Ecosophie

La perpétuation de la vie sur la planète Terre, la survie de l'humanité devenue problématique, tel fut l'un des soucis à l'origine des mouvements écologiques. Pour le mouvement Survivre, fondé par le mathématicien Alexander Grothendieck en 1970 en marge du Congrès international de mathématique de Montréal, cette question était fondamentale, elle coiffait toutes les autres. Affadie aujourd'hui par les contes de fées du "développement durable" et de l'économie "verte", elle demeure pourtant plus que jamais d'une actualité brûlante même si, à elle seule, elle donne une vision trop anthropocentrée de l'écologie.


Alexander Grothendieck
Alexander Grothendieck
  • Le premier numéro de Survivre précise ainsi les buts du mouvement fondé par Alexander Grothendieck :
« lutte pour la survie de l’espèce humaine et de la vie en général menacée par le déséquilibre écologique créé par la société industrielle contemporaine (pollutions et dévastations de l’environnement et des ressources naturelles), par les conflits militaires et les dangers de conflits militaires. » (p. 3)

  • Le numéro double suivant (n°2 / 3) spécifie les conditions nécessaires de cette survie :
« L’humanité ne survivra pas d’ici quelques décades, si elle ne sait préserver ses ressources naturelles et contrôler la pollution industrielle (en reconvertissant de nombreuses industries, en traitant les déchets industriels pour en récupérer une partie importante pour des usages constructifs, et rendre le reste inoffensif pour notre environnement) ;

L’humanité ne survivra pas si elle n’arrive pas à supprimer les guerres, en éliminant les armées qui en sont les instruments ;

L’humanité ne survivra pas si elle n’arrive à éliminer les différentes formes de l’exploitation économique, cause des tensions extrêmes entre classes et entre nation ;

L’humanité ne survivra pas si elle n’arrive à contrôler la croissance de sa population ;

L’humanité ne pourra remplir les tâches précédentes et elle ne survivra pas, si elle n’arrive à donner à chacun une éducation qui lui permette de renoncer aux besoins artificiels créés par la société de consommation, et de « sublimer » son agressivité ancestrale et son instinct de procréation illimitée dans une vie personnelle et sociale véritablement créatrice.

Tous ces problèmes sont des constituants inextricablement mêlés de celui de notre survie. Ce dernier se trouve être ainsi comme un « dénominateur commun », comme un chapeau commun qui coiffe tous ces problèmes partiels. Il leur donne de plus un caractère d’urgence qui apparaît ici pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, et même de la vie tout court.
» ( Survivre n° 2/3, Septembre/octobre 1970, p. 24)

Aujourd'hui, aucune de ces conditions n'est en passe d’être satisfaite.

  • Certes, la menace d’un embrasement mondial avec à la clé l’holocauste nucléaire n’est plus aussi forte qu’au temps de la rivalité Est/ouest et de la guerre froide. Cependant, la menace n’est pas totalement dissipée. Les budgets militaires restent conséquents. Les puissances nucléaires ne sont pas disposées à détruire leur arsenal. Malgré les traités de non dissémination, de nouveaux états dans des régions chaudes du globe ont réussi à avoir accès à l’arme nucléaire. En fin de compte, si la menace d’une guerre nucléaire a changé de visage, elle n’en existe encore pas moins. L’accès à l’eau, aux ressources énergétiques, voire même aux terres arables sont apparues comme autant de nouvelles causes de conflits. Mis à part l’éloignement de la menace d’une guerre nucléaire globale, aucun progrès significatif n'a été accompli depuis la parution de ce texte de Survivre, bien au contraire.

  • Les ressources naturelles sont pillées comme jamais, sous les glaces, au fond des mers, sur et sous terre, partout. Certains illuminés, thuriféraires du « progrès technique », tirent même des plans sur la comète pour exploiter les ressources minières des astéroïdes… On a mis à la mode de chez-nous l’«économie circulaire», ce qui n’empêche pas les taux de recyclage des OM de stagner, les poubelles de déborder de prospectus publicitaires, d’emballages superflus, d’objets inutiles en tout genre cassés ou non, irréparables ou simplement démodés, dépassés.

  • L'exploitation économique prospère et triomphe partout grâce au libéralisme dominant.

  • La population mondiale continue de croître de façon exponentielle et peu nombreux sont les hommes politiques qui s'en soucient. Si l’on excepte le MEI dont l’audience reste très confidentielle, même les partis écologistes évitent la question. L'idéologie nataliste règne sans partage. La France s’enorgueillit d'avoir un des taux de fécondité parmi les plus élevés de l'Europe. Il y a même des «décroissants» pour crier avec les démographes bien-pensants haro sur les quelques horribles néo-malthusiens qui osent s'exprimer.

  • Plus affligeant encore que la Mode, générateur de gaspillages bien plus redoutables, voici qu’est apparu le high-tech aux productions aussi vite périmées qu'elles sont mises sur le marché, roi de l’éphémère et de l’obsolescence planifiée. Jamais n’a été célébré avec autant d’impudeur le culte de l’innovation, c’est-à-dire de la recherche de bidules en tout genre qui sont autant d’hameçons générant de nouveaux besoins pour ferrer un consommateur qui s’y laisse trop souvent prendre. Aujourd’hui, tout se consomme, même de la culture, des loisirs… Plus que jamais l’individu, le citoyen est réduit à un rôle de consommateur alors que la plupart peuvent de moins en moins consommer avec leur pouvoir d’achat en berne. Quoi de pire qu’une masse de consommateurs qui doivent se restreindre, contrainte de regarder par médias interposées une minorité de privilégiés ou de chanceux se goinfrer jusqu’à plus soif, au-delà même de la soif, et à eux seuls consommer plus que tous les peu munis, tous les plus en plus démunis réunis ? Inutile de leur parler de la sobriété volontaire et heureuse.

  • Quant à l’éducation, il s’agit surtout d’études qui n’ont guère pour but de donner les moyens aux jeunes de s’accomplir dans une vie personnelle et sociale véritablement créatrice mais bien plus pragmatiquement, ou trivialement, de se donner les moyens de décrocher le job le plus rémunérateur possible.

Ce bilan peut faire penser à une chanson de Jacques Brel dans laquelle le Diable venu sur Terre pour contrôler ses intérêts, se frotte les mains et lâche un « Ça va !» de contentement. C’est un constat d’échec de l’écologie politique à mettre à la charge de tous les écologistes de toutes les chapelles, obédiences, mouvements ou partis confondus.

Oui, nous avons échoué.

Au cours des cinquante dernières années, la civilisation occidentale mondialisée dans le cadre du libéralisme sauvage a avancé à grands pas vers sa destruction, destruction qui risque d’entraîner celle de l’espèce humaine et peut-être de la vie sur Terre. Comment rebondir?

Lundi 11 Novembre 2013 Commentaires (1)
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Jean-François Dumas
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