compte les effets de substitution causés par l’introduction de produits du bois dans un mix énergétique. Et sur le pas de temps étudié, la quantité d’émission de carbone a été supérieure à la quantité stockée parce que la forêt a été exploitée et modifiée dans la répartition de ses essences précisément pour produire plus de produits du bois.
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V – Ce n’est que dans le cadre d’une politique globale de réduction d’émission de CO2 que l’on peut prendre en compte l’effet de substitution pour estimer l’intérêt de la filière bois/énergie et de la filière bois/matériaux. Il s’agit alors de savoir si l’effet de substitution est suffisant pour effacer la dette carbone que la gestion de la forêt a contractée pour maximiser les productions que l’on peut en tirer. Et si le temps de retour est suffisamment court pour que cet effet de substitution joue effectivement un rôle dans l’atténuation du changement climatique.
On peut remarquer que sur l’échelle de temps étudiée par Naudts et al., la filière bois qu’elle soit énergie ou matériaux a fonctionné à plein régime entraînant un déclin des surfaces boisées. Ce déclin s’est inversé et la pénurie de bois a cessé à partir de 1850, précisément lorsque d’autres matériaux et sources d’énergie ont été substituées au bois et notamment « le charbon de terre » au « charbon de bois » et qu’a été mise en œuvre une gestion « scientifique » des forêts (voir aussi McGrath et al., 2015).
Il est donc quelque peu cavalier de dire que « les effets de substitution ne sont pas limités » (ADEME 2015a). Les effets de substitution ont une limite parce que la substitution qui respecte une sylviculture durable, c’est-à-dire qui n’entame pas les boisements, est limitée à la production brute de bois de ces boisements. Donc en ce sens les effets de substitution sont limités aussi, sauf à accepter une « dette de carbone » permanente. En d’autres termes, sauf à entamer le capital forestier, on ne peut exploiter la forêt plus vite qu’elle se régénère. De plus en exploitant plus intensément les forêts, même si c’est de façon « durable », c’est-à-dire sans diminuer les boisements, il y a renforcement du déstockage de C, émission de CO2 et augmentation de la dette carbone.
Selon l’ADME pour contrebalancer ces émissions de C02 et pour repousser les limites des effets de substitution, il faudrait constituer des capacités de stockage supplémentaires, en d’autres termes accroître la productivité des forêts par la conversion de taillis en futaie, la sur-densification des futaies, l’augmentation de densité des plantations et, cerise sur le gâteau : « l’amélioration génétique ».
La conversion des taillis en futaies n’est pas nouvelle (Cf. McGrath et al., 2015). C’est même une des caractéristiques de l’évolution du couvert forestier sur les deux siècles et demi étudiés par Naudts et al. Cela n’a pas empêché l’accumulation d’émission de CO2 non compensées.
La surdensification des futaies est une des causes de moindre résistance d’un peuplement au vent (voir ci-dessus § III). Elle risque d’induire des déficits hydriques. Elle a aussi comme conséquence un appauvrissement des sols d’autant que l’exploitation des rémanents prive ces sols de nutriments, notamment en azote et carbone. Pour compenser cette perte, il faut introduire des fertilisants tandis qu’une plus grande sensibilité aux maladies implique le recours à des traitements chimiques. Enfin, l’amélioration génétique, même sans recours à l’ingénierie génétique est la porte ouverte à une artificialisation supplémentaire.
De plus, pour obtenir une régénération la plus rapide possible, l’ADME et les forestiers productivistes proposent une régulation sévère du gibier, comprenons le moins possible de grands ongulés (cerfs et chevreuil) à l’hectare en exterminant par chasseurs interposés les bêtes jugées en surnombre. C’est ce que ces gestionnaires appellent l’équilibre forêt-gibier.
Pour les exploitants forestiers français partisans d’une sylviculture productiviste (qui avance souvent masquée) cette conséquence n’est pas acceptable. Pour eux comme pour l’ADME, il faut prendre en compte non seulement « l’effet de séquestration » du carbone mais aussi « l’effet de substitution », c’est-à-dire les émissions de CO2 évitées en substituant un produit du bois à des combustibles ou des matériaux dont la fabrication est génératrice de gaz à effet de serre.
Pour Jean-Luc Peyron cité par Le Monde « cette étude ne dresse pas le bilan carbone complet des forêts » parce qu’elle ne prend pas en compte « l’effet de substitution ».
Si cette critique était pertinente et correcte, elle aurait pour conséquence de restaurer la possibilité d’une convergence automatique entre une exploitation productiviste des forêts et les politiques d’atténuation du changement climatique jugées à tort ou à raison prioritaires aujourd’hui. Son examen a donc un intérêt pratique. Mais il a aussi un intérêt théorique en permettant de distinguer plus nettement entre deux objectifs de politiques publiques qui sont souvent présentés comme allant de pair et par là même souvent confondus.
Avant d’envisager la pertinence de l’argument, il faut noter qu’en ne prenant pas en compte les effets de substitution, les auteurs de cet article de Science n’ont fait que se conformer à la comptabilisation de l’Europe en matière d’émission de gaz à effet de serre. Selon cette comptabilisation, les émissions évitées par l’utilisation du bois récolté doivent être comptabilisées dans les secteurs de l’industrie et de l’énergie et pas dans le secteur UTCATF (Utilisation des Terres, Changements d’Affectation des Terres et Foresterie). Peut-on reprocher aux auteurs de l’étude de ne pas avoir pris en compte l’effet de substitution conformément à ces règles de comptabilisation qui sont celles qui ont été adoptées lors de la conférence sur le climat de Durban ?
On remarquera que la valeur de l’effet de substitution pour un usage ou une fabrication donnée va varier considérablement selon l’origine de l’énergie utilisée pour cet usage ou cette fabrication. S’il s’agit par exemple de l’électricité utilisée comme chauffage ou pour produire de l’aluminium, tout va dépendre de son origine : hydroélectrique, photovoltaïque, éolienne ou nucléaire, la substitution n’entraînera aucune réduction d’émission de CO2. Elle ne sera pas du même ordre s’il s’agit de gaz ou de charbon… Dans certains cas, il se pourrait même que l’effet de substitution ait des conséquences négatives en matière d’émission de CO2. Bref, le calcul de l’effet de substitution va dépendre du mix énergétique d’origine qu’il va modifier et d’autres variables comme l’énergie utilisée pour « récolter » le bois, le transformer, etc., les temps de retour carbone…
L’effet de substitution est donc à prendre en compte pour évaluer le bilan carbone d’un mix énergétique pour une utilisation donnée, pas pour calculer celui de la gestion d’une forêt qui va rester identique alors que la valeur de l’effet de substitution correspondra au Δ des émissions de CO2 entre les valeurs du mix initial et du nouveau mix intégrant le bois, variable selon les types d’énergie mises en jeu.
L’argument n’est donc pas pertinent. L’effet de substitution de l’utilisation du bois/énergie et du bois/matériaux ne concerne pas le bilan carbone de la forêt mais celui d’une industrie donnée dans un contexte énergétique donné.
C’est donc bien un bilan carbone complet des forêts que dresse l’article de Science, ou s’il n’était pas complet, ce serait pour d’autres raisons à découvrir mais pas parce qu’il ne prend pas en compte les effets de substitution causés par l’introduction de produits du bois dans un mix énergétique. Et sur le pas de temps étudié, la quantité d’émission de carbone a été supérieure à la quantité stockée parce que la forêt a été exploitée et modifiée dans la répartition de ses essences précisément pour produire plus de produits du bois.
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V – Ce n’est que dans le cadre d’une politique globale de réduction d’émission de CO2 que l’on peut prendre en compte l’effet de substitution pour estimer l’intérêt de la filière bois/énergie et de la filière bois/matériaux. Il s’agit alors de savoir si l’effet de substitution est suffisant pour effacer la dette carbone que la gestion de la forêt a contractée pour maximiser les productions que l’on peut en tirer. Et si le temps de retour est suffisamment court pour que cet effet de substitution joue effectivement un rôle dans l’atténuation du changement climatique.
On peut remarquer que sur l’échelle de temps étudiée par Naudts et al., la filière bois qu’elle soit énergie ou matériaux a fonctionné à plein régime entraînant un déclin des surfaces boisées. Ce déclin s’est inversé et la pénurie de bois a cessé à partir de 1850, précisément lorsque d’autres matériaux et sources d’énergie ont été substituées au bois et notamment « le charbon de terre » au « charbon de bois » et qu’a été mise en œuvre une gestion « scientifique » des forêts (voir aussi McGrath et al., 2015).
Il est donc quelque peu cavalier de dire que « les effets de substitution ne sont pas limités » (ADEME 2015a). Les effets de substitution ont une limite parce que la substitution qui respecte une sylviculture durable, c’est-à-dire qui n’entame pas les boisements, est limitée à la production brute de bois de ces boisements. Donc en ce sens les effets de substitution sont limités aussi, sauf à accepter une « dette de carbone » permanente. En d’autres termes, sauf à entamer le capital forestier, on ne peut exploiter la forêt plus vite qu’elle se régénère. De plus en exploitant plus intensément les forêts, même si c’est de façon « durable », c’est-à-dire sans diminuer les boisements, il y a renforcement du déstockage de C, émission de CO2 et augmentation de la dette carbone.
Selon l’ADME pour contrebalancer ces émissions de C02 et pour repousser les limites des effets de substitution, il faudrait constituer des capacités de stockage supplémentaires, en d’autres termes accroître la productivité des forêts par la conversion de taillis en futaie, la sur-densification des futaies, l’augmentation de densité des plantations et, cerise sur le gâteau : « l’amélioration génétique ».
La conversion des taillis en futaies n’est pas nouvelle (Cf. McGrath et al., 2015). C’est même une des caractéristiques de l’évolution du couvert forestier sur les deux siècles et demi étudiés par Naudts et al. Cela n’a pas empêché l’accumulation d’émission de CO2 non compensées.
La surdensification des futaies est une des causes de moindre résistance d’un peuplement au vent (voir ci-dessus § III). Elle risque d’induire des déficits hydriques. Elle a aussi comme conséquence un appauvrissement des sols d’autant que l’exploitation des rémanents prive ces sols de nutriments, notamment en azote et carbone. Pour compenser cette perte, il faut introduire des fertilisants tandis qu’une plus grande sensibilité aux maladies implique le recours à des traitements chimiques. Enfin, l’amélioration génétique, même sans recours à l’ingénierie génétique est la porte ouverte à une artificialisation supplémentaire.
De plus, pour obtenir une régénération la plus rapide possible, l’ADME et les forestiers productivistes proposent une régulation sévère du gibier, comprenons le moins possible de grands ongulés (cerfs et chevreuil) à l’hectare en exterminant par chasseurs interposés les bêtes jugées en surnombre. C’est ce que ces gestionnaires appellent l’équilibre forêt-gibier.
Bref, l’ADEME et les gestionnaires forestiers ne proposent ni plus, ni moins que de reproduire en sylviculture la fuite en avant du productivisme en agriculture avec à terme les dégâts sur l’air, l’eau et les sols, la biodiversité et la naturalité des forêts qui ne seront plus que des plantations d’arbres. Et comme les agriculteurs, les sylviculteurs se plaignent maintenant de l’existence de contraintes environnementales qu’ils estiment, pour le regretter « de plus en plus nombreuses » : « Sur le fond, j’estime que la plupart sont justes et fondées. Néanmoins, sous couvert d’un principe de précaution, utilisées sans discernement, elles sont souvent appliquées de manière excessive, voire absurde. » (Ollivier Patrick, 2009)Accentuer la mise en exploitation de forêt non encore exploitées, « nécessite des politiques ambitieuses de mobilisation de la biomasse. » (ADME, 2015b) Traduction : « nécessite une exploitation plus intensive des forêts et plus d’abattage d’arbres ». Lorsqu’un arbre est réduit par ces technocrates à de la « biomasse », il y a du souci à se faire sur le sort qu’ils réservent à nos forêts !
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VI – Avec cette notion de « effet de substitution », on se meut dans l’irréel pour promouvoir une artificialisation des forêts bien réelle. « Si on avait fait x au lieu de y, alors on aurait obtenu z ». Il s’agit d’un conditionnel « contraire aux faits ». L’antécédent étant faux (on a fait y et non x), la logique nous impose de considérer que le conséquent (on aurait obtenu z) peut être vrai ou faux.
« Si l’on avait chauffé à 20°C ce collège avec une chaudière à mazout au lieu d’une chaudière à bois à haut rendement, on aurait émis x quantités de CO2 en plus ». D’un strict point de vue logique, on ne peut choisir entre cette proposition et sa contraire : « Si l’on avait chauffé à 20°C ce collège avec une chaudière à mazout au lieu d’une chaudière à bois à haut rendement, on n’aurait pas émis x quantités de CO2 en plus ». Cela ne peut être pas être constaté non plus, puisque c’est avec une chaudière à bois que le collège a été chauffé. Au mieux cela peut être calculé voire seulement estimé et il faut prendre en compte « le temps de retour » du carbone, c’est-à-dire le moment où la production de bois a été suffisante pour récupérer via la photosynthèse le carbone émis lors de la combustion, lui aussi estimé. Ces calculs et estimations dépendent d’un faisceau hypothèses qui diffèrent selon les études. Elles dépendent aussi de nombreux paramètres ainsi que de suppositions simplificatrices qui différent également.
Compte tenu de cela, il ne faut donc pas être étonné si tirant le bilan de son analyse fouillée de la littérature internationale spécialisée sur ces questions, Miriam Buitrago Esquinas (2012) conclut : «Même si l’augmentation du prélèvement reste inférieure à l’accroissement, il peut ne pas y avoir de bénéfices [pour le bilan C] dans un premier temps dans les scénarios présentés dans les études de cas analysées. C'est-à-dire que l’application de ces scénarios peuvent conduire à une augmentation des émissions par rapport au scénario « business as usual » à court terme. La temporalité à laquelle les scénarios d’intensification commencent à générer des bénéfices est très variable selon les conditions du territoire (productivité, type de sol, risques d’événement extrême, etc.), le type de gestion forestière (niveau de prélèvement, type de coupe, utilisation de techniques d’augmentation de la production, etc.), distribution entre les différents usages du bois et des valeurs du coefficient de substitution énergétique (type de combustible fossile substitué combiné à l’efficience du produit bois énergie) et les valeurs du coefficient de substitution matériaux (l’intensité GES du type de produit substitué combiné à l’intensité GES du produit bois). » (Souligné par moi, JFD).
Des choix différents dans les paramètres énumérés conduisent à des résultats différents qui expliquent la grande disparité des résultats selon les études considérées, disparités telles qu’il est impossible de généraliser ces résultats. Ce qui permet de comprendre le constat de l’auteure concernant les avis des « acteurs » du domaine : «il est important de souligner qu’il n’existe pas de consensus sur les pratiques sylvicoles optimales vis-à-vis de l’atténuation du changement climatique. Les stratégies peuvent même être complètement opposées par l’arbitrage entre l’effet de substitution et l’effet de stockage (de la dynamisation de la sylviculture, le raccourcissement des révolutions, le façonnement de peuplements moins denses et la mise en place de plantations très productives ou de pratiques qui promeuvent l’allongement de l’âge de coupe, le maintien des forêts denses ou la création de zones de réserves). » (Souligné par moi JFD).
La filière bois est-elle au moins « carbone neutre » si on prend en compte l’effet de substitution ? Certains acteurs en doutent car la filière génère des émissions temporaires, produit une décapitalisation en forêt sans stockage dans les produits (voir Buitrago Esquinas, 2012, p. 83), ce que viennent de prouver les résultats exposés dans l’article de Naudts et al., 2016.
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VII – De ce qui précède il résulte qu’au vu des incertitudes en ce qui concerne l’impact des pratiques sylvicoles sur l’atténuation du changement climatique, il est pour le moins difficile de promouvoir au nom de la « lutte contre le changement climatique » une sylviculture intensive avec des pratiques du même type de celles qui ont cours en agriculture aujourd’hui. De même cette lutte ne peut être invoquée pour une intensification des coupes et pour la mise en gestion de forêts ou d’espaces boisés laissés actuellement en évolution libre pour diverses raisons (morcellement de la propriété, désintérêt des propriétaires, difficulté d’accès, topographie défavorable, contrainte paysagère, etc.).
La forêt naturelle en libre évolution à base de feuillus essentiellement n’est pas cause de la dette de carbone de 3,1 milliards de tonnes. Ce sont les forêts gérées qui le sont. C’est donc le type de gestion qui leur est appliquée qui est responsable de ce bilan. Les forêts conduites pour produire le maximum de bois en un minimum de temps, les coupes rases, l’exportation des rémanents…bref, tout ce qui constitue la continuation, le renforcement voire l’exacerbation de cette gestion conduite au maximum de ses possibilités ne peut qu’aggraver cette dette carbone et donc augmenter l’ampleur du changement climatique au lieu de le réduire.
Or c’est précisément cette gestion ultra productiviste que le gouvernement actuel comme les précédents s’efforce de promouvoir conformément au « Plan d'action national en faveur des énergies renouvelables (PNA EnR) »
Pour s’en convaincre voici deux citations extraites de la littérature ministérielle, la première étant écrite dans un style techno pur jus : « Le fléchage d’une partie du Fonds Chaleur vers la fourniture de biomasse, décidé par la Ministre Ségolène Royal et officialisé dans le cadre du Contrat Stratégique de la Filière Bois signé en décembre 2014, apporte un élément de réponse » à la « mobilisation de la ressource » jugée insuffisante pour remplir les objectifs assignés par le PNA Enr. (Ministère de l’environnement, 2016) et « L’atteinte des objectifs 2020 du PNA EnR supposerait ainsi (…) une croissance de l’ordre de +20 Mm3 du bois récolté en forêt. » Les mêmes causes produisant lesmêmes effets, cette politique française énergétique qui s’appuie principalement sur la filière bois/énergie pour atteindre les 20% de sa consommation finale d’énergie par les énergies renouvelables à l’horizon 2020 entre en contradiction avec la priorité accordée à « la lutte contre le changement climatique » pourtant proclamée haut et fort.
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VI – Avec cette notion de « effet de substitution », on se meut dans l’irréel pour promouvoir une artificialisation des forêts bien réelle. « Si on avait fait x au lieu de y, alors on aurait obtenu z ». Il s’agit d’un conditionnel « contraire aux faits ». L’antécédent étant faux (on a fait y et non x), la logique nous impose de considérer que le conséquent (on aurait obtenu z) peut être vrai ou faux.
« Si l’on avait chauffé à 20°C ce collège avec une chaudière à mazout au lieu d’une chaudière à bois à haut rendement, on aurait émis x quantités de CO2 en plus ». D’un strict point de vue logique, on ne peut choisir entre cette proposition et sa contraire : « Si l’on avait chauffé à 20°C ce collège avec une chaudière à mazout au lieu d’une chaudière à bois à haut rendement, on n’aurait pas émis x quantités de CO2 en plus ». Cela ne peut être pas être constaté non plus, puisque c’est avec une chaudière à bois que le collège a été chauffé. Au mieux cela peut être calculé voire seulement estimé et il faut prendre en compte « le temps de retour » du carbone, c’est-à-dire le moment où la production de bois a été suffisante pour récupérer via la photosynthèse le carbone émis lors de la combustion, lui aussi estimé. Ces calculs et estimations dépendent d’un faisceau hypothèses qui diffèrent selon les études. Elles dépendent aussi de nombreux paramètres ainsi que de suppositions simplificatrices qui différent également.
Compte tenu de cela, il ne faut donc pas être étonné si tirant le bilan de son analyse fouillée de la littérature internationale spécialisée sur ces questions, Miriam Buitrago Esquinas (2012) conclut : «Même si l’augmentation du prélèvement reste inférieure à l’accroissement, il peut ne pas y avoir de bénéfices [pour le bilan C] dans un premier temps dans les scénarios présentés dans les études de cas analysées. C'est-à-dire que l’application de ces scénarios peuvent conduire à une augmentation des émissions par rapport au scénario « business as usual » à court terme. La temporalité à laquelle les scénarios d’intensification commencent à générer des bénéfices est très variable selon les conditions du territoire (productivité, type de sol, risques d’événement extrême, etc.), le type de gestion forestière (niveau de prélèvement, type de coupe, utilisation de techniques d’augmentation de la production, etc.), distribution entre les différents usages du bois et des valeurs du coefficient de substitution énergétique (type de combustible fossile substitué combiné à l’efficience du produit bois énergie) et les valeurs du coefficient de substitution matériaux (l’intensité GES du type de produit substitué combiné à l’intensité GES du produit bois). » (Souligné par moi, JFD).
Des choix différents dans les paramètres énumérés conduisent à des résultats différents qui expliquent la grande disparité des résultats selon les études considérées, disparités telles qu’il est impossible de généraliser ces résultats. Ce qui permet de comprendre le constat de l’auteure concernant les avis des « acteurs » du domaine : «il est important de souligner qu’il n’existe pas de consensus sur les pratiques sylvicoles optimales vis-à-vis de l’atténuation du changement climatique. Les stratégies peuvent même être complètement opposées par l’arbitrage entre l’effet de substitution et l’effet de stockage (de la dynamisation de la sylviculture, le raccourcissement des révolutions, le façonnement de peuplements moins denses et la mise en place de plantations très productives ou de pratiques qui promeuvent l’allongement de l’âge de coupe, le maintien des forêts denses ou la création de zones de réserves). » (Souligné par moi JFD).
La filière bois est-elle au moins « carbone neutre » si on prend en compte l’effet de substitution ? Certains acteurs en doutent car la filière génère des émissions temporaires, produit une décapitalisation en forêt sans stockage dans les produits (voir Buitrago Esquinas, 2012, p. 83), ce que viennent de prouver les résultats exposés dans l’article de Naudts et al., 2016.
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VII – De ce qui précède il résulte qu’au vu des incertitudes en ce qui concerne l’impact des pratiques sylvicoles sur l’atténuation du changement climatique, il est pour le moins difficile de promouvoir au nom de la « lutte contre le changement climatique » une sylviculture intensive avec des pratiques du même type de celles qui ont cours en agriculture aujourd’hui. De même cette lutte ne peut être invoquée pour une intensification des coupes et pour la mise en gestion de forêts ou d’espaces boisés laissés actuellement en évolution libre pour diverses raisons (morcellement de la propriété, désintérêt des propriétaires, difficulté d’accès, topographie défavorable, contrainte paysagère, etc.).
La forêt naturelle en libre évolution à base de feuillus essentiellement n’est pas cause de la dette de carbone de 3,1 milliards de tonnes. Ce sont les forêts gérées qui le sont. C’est donc le type de gestion qui leur est appliquée qui est responsable de ce bilan. Les forêts conduites pour produire le maximum de bois en un minimum de temps, les coupes rases, l’exportation des rémanents…bref, tout ce qui constitue la continuation, le renforcement voire l’exacerbation de cette gestion conduite au maximum de ses possibilités ne peut qu’aggraver cette dette carbone et donc augmenter l’ampleur du changement climatique au lieu de le réduire.
Or c’est précisément cette gestion ultra productiviste que le gouvernement actuel comme les précédents s’efforce de promouvoir conformément au « Plan d'action national en faveur des énergies renouvelables (PNA EnR) »
Pour s’en convaincre voici deux citations extraites de la littérature ministérielle, la première étant écrite dans un style techno pur jus : « Le fléchage d’une partie du Fonds Chaleur vers la fourniture de biomasse, décidé par la Ministre Ségolène Royal et officialisé dans le cadre du Contrat Stratégique de la Filière Bois signé en décembre 2014, apporte un élément de réponse » à la « mobilisation de la ressource » jugée insuffisante pour remplir les objectifs assignés par le PNA Enr. (Ministère de l’environnement, 2016) et « L’atteinte des objectifs 2020 du PNA EnR supposerait ainsi (…) une croissance de l’ordre de +20 Mm3 du bois récolté en forêt. » Les mêmes causes produisant lesmêmes effets, cette politique française énergétique qui s’appuie principalement sur la filière bois/énergie pour atteindre les 20% de sa consommation finale d’énergie par les énergies renouvelables à l’horizon 2020 entre en contradiction avec la priorité accordée à « la lutte contre le changement climatique » pourtant proclamée haut et fort.
Aujourd’hui avec son « Projet pilote de mobilisation des bois en Auvergne (PPMBA) » (ADEME 2015c), l’ADME s’en prend dans le département de l’Allier à la forêt auvergnate dont elle veut augmenter la production en mettant en exploitation les petites parcelles des propriétaires privés qui laissaient leur bois en évolution libre. C’est précisément cette mise en exploitation de forêts initialement non gérées qui est une des causes de la dette carbone des forêts que poursuit ce PPMBA avec l’objectif de le généraliser à la France entière et donc d’être un facteur aggravant de cette dette. Y aura-t-il encore demain, en France, quelques boisements en évolution libre ?
On peut craindre une réponse négative à cette question lorsque l’on constate qu’ont été mis au point des moyens d’exploiter les forêts en forte pente, notamment les forêts de montagne, peu exploitées jusqu’à présent faute de techniques adéquates et rentables. Ces forêts en forte pente (> 30%) représentent représente 25% de la surface forestière et 27% de la ressource disponible. L’objectif de la France en matière de développement des bioénergies rend nécessaire la mise en exploitation de « ces nouveaux gisements de biomasse » selon l’expression technocratique consacrée. On voit clairement ici encore, grâce à l’article de Naudts et al. comment cette politique énergétique est en contradiction avec une politique climatique d’utilisation des surfaces forestières pour atténuer le changement climatique et donc en contradiction avec les engagements de la fameuse mais déjà bien oubliée COP 21.
A l’autre bout de la chaîne, la filière bois/énergie a basculé vers le gigantisme industriel. Elle est en train de piller la forêt hexagonale sous prétexte de cogénération chaleur/électricité. La centrale bois/énergie d’Uniper (ex-E.On) à Gardanne destinée à produire de l’électricité et qui ne cogénère même pas de chaleur engloutira 900 000 tonnes de bois par an. Non contente de mettre à sac la forêt française, elle importe du bois venant de la forêt amazonienne.
La centrale bois/énergie d’Areva de Pierrelatte n’en dévore que 150 000 tonnes. Elle met pourtant en coupes réglées et rases la forêt drômoise alors que sa production d’électricité est ridiculement faible à cause d’erreurs de conception.
Avec la centrale du CEA à Saudron dans la Haute-Marne, à proximité de Cigéo, ce sont les forêts de Lorraine qui sont mises à contribution à hauteur de 20% des ressources forestières disponibles de la région (90 000 tonnes) pour expérimenter le projet absurde de fabriquer du diesel de synthèse avec du bois et de transformer ainsi les forêts françaises en puits de pétrole (vite taris vue la quantité de bois consommée)!
Même si l’on néglige l’incompétence et le côté saugrenu de nos Pieds nickelés et autres Géo Trouvetout de la nucléocratie, il reste que les équipements industriels de cogénération électricité/chaleur se multiplient, soutenus par les gouvernements successifs.
Alors que le combat contre la centrale de Gardanne a malheureusement bien peu de chances d’être gagné, on peut rappeler la lutte couronnée de succès contre les projets ERSCIA France, filiale de IBV Belgique qui mettait en danger les forêts morvandelles et sans doute aussi auvergnates. Avec la complicité des élus dont le « frondeur » Christian Paul, député de la Nièvre et Arnaud Montebourg alors ministre, ERSCIA voulait créer un pôle de transformation bois à l’entrée du Parc Naturel du Morvan à SARDY LES EPIRY dans la NIÈVRE (58) en BOURGOGNE. Ce pôle aurait compris entre autres installations, une centrale de cogénération de biomasse avec un gigantesque incinérateur et une fabrication de granulés destinés à produire de l’électricité en BELGIQUE, chez ELECTRABEL, une filiale de GDF/Suez, aujourd’hui ENGIE. Il est probable que les luttes contre des projets de ce type avec création de ZAD ou non vont se multiplier à l’avenir.
On peut craindre une réponse négative à cette question lorsque l’on constate qu’ont été mis au point des moyens d’exploiter les forêts en forte pente, notamment les forêts de montagne, peu exploitées jusqu’à présent faute de techniques adéquates et rentables. Ces forêts en forte pente (> 30%) représentent représente 25% de la surface forestière et 27% de la ressource disponible. L’objectif de la France en matière de développement des bioénergies rend nécessaire la mise en exploitation de « ces nouveaux gisements de biomasse » selon l’expression technocratique consacrée. On voit clairement ici encore, grâce à l’article de Naudts et al. comment cette politique énergétique est en contradiction avec une politique climatique d’utilisation des surfaces forestières pour atténuer le changement climatique et donc en contradiction avec les engagements de la fameuse mais déjà bien oubliée COP 21.
A l’autre bout de la chaîne, la filière bois/énergie a basculé vers le gigantisme industriel. Elle est en train de piller la forêt hexagonale sous prétexte de cogénération chaleur/électricité. La centrale bois/énergie d’Uniper (ex-E.On) à Gardanne destinée à produire de l’électricité et qui ne cogénère même pas de chaleur engloutira 900 000 tonnes de bois par an. Non contente de mettre à sac la forêt française, elle importe du bois venant de la forêt amazonienne.
La centrale bois/énergie d’Areva de Pierrelatte n’en dévore que 150 000 tonnes. Elle met pourtant en coupes réglées et rases la forêt drômoise alors que sa production d’électricité est ridiculement faible à cause d’erreurs de conception.
Avec la centrale du CEA à Saudron dans la Haute-Marne, à proximité de Cigéo, ce sont les forêts de Lorraine qui sont mises à contribution à hauteur de 20% des ressources forestières disponibles de la région (90 000 tonnes) pour expérimenter le projet absurde de fabriquer du diesel de synthèse avec du bois et de transformer ainsi les forêts françaises en puits de pétrole (vite taris vue la quantité de bois consommée)!
Même si l’on néglige l’incompétence et le côté saugrenu de nos Pieds nickelés et autres Géo Trouvetout de la nucléocratie, il reste que les équipements industriels de cogénération électricité/chaleur se multiplient, soutenus par les gouvernements successifs.
Alors que le combat contre la centrale de Gardanne a malheureusement bien peu de chances d’être gagné, on peut rappeler la lutte couronnée de succès contre les projets ERSCIA France, filiale de IBV Belgique qui mettait en danger les forêts morvandelles et sans doute aussi auvergnates. Avec la complicité des élus dont le « frondeur » Christian Paul, député de la Nièvre et Arnaud Montebourg alors ministre, ERSCIA voulait créer un pôle de transformation bois à l’entrée du Parc Naturel du Morvan à SARDY LES EPIRY dans la NIÈVRE (58) en BOURGOGNE. Ce pôle aurait compris entre autres installations, une centrale de cogénération de biomasse avec un gigantesque incinérateur et une fabrication de granulés destinés à produire de l’électricité en BELGIQUE, chez ELECTRABEL, une filiale de GDF/Suez, aujourd’hui ENGIE. Il est probable que les luttes contre des projets de ce type avec création de ZAD ou non vont se multiplier à l’avenir.
Cheminée de la centrale bois E.on (297m) à Gardanne devant les tours de refroidissement de la centrale nucléaire
Non content de promouvoir le renforcement de l’exploitation des forêts pour la production de chaleur et d’électricité, l’Etat voit d’un bon œil l’utilisation du bois pour produire du diesel de synthèse, ce projet soutenu et développé par le CEA. C’est ainsi que l’on peut lire dans le document cité (Ministère de l’environnement…, 2016) « Par ailleurs de nouveaux usages du bois seront également amenés à se développer. La production de biocarburants de deuxième génération pourrait, si la filière se développait à une échelle industrielle, nécessiter des volumes de bois très conséquents à horizon 2025 » La merveilleuse idée des Géo Trouvetout du CEA a donc rencontré un écho favorable auprès des technocrates du Ministère de l’environnement,…. (nommé jusqu’au récent remaniement ministériel, Ministère de l’écologie,…).Outre les ravages que cela va produire dans les forêts françaises, cette profusion de réalisations ou de projets industriels d’utilisation massive du bois/énergie que l’on supposait « décarboné » pouvait sembler en accord avec les politiques de réduction du changement climatique, ce qui les rendait difficile à combattre. Elle apparaît maintenant avec la publication de l’article de Naudts et al., en contradiction avec elle, rendant la lutte contre les projets nouveaux plus apte à faire l’unanimité parmi les environnementalistes et les écologistes et aussi plus facile à médiatiser.
Comme le précise avec toutes les précautions de rigueur l’une des auteurs de cet article dans l’émission de France-Inter « la tête au carré » du 15 février 2016, Aude Valade, le carbone émis par l’utilisation massive du bois sera dominant dans le bilan carbone de la forêt. Elle rappelle également qu’il ne suffit pas de planter des arbres pour atténuer le changement climatique et elle ajoute que la forêt naturelle a bien d’autres services environnementaux à rendre. On peut citer par exemple la protection des sols et la régulation hydrique. Or, ce sont précisément ces services écosystémiques que les politiques gouvernementales négligent comme le montre la citation suivante extraite du 2ème rapport sur les progrès réalisés dans la promotion et l’utilisation des énergies renouvelables: « 9. Incidences estimées de la production de biocarburants et de bioliquides sur la biodiversité, les ressources en eau, la qualité de l'eau et la qualité des sols au cours des 2 années précédentes : Aucune évaluation de l'impact de la production de biocarburants sur ces ressources naturelles n'a été engagée au cours des deux dernières années. » (p. 38). On ne peut imaginer désinvolture plus grande vis-à-vis des conséquences de l’intensification de l’exploitation forestière nécessaire au développement de la production de ces « biocarburants » tirés de sources diverses dont le bois extrait des forêts.
Les analyses de cette section concernent le bois/énergie. Le bois/matériau pose des problèmes différents. Cette filière peut offrir de meilleures perspectives pour le devenir des forêts si toutefois elles sont gérées selon les principes d’une sylviculture irrégulière, continue et proche de la nature telle que celle développée par l’association Pro Sylva. Cette sylviculture permet également d’avoir des forêts exploitées dont la quantité de carbone stocké se rapproche le plus de celui d’une forêt en libre évolution. On remarquera que ce type de sylviculture proscrit les coupes rases, les labours, l’exportation du bois mort, des rémanents et de la litière. Pour plus de détails sur cette forme de sylviculture, on se rapportera à son site ici : http://www.prosilva.fr/html/index.html?PHPSESSID=72affd00a6cb3d200a37e7122a699bad. On peut aussi consulter Rossi M. et al., 2015 sur ce sujet qui ne sera pas abordé plus avant ici.
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VIII – Récapitulons :
1°) L’article de Naudts et al., montre en se fondant sur plus de deux siècles et demi d’archives concernant les forêts européennes que celles-ci non seulement n’ont pas joué le rôle de puits de carbone que l’on pouvait espérer mais qu’au contraire elles ont participé au changement climatique actuel. Ce ne sont pas les forêts comme telles qui sont en cause mais leur gestion, notamment l’exportation de bois hors de ces forêts, leur exploitation intensive, l’inversion par rapport à l’année initiale (1750) de la proportion entre résineux et feuillus, la mise en exploitation de boisements laissés en libre évolution. Cet article a fait l’effet d’un « pavé dans la mare » en remettant en cause les idées reçues sur la gestion des forêts européennes tempérées bien que d’autres études plus partielles et/ou sur des forêts d’un autre continent aient déjà abouti à des conclusions analogues.
2°) La revue que j’ai effectuée dans les sections précédentes des principaux arguments invoqués par les théoriciens et acteurs de la sylviculture productiviste dominante aujourd’hui pour tenter de rétablir l’idée que la forêt gérée selon les principes de cette sylviculture est une forêt qui constitue un puits de carbone plus efficace qu’une forêt en évolution libre ne sont pas convaincants et cela même lorsque l’on envisage « l’effet de substitution ». Non seulement cet effet est variable, dépendant de contextes locaux, difficile à évaluer mais le concept même d’ « effet de substitution » pose problème dans la mesure où il se situe au plan de l’irréel (et non du virtuel !). De plus, contrairement aux assertions des partisans de la gestion productiviste en vigueur et en analysant les données tirées de la littérature produite par leurs propres organismes, il n’apparaît pas que la forêt naturelle laissée en évolution libre soit moins résiliente face aux aléas climatiques ou aux incendies.
3°) La sylviculture actuelle et celle prônée par les organismes officiels ont pour l’objectif d’avoir en 2020 un mix énergétique composé à hauteur de 20% par des Enr. L’Etat et les gouvernements successifs quelle que soit leurs couleurs politiques comptent l’atteindre en mobilisant en priorité la filière bois/énergie. Conjugué à la sylviculture actuelle, cela accentue encore, voire exacerbe les traits de la gestion forestière qui expliqueraient, selon les auteurs de l’article de Science la « dette de carbone » de la forêt contractée entre 1750 et 2010. Il faut donc distinguer entre la recherche d’énergies renouvelables et l’atténuation du changement climatique.
Le bois/énergie est une énergie renouvelable dès lors que le prélèvement est inférieur à l’accroissement mais ce n’est pas une énergie « décarbonée » bien que son bilan carbone puisse être comparativement meilleur dans certaines conditions que d’autres sources. Ce point est capital à la fois au plan théorique et bien sûr sur le plan pratique.
Il peut donc y avoir conflit entre des politiques ayant comme objectif l’atténuation du changement climatique et les politiques dites de « transition énergétique » lorsque la recherche d’un mix énergétique à base de renouvelables s’appuie en priorité sur la filière bois/énergie comme c’est le cas en France.
De cela il résulte une conséquence importante pour les défenseurs et les amoureux des véritables forêts, c’est-à-dire des forêts qui ont un fort degré de naturalité avec la diversité de leurs essences, leurs fourrés et leurs clairières, avec des arbres majestueux dans la force de l’âge et des arbres tordus, mal venus, avec des arbres vénérables, leurs troncs moussus, leurs creux et leurs fentes qui font le bonheur de toute une faune qui y trouve logement et parfois pitance tandis que d’autres les trouvent dans le bois mort ; des forêts avec leur tapis végétal changeant au fil des saisons et de la poussée du feuillage, leurs champignons ; des forêts où les oiseaux chantent dans les frondaisons, où vivent des petits carnivores et de grands ongulés, où se cache le chat forestier, où le lynx est réapparu et où le loup se fait attendre.
Comme le précise avec toutes les précautions de rigueur l’une des auteurs de cet article dans l’émission de France-Inter « la tête au carré » du 15 février 2016, Aude Valade, le carbone émis par l’utilisation massive du bois sera dominant dans le bilan carbone de la forêt. Elle rappelle également qu’il ne suffit pas de planter des arbres pour atténuer le changement climatique et elle ajoute que la forêt naturelle a bien d’autres services environnementaux à rendre. On peut citer par exemple la protection des sols et la régulation hydrique. Or, ce sont précisément ces services écosystémiques que les politiques gouvernementales négligent comme le montre la citation suivante extraite du 2ème rapport sur les progrès réalisés dans la promotion et l’utilisation des énergies renouvelables: « 9. Incidences estimées de la production de biocarburants et de bioliquides sur la biodiversité, les ressources en eau, la qualité de l'eau et la qualité des sols au cours des 2 années précédentes : Aucune évaluation de l'impact de la production de biocarburants sur ces ressources naturelles n'a été engagée au cours des deux dernières années. » (p. 38). On ne peut imaginer désinvolture plus grande vis-à-vis des conséquences de l’intensification de l’exploitation forestière nécessaire au développement de la production de ces « biocarburants » tirés de sources diverses dont le bois extrait des forêts.
Les analyses de cette section concernent le bois/énergie. Le bois/matériau pose des problèmes différents. Cette filière peut offrir de meilleures perspectives pour le devenir des forêts si toutefois elles sont gérées selon les principes d’une sylviculture irrégulière, continue et proche de la nature telle que celle développée par l’association Pro Sylva. Cette sylviculture permet également d’avoir des forêts exploitées dont la quantité de carbone stocké se rapproche le plus de celui d’une forêt en libre évolution. On remarquera que ce type de sylviculture proscrit les coupes rases, les labours, l’exportation du bois mort, des rémanents et de la litière. Pour plus de détails sur cette forme de sylviculture, on se rapportera à son site ici : http://www.prosilva.fr/html/index.html?PHPSESSID=72affd00a6cb3d200a37e7122a699bad. On peut aussi consulter Rossi M. et al., 2015 sur ce sujet qui ne sera pas abordé plus avant ici.
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VIII – Récapitulons :
1°) L’article de Naudts et al., montre en se fondant sur plus de deux siècles et demi d’archives concernant les forêts européennes que celles-ci non seulement n’ont pas joué le rôle de puits de carbone que l’on pouvait espérer mais qu’au contraire elles ont participé au changement climatique actuel. Ce ne sont pas les forêts comme telles qui sont en cause mais leur gestion, notamment l’exportation de bois hors de ces forêts, leur exploitation intensive, l’inversion par rapport à l’année initiale (1750) de la proportion entre résineux et feuillus, la mise en exploitation de boisements laissés en libre évolution. Cet article a fait l’effet d’un « pavé dans la mare » en remettant en cause les idées reçues sur la gestion des forêts européennes tempérées bien que d’autres études plus partielles et/ou sur des forêts d’un autre continent aient déjà abouti à des conclusions analogues.
2°) La revue que j’ai effectuée dans les sections précédentes des principaux arguments invoqués par les théoriciens et acteurs de la sylviculture productiviste dominante aujourd’hui pour tenter de rétablir l’idée que la forêt gérée selon les principes de cette sylviculture est une forêt qui constitue un puits de carbone plus efficace qu’une forêt en évolution libre ne sont pas convaincants et cela même lorsque l’on envisage « l’effet de substitution ». Non seulement cet effet est variable, dépendant de contextes locaux, difficile à évaluer mais le concept même d’ « effet de substitution » pose problème dans la mesure où il se situe au plan de l’irréel (et non du virtuel !). De plus, contrairement aux assertions des partisans de la gestion productiviste en vigueur et en analysant les données tirées de la littérature produite par leurs propres organismes, il n’apparaît pas que la forêt naturelle laissée en évolution libre soit moins résiliente face aux aléas climatiques ou aux incendies.
3°) La sylviculture actuelle et celle prônée par les organismes officiels ont pour l’objectif d’avoir en 2020 un mix énergétique composé à hauteur de 20% par des Enr. L’Etat et les gouvernements successifs quelle que soit leurs couleurs politiques comptent l’atteindre en mobilisant en priorité la filière bois/énergie. Conjugué à la sylviculture actuelle, cela accentue encore, voire exacerbe les traits de la gestion forestière qui expliqueraient, selon les auteurs de l’article de Science la « dette de carbone » de la forêt contractée entre 1750 et 2010. Il faut donc distinguer entre la recherche d’énergies renouvelables et l’atténuation du changement climatique.
Le bois/énergie est une énergie renouvelable dès lors que le prélèvement est inférieur à l’accroissement mais ce n’est pas une énergie « décarbonée » bien que son bilan carbone puisse être comparativement meilleur dans certaines conditions que d’autres sources. Ce point est capital à la fois au plan théorique et bien sûr sur le plan pratique.
Il peut donc y avoir conflit entre des politiques ayant comme objectif l’atténuation du changement climatique et les politiques dites de « transition énergétique » lorsque la recherche d’un mix énergétique à base de renouvelables s’appuie en priorité sur la filière bois/énergie comme c’est le cas en France.
De cela il résulte une conséquence importante pour les défenseurs et les amoureux des véritables forêts, c’est-à-dire des forêts qui ont un fort degré de naturalité avec la diversité de leurs essences, leurs fourrés et leurs clairières, avec des arbres majestueux dans la force de l’âge et des arbres tordus, mal venus, avec des arbres vénérables, leurs troncs moussus, leurs creux et leurs fentes qui font le bonheur de toute une faune qui y trouve logement et parfois pitance tandis que d’autres les trouvent dans le bois mort ; des forêts avec leur tapis végétal changeant au fil des saisons et de la poussée du feuillage, leurs champignons ; des forêts où les oiseaux chantent dans les frondaisons, où vivent des petits carnivores et de grands ongulés, où se cache le chat forestier, où le lynx est réapparu et où le loup se fait attendre.
Les défenseurs de ces forêts ne sont plus sommés de mettre une sourdine à leur combat. Ils ne seront plus tiraillés entre deux objectifs qui pouvaient sembler inconciliables : la préservation de ces forêts d’un côté et de l’autre la lutte contre le changement climatique qui était censée impliquer la gestion productiviste et intensive des boisements et la promotion d’une filière bois ravageuse en expansion illimitée.
Certes en France, c’est souvent le cas que des politiques sectorielles s’imposent localement en contradiction avec des objectifs poursuivis par des politiques globales : les objectifs de la politique climatique et le développement du réseau autoroutier en sont un bel exemple. De plus, il faudra plus d’un article, fût-il publié dans la prestigieuse revue Science, pour que les instances politiques nationales, européennes et internationales, les institutions comme l’ADEME et a fortiori les organisations professionnelles de la gestion forestière et des filières bois changent de politique où simplement reconnaissent la validité des résultats de Kim Naudts et de son équipe de chercheurs et en tiennent compte, au moins à la marge.
Il reste qu’il est maintenant possible d’invoquer auprès du gouvernement et des ministères le respect des engagements de la France, pays organisateur de la COP 21, pour atténuer le changement climatique comme un motif pour préserver les forêts en libre évolution et mettre un frein à l’enrésinement des massifs de feuillus qui subsistent encore.
En France, dans les déclarations, sinon toujours dans les faits, la « lutte contre le réchauffement climatique », c’est-à-dire les mesures visant à son atténuation semble avoir le pas sur toutes les autres dans le domaine de l’environnement au niveau gouvernemental comme pour des grandes ONG environnementales internationales ou nationales. Du coup cette lutte devient un argument de poids pour la préservation de forêts naturelles en évolution libre et pour, sinon stopper, du moins tempérer sensiblement les prétentions sur la forêt de la filière bois et notamment de la filière bois/énergie.
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Certes en France, c’est souvent le cas que des politiques sectorielles s’imposent localement en contradiction avec des objectifs poursuivis par des politiques globales : les objectifs de la politique climatique et le développement du réseau autoroutier en sont un bel exemple. De plus, il faudra plus d’un article, fût-il publié dans la prestigieuse revue Science, pour que les instances politiques nationales, européennes et internationales, les institutions comme l’ADEME et a fortiori les organisations professionnelles de la gestion forestière et des filières bois changent de politique où simplement reconnaissent la validité des résultats de Kim Naudts et de son équipe de chercheurs et en tiennent compte, au moins à la marge.
Il reste qu’il est maintenant possible d’invoquer auprès du gouvernement et des ministères le respect des engagements de la France, pays organisateur de la COP 21, pour atténuer le changement climatique comme un motif pour préserver les forêts en libre évolution et mettre un frein à l’enrésinement des massifs de feuillus qui subsistent encore.
En France, dans les déclarations, sinon toujours dans les faits, la « lutte contre le réchauffement climatique », c’est-à-dire les mesures visant à son atténuation semble avoir le pas sur toutes les autres dans le domaine de l’environnement au niveau gouvernemental comme pour des grandes ONG environnementales internationales ou nationales. Du coup cette lutte devient un argument de poids pour la préservation de forêts naturelles en évolution libre et pour, sinon stopper, du moins tempérer sensiblement les prétentions sur la forêt de la filière bois et notamment de la filière bois/énergie.
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IX – L’ère de l’énergie fossile abondante et facile d’accès sera bientôt close. La situation actuelle avec un pétrole pléthorique et bon marché ne doit pas faire illusion. En tout cas, elle ne le fait pas aux acteurs du secteur énergétique qui doivent anticiper le temps du pétrole rare et cher, en voie d’épuisement qui ne peut manquer d’advenir. Les écologistes ne sont pas les seuls à considérer l’urgence d’une « transition énergétique ». Mais une transition énergétique sans une refonte de nos modes de vie n’a et n’aura rien d’une transition écologique. Le déploiement de l’éolien terrestre saccage des lieux peu anthropisés en y ouvrant des pistes, en y coulant du béton pour édifier de gigantesques convertisseurs d’énergie, tueurs de chauves-souris et hachoirs à oiseaux. Ils dénaturent les paysages naturels et patrimoniaux et pourrissent la vie des riverains à plus d’un kilomètre à la ronde. Le procès de ces engins n’est plus à faire même si ceux qui prétendent représenter les écologistes au sein des assemblées et des collectivités locales veulent ne rien voir et ne rien entendre à leur sujet. La filière bois/énergie ne vaut guère mieux en s’attaquant aux forêts, y compris les forêts de montagne difficiles d’accès, en les exploitant de façon intensive, en les convertissant en plantations d’arbres dépourvues de toute naturalité où les ongulés n’ont même plus droit de cité et qui n’ ont plus de forêts que le nom. Les ravages commis jusqu’à aujourd’hui ne sont rien à côté de ce que les exploitants forestiers et les industriels de la filière bois/énergie nous préparent.
Combien significatif est le titre d’un article du dossier de Reporterre consacré à la filière bois : «Aspiré par des centrales géantes, le bois n’est plus écologique » ! Un titre semblable aurait pu introduire un article sur la filière éolienne ou solaire. Et là est bien la raison qui fait que le rêve écolo d’énergies « douces » renouvelables tourne invariablement au cauchemar : le gigantisme et l’industrialisation, alors que pour les premiers écologistes, il s’agissait de petites unités de production sinon domestiques, du moins artisanales à l’échelon des communautés de base.
Qui dit gigantisme, dit industriel, capitalisme privé ou d’état, multinationales. Et ce sont bien des multinationales avides de profits juteux et de retours rapides sur investissements grâce au soutien étatique de ces filières qui ont accaparé le secteur des « énergies nouvelles ». Elles profitent d’un effet d’aubaine. Mais si elles tirent ou espèrent tirer profit de cette transition énergétique, elles sont avant tout opportunistes. Ce ne sont pas elles qui ont rendu ce gigantisme nécessaire. C’est nous tous, les occidentaux qui en sommes responsables, collectivement et individuellement lorsque nous avons décidé expressément ou tacitement que « notre mode de vie n’était pas négociable », lorsque de plus nous n’avons eu de cesse de l’exporter sur toute la planète, lorsqu’en adorateurs du « progrès » et de « la croissance » nous n’acceptons pas de limites ni économiques, ni démographiques.
Dans le cas des forêts et du climat qui nous occupent plus particulièrement dans cet article, il faut noter que la gestion productiviste de la forêt a été rendue nécessaire pour satisfaire la demande de bois d’une population en croissance continue comme le constatent Naudts et son équipe de chercheurs de l’IPSL dans leur article : «Par la production locale et le commerce, l’Europe s’est efforcée de satisfaire la demande en bois d’une population qui a augmenté de 140 millions en 1750 à 580 millions en 2010. En conséquence, 417 000 km2 de forêts initialement non gérées furent misent en production et 218 000 km2 de taillis furent convertis en futaies, lesquels, avec les 196 000 Km2 de reboisement, ont abouti à une augmentation de 833 000 km2. (Through local production and trade, Europe tried to satisfy the wood demands of a population that grew from 140 million in 1750 to 580 million by 2010. As a result, 417,000 km2 of previously unmanaged forests were taken into production, and 218,000 km2 of coppices were converted to high stands, which, together with the 196,000 km2 of afforestation, resulted in an 833,000 km2 increase. )». D’un autre côté les courbes du GIEC montrent aussi une corrélation entre l’augmentation des températures moyennes de surface et l’augmentation de la population terrestre.
La demande en bois/énergie ne peut qu’augmenter considérablement dans la mesure où celui-ci est et sera une composante essentielle du mix énergétique futur, un mix « défossilisé » par la force des choses. Même réduite à des plantations d’arbres fournissant de la biomasse, la forêt se gère sur un pas de temps qui voisine plus ou moins le demi-siècle dans le meilleur des cas. C’est en prévision de cette demande croissante (et des incidences du changement climatique) que le forestier gère sa forêt et qu’à l’autre bout de la chaîne, l’industriel conçoit ses centrales. Il n’est pas certain que le premier puisse satisfaire cette demande sans cesse grandissante répercutée par le second dans le cadre d’une gestion durable de ses boisements, c’est-à-dire d’une augmentation du prélèvement qui reste inférieure à l’accroissement. Après tout, sans la découverte du « charbon de terre » et des huiles minérales, les forêts étaient menacées. Il n’y a rien d’étonnant qu’elles le redeviennent aujourd’hui du fait de la raréfaction prévisible de ces produits fossiles.
Le « small is beautiful », le petit sans lequel les énergies douces ne le sont plus et deviennent ravageuses ne pourra pas satisfaire les besoins en énergie de la population actuelle de l’Europe (sans parler de la population mondiale) si son mode vie reste inchangé. D’autant que cette population continue de croître.
L’énergie abondante a été une condition nécessaire de l’essor de la civilisation occidentale comme elle a permis l’essor démographique de l’espèce humaine en augmentant considérablement la capacité de charge de la planète. Sa raréfaction prévisible montre qu’elle est aussi son tendon d’Achille.
Combien significatif est le titre d’un article du dossier de Reporterre consacré à la filière bois : «Aspiré par des centrales géantes, le bois n’est plus écologique » ! Un titre semblable aurait pu introduire un article sur la filière éolienne ou solaire. Et là est bien la raison qui fait que le rêve écolo d’énergies « douces » renouvelables tourne invariablement au cauchemar : le gigantisme et l’industrialisation, alors que pour les premiers écologistes, il s’agissait de petites unités de production sinon domestiques, du moins artisanales à l’échelon des communautés de base.
Qui dit gigantisme, dit industriel, capitalisme privé ou d’état, multinationales. Et ce sont bien des multinationales avides de profits juteux et de retours rapides sur investissements grâce au soutien étatique de ces filières qui ont accaparé le secteur des « énergies nouvelles ». Elles profitent d’un effet d’aubaine. Mais si elles tirent ou espèrent tirer profit de cette transition énergétique, elles sont avant tout opportunistes. Ce ne sont pas elles qui ont rendu ce gigantisme nécessaire. C’est nous tous, les occidentaux qui en sommes responsables, collectivement et individuellement lorsque nous avons décidé expressément ou tacitement que « notre mode de vie n’était pas négociable », lorsque de plus nous n’avons eu de cesse de l’exporter sur toute la planète, lorsqu’en adorateurs du « progrès » et de « la croissance » nous n’acceptons pas de limites ni économiques, ni démographiques.
Dans le cas des forêts et du climat qui nous occupent plus particulièrement dans cet article, il faut noter que la gestion productiviste de la forêt a été rendue nécessaire pour satisfaire la demande de bois d’une population en croissance continue comme le constatent Naudts et son équipe de chercheurs de l’IPSL dans leur article : «Par la production locale et le commerce, l’Europe s’est efforcée de satisfaire la demande en bois d’une population qui a augmenté de 140 millions en 1750 à 580 millions en 2010. En conséquence, 417 000 km2 de forêts initialement non gérées furent misent en production et 218 000 km2 de taillis furent convertis en futaies, lesquels, avec les 196 000 Km2 de reboisement, ont abouti à une augmentation de 833 000 km2. (Through local production and trade, Europe tried to satisfy the wood demands of a population that grew from 140 million in 1750 to 580 million by 2010. As a result, 417,000 km2 of previously unmanaged forests were taken into production, and 218,000 km2 of coppices were converted to high stands, which, together with the 196,000 km2 of afforestation, resulted in an 833,000 km2 increase. )». D’un autre côté les courbes du GIEC montrent aussi une corrélation entre l’augmentation des températures moyennes de surface et l’augmentation de la population terrestre.
La demande en bois/énergie ne peut qu’augmenter considérablement dans la mesure où celui-ci est et sera une composante essentielle du mix énergétique futur, un mix « défossilisé » par la force des choses. Même réduite à des plantations d’arbres fournissant de la biomasse, la forêt se gère sur un pas de temps qui voisine plus ou moins le demi-siècle dans le meilleur des cas. C’est en prévision de cette demande croissante (et des incidences du changement climatique) que le forestier gère sa forêt et qu’à l’autre bout de la chaîne, l’industriel conçoit ses centrales. Il n’est pas certain que le premier puisse satisfaire cette demande sans cesse grandissante répercutée par le second dans le cadre d’une gestion durable de ses boisements, c’est-à-dire d’une augmentation du prélèvement qui reste inférieure à l’accroissement. Après tout, sans la découverte du « charbon de terre » et des huiles minérales, les forêts étaient menacées. Il n’y a rien d’étonnant qu’elles le redeviennent aujourd’hui du fait de la raréfaction prévisible de ces produits fossiles.
Le « small is beautiful », le petit sans lequel les énergies douces ne le sont plus et deviennent ravageuses ne pourra pas satisfaire les besoins en énergie de la population actuelle de l’Europe (sans parler de la population mondiale) si son mode vie reste inchangé. D’autant que cette population continue de croître.
L’énergie abondante a été une condition nécessaire de l’essor de la civilisation occidentale comme elle a permis l’essor démographique de l’espèce humaine en augmentant considérablement la capacité de charge de la planète. Sa raréfaction prévisible montre qu’elle est aussi son tendon d’Achille.
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Illustrations
Frédérique Berlic/l’indépendant http://www.lindependant.fr/2012/07/17/energies-renouvelables-un-deuxieme-reseau-de-chaleur-inaugure,153059.php
En Gironde, la forêt de Vendays Montalivet après la tempête de 1999 Photo Jean-jacques Saubi extraite de « En images : il y a quinze ans, la tempête Martin frappait notre région » Portofolio, Sud-Ouest 27/12/2014 http://www.sudouest.fr/2014/12/27/en-images-il-y-a-quinze-ans-la-tempete-martin-frappait-notre-region-1780108-4018.php
Melanophila acuminata, AG Pr. Schmitz Wiki Commons, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Melanophila_acuminata.jpg
Cônes de pins d’Alep, Jean-Pierre Bazard, Wiki Commons, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:C%C3%B4nes_de_pin_d'alep_%28Pinus_halepensis%29.JPG?uselang=fr
Coupe rase dans la forêt cévenole https://sosforetcevennes.wordpress.com/base-documentaire/ où l’on trouvera plus de photos.
Cheminée de la centrale de Gardanne (hauteur 297 m) Photo : ?/ Terre Sacrée
Illustration reprise à Reporterre, ici. http://reporterre.net/Aspire-par-des-centrales-geantes-le-bois-n-est-plus-ecologique
Forêts et bois de l’Est http://foretsetboisdelest.blogspot.fr/
E. ON piège à con Manifestation contre la centrale de Gardanne, Pierre Isnard-Dupuy, Reporterre http://reporterre.net/Manifestation-contre-la-desastreuse-centrale-a-biomasse-de-Gardanne
Dimanche 6 Mars 2016
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