Au quotidien
En décembre 2022, le Conseil et le parlement européen se sont mis d’accord sur le texte d’une loi interdisant l’importation de produits issus de zones déforestées. Sont visés : huile de palme, bœuf, bois, café, cacao, caoutchouc et soja ainsi que un certain nombre de produits dérivés tels que le chocolat, les meubles, le papier imprimé et certains dérivés à base d'huile de palme.1
Cette loi a été aussitôt célébrée par les écologistes occidentaux et les ONG environnementalistes comme une avancée majeure dans la lutte contre la déforestation importée. Sous l’apparence louable de la lutte contre cette déforestation il s’agit en fait d’un bel exemple d’une forme d’écologie colonialiste, européenne dans le cas présent, matinée de protectionnisme pour des produits comme le bœuf !
Bien entendu, il est nécessaire d’enrayer la déforestation partout où elle se produit au Sud comme au Nord mais la façon de procéder de l’UE qui tente de profiter de sa position de force sur le marché mondial pour contraindre les pays du Sud à des comportements « vertueux » qu’elle-même est loin d’avoir relève non seulement d’une approche colonialiste du problème mais sera de plus inefficace parce qu’elle fait bon marché de la dimension sociale du problème et croit pouvoir se passer de l’avis et de la participation des populations concernées. 2
Rien d’étonnant à ce que des ONG Greenpeace et WWF dont les ingérences dans les affaires de pays émergeants ou en voie de développement sont notoires aient salué « une première avancée » vers une protection mondiale des forêts. Première avancée, parce que jamais contentes et sans cesse dans la surenchère, elles voudraient encore plus. 3
Plus étonnant, cette loi a été également encensée par des députés européens du Parti populaire européen (droite – PPE) dont l’écologie n’est pourtant pas une préoccupation majeure lorsqu’il s’agit de leur propre territoire. Même d’Emmanuel Macron n’a pu s’empêcher de lancer un cocorico : « la France a montré la voie » s’est-il auto-félicité sur les réseaux ! Une telle unanimité n’est-elle pas quelque peu suspecte lorsque ce sont des pays du Sud qui sont principalement visés ? 4
Rien d’étonnant à ce que des ONG Greenpeace et WWF dont les ingérences dans les affaires de pays émergeants ou en voie de développement sont notoires aient salué « une première avancée » vers une protection mondiale des forêts. Première avancée, parce que jamais contentes et sans cesse dans la surenchère, elles voudraient encore plus. 3
Plus étonnant, cette loi a été également encensée par des députés européens du Parti populaire européen (droite – PPE) dont l’écologie n’est pourtant pas une préoccupation majeure lorsqu’il s’agit de leur propre territoire. Même d’Emmanuel Macron n’a pu s’empêcher de lancer un cocorico : « la France a montré la voie » s’est-il auto-félicité sur les réseaux ! Une telle unanimité n’est-elle pas quelque peu suspecte lorsque ce sont des pays du Sud qui sont principalement visés ? 4
Tout en ne remettant pas en cause la nécessité de lutter contre la déforestation, d’autres ONG comme Fairtrade/Max Havelaar ou Fern sont soucieuses du devenir des petits paysans producteurs de café et de cacao. Elles ont sur cette loi une opinion beaucoup plus nuancées que les ONG environnementalistes. Fairtrade/Max Havelaar souligne que « la déforestation ne sera pas combattue en interdisant les importations de cacao et de café provenant de familles de petits exploitants vivant dans la pauvreté », ce qui risque d’arriver avec la mise en application de ce règlement européen pris sans concertation avec les coopératives et association de producteurs comme avec les gouvernements concernés qui font preuve de réticences.5
Même constat pour Fern qui s’inquiète du devenir des petits producteurs vietnamiens de café6 «Nous sommes particulièrement préoccupés par les conséquences potentielles du Règlement sur les petits producteurs [vietnamiens] et les communautés qui dépendent des forêts. » Ils ne pourront pas satisfaire aux exigences de cette loi que d’ailleurs la plupart ignorent, tout comme l’ignorent également les gardes forestiers : « Il faut savoir que les gardes-forestiers ne sont pas non plus au courant des exigences de l’EUDR [Règlement de l’UE sur les produits « zéro déforestation »] ». Ils sont conscients des problématiques liées à l’eau et à la déforestation, mais compte tenu de la grande pauvreté des petits producteurs issus de minorité ethnique, la priorité est donc donnée aux opportunités permettant à ces derniers d’augmenter leurs revenus et leurs moyens d’existence » et parmi celles-ci l’octroi de parcelles de forêt «Dans ces régions, les producteurs empiètent progressivement sur les forêts parce qu’ils reçoivent des parcelles forestières qu’ils convertissent en plantations de café » Les débouchés de leur production sur le marché européen risquent donc d’être fermés, ce qui sera catastrophique pour eux alors que cette déforestation est légale selon les lois de leur pays.
Même chose pour les petits producteurs d’huile de palme indonésiens : « nous craignons la marginalisation potentielle des petits producteurs d’huile de palme qui risquent d’être négativement affectés par le Règlement. En Indonésie, la plupart des petits producteurs sont issus des Peuples autochtones et l’agroforesterie, qui mêle cultures arboricoles et agricoles, fait partie des moyens qu’ils ont pour gagner de l’argent. Ainsi, la définition stricte de la déforestation telle que décrite dans l’EUDR est problématique pour eux. » 7
Pour les producteurs et les associations qui portent leur voix comme pour les gouvernements des pays concernés, il y a unanimité pour réclamer une concertation et regretter que celle-ci n’est pas eu lieu, l’UE les mettant devant le fait accompli. Ainsi pour l’Indonésie : « le Règlement a été élaboré de façon unilatérale sans aucun dialogue entre l’UE et les pays producteurs. D’après nos échanges avec le gouvernement indonésien, nous savons que cette situation ne lui plaît pas non plus. Nous pensons que cela dénote un manque de respect vis-à-vis du travail acharné accompli par les Indonésiens de tous horizons (société civile, secteurs du bois et de la foresterie, autorités, etc.) pour mettre en œuvre le plan d’action relatif aux réglementations forestières, à la gouvernance et aux échanges commerciaux (FLEGT). »8
Ce mépris total de l’UE vis-à-vis des populations et des pays impactés par ses décisions se manifeste de façon criante dans sa façon d’agir vis-à-vis du Vietnam. Selon Fern : « la VICOFA (Vietnam Coffee-Cocoa Association) n’est pas au courant de l’existence du EUDR. Ses membres disent qu’ils ont reçu un courriel de l’Europe mais qu’ils n’ont pas pu comprendre son contenu étant donné qu’ils ne parlent pas anglais. »9
De toute façon, il n’est pas dans les intentions de l’UE de négocier quoi que ce soit. Il suffit pour s’en convaincre de citer ce qu’a écrit l’eurodéputé Renew président de la commission Environnement du parlement européen, Pascal Canfin pour qui ce règlement « va fermer les portes de notre continent – le plus grand marché du monde rappelons-le – aux produits du quotidien ayant le plus d'impact sur la déforestation dans le monde si leur importateur ne sont pas capables de démontrer, documents satellitaires et géolocalisation à l'appui, qu'ils ne sont pas issus de zones déforestées » (les fautes d’accord sont de Canfin mais c’est moi qui souligne). Il considère que « c’est radical » et compte « utiliser la force de notre marché pour peser sur la mondialisation » (en gras dans le texte)10.
Pas question donc de tenir compte ni des lois environnementales des pays concernés et de leurs décisions concernant l’usage des sols sur leur territoire, ni de l’avis des producteurs visés, ni non plus de négocier des délais ou des assouplissements prenant en compte les situations locales. C’est la politique du fait accompli reposant sur un rapport de force dans lequel l’Europe exige des autres ce qu’elle-même n’a même pas réussi à faire et dont les forêts anciennes se résument aujourd’hui à des confettis mal protégés et mis en danger avec le développement du bois énergie.11
En recourant à des données satellitaires et des géolocalisations fournies par des satellites espions comme preuve que les produits visés ne proviennent pas de parcelles déforestées après la date buttoir du 31 décembre 2020, l’UE se permet une ingérence supplémentaire. Comme l’écrit François-Michel Le Tourneau : « l’UE considère qu’elle peut définir à la place des États ce qu’ils devraient faire ou non de leur espace naturel, y compris en l’observant à distance pour mener ses contrôles. »12 Tout cela au nom d’une «défense du climat» et d’une préservation de la biodiversité chez les autres. Avant d’appartenir au « patrimoine mondial de l’humanité », la biodiversité de la ceinture tropicale appartient aux populations autochtones qui y vivent. La considérer comme un « bien commun », c’est spolier ces populations. C’est à elle de gérer ce « bien », leur bien, comme elles l’entendent, à elles de faire les arbitrages qui leurs conviennent entre le développement économique, la justice sociale et la préservation de leur espaces naturels. Faute de l’avoir compris, la réglementation de l’UE à toutes les chances d’être peu efficacee pour atteindre le but avoué : la réduction de la déforestation dans la ceinture tropicale de la planète.
Ce n’est pas pour des raisons technologiques qu’elle manquera son but :
1°) Les satellites espions d’Airbus que l’UE compte utiliser pour réaliser ses contrôles sont capables de déterminer la nature du couvert forestier, le type de culture des parcelles avec « le niveau de finesse nécessaire pour comprendre très précisément ce qui arrive au niveau forestier à l'échelle mondiale » comme s’en vante la responsable des relations européennes de la firme. Si le contrôle à distance voulu par l’UE échoue, cela est dû à l’impossibilité de contrôler à distance la traçabilité du produit exporté13.
Pour le cacao par exemple, François Ruf, économiste au Cirad, spécialiste du cacao doute de l'applicabilité de la législation européenne. Voici ce qu’il a déclaré à RFI : « cela voudrait dire qu’il y a une traçabilité parfaite et que l’Europe serait capable de déterminer si une fève de cacao ou un sac de cacao, vient d’une plantation qui a été créée il y a plusieurs années, et non pas sur une parcelle qui a été défrichée après la date qu’ils ont choisie en 2020. C’est impossible à déterminer dans le contexte actuel des pays comme la Côte d’Ivoire et le Ghana». Les anciennes forêts classées de ces pays « produisent du cacao en masse ; le cacao sort par des pistes piétonnières et une fois qu’il est sorti du périmètre de la forêt classée, il est mélangé avec le reste ; et il n’a rien qui ressemble plus à une fève produite en forêt classée qu’une fève produite dans le domaine dit rural ! »14
Pour le bœuf et le soja brésilien, il en va de même. Pour François-Michel Le Tourneau « On ne doute absolument pas de la grande précision des données géographiques qui seront produites. Mais l’association de telle ou telle carcasse de viande ou telle ou telle cargaison de soja à des parcelles interdites risque d’être plus délicate. » Ceux produits sur des parcelles déjà défrichées illégalement au regard des lois du Brésil sont mis sur le marché en dissimulant leur origine par diverses techniques. Les autorités brésiliennes qui sont pourtant sur place a bien du mal à détecter les fraudes et l’on peut douter fortement que l’EU y réussira mieux, elle qui ne peut faire de contrôle qu’à distance. « On peut se demander s’il n’y a pas un peu d’illusion technologique dans cet aspect de la législation » conclut F. M. Le Tourneau.15
2°) L’importance du marché européen n’est pas la même selon les produits concernés. Par exemple, si pour le cacao et le café la part du marché européen est prépondérante16 /17, ce n’est pas le cas pour bois tropical où la part de l’Europe est très faible dans la consommation mondiale (entre 4 et 5 % de la consommation mondiale de grumes, sciages et contreplaqués, en équivalent bois rond)18. Il faut donc relativiser les affirmations des tenants du règlement UE sur la déforestation importée estimant que l’UE était « le plus grand marché du monde ».
François-Michel Le Tourneau montre que dans le cas du Brésil, cette affirmation est fausse en grande partie. Les deux vecteurs principaux de déforestation sont dans ce pays, le soja et le bœuf. Pour ce dernier et pour le soja en grain, les parts du marché UE ne sont que de 14 % du soja brésilien et 8,8 % de la viande bovine brésilienne alors que celles de l’Asie sont de de 80,6 et 62 %! Il n’y aurait que pour les tourteaux de soja que l’UE ferait presque que jeu égal avec la Chine 44,7 % contre 43 %, « mais les tourteaux et assimilés ne représentent que 14,4 % de la valeur combinée des exportations des trois produits »19 De plus croire que le règlement de l’UE pourrait faire des émules est peu vraisemblable selon cet auteur.
3°) Enfin au niveau mondial, « il y a seulement environ 20% de la déforestation qui est liée au commerce international. Donc, avant tout, les moteurs de la déforestation, c’est la consommation des pays producteurs eux-mêmes : c’est le Brésil qui consomme du bœuf, etc. » rappelle Alain Karsenty chercheur et consultant au CIRAD dans une interwiev à Rfi20
Ce n’est donc pas en « pesant sur le marché mondial », en jouant sur la mondialisation des échanges par le biais de mesures contraignantes sur les pays producteurs que sera stoppée de façon efficace et socialement acceptable la déforestation dans les pays de la ceinture tropicale. Ce règlement ne fera que permettre au consommateur européen de déguster du chocolat ou du café qu’il payera plus cher avec l’illusion de « ne pas contribuer à la disparition de forêts à l’autre bout du monde » !
Même constat pour Fern qui s’inquiète du devenir des petits producteurs vietnamiens de café6 «Nous sommes particulièrement préoccupés par les conséquences potentielles du Règlement sur les petits producteurs [vietnamiens] et les communautés qui dépendent des forêts. » Ils ne pourront pas satisfaire aux exigences de cette loi que d’ailleurs la plupart ignorent, tout comme l’ignorent également les gardes forestiers : « Il faut savoir que les gardes-forestiers ne sont pas non plus au courant des exigences de l’EUDR [Règlement de l’UE sur les produits « zéro déforestation »] ». Ils sont conscients des problématiques liées à l’eau et à la déforestation, mais compte tenu de la grande pauvreté des petits producteurs issus de minorité ethnique, la priorité est donc donnée aux opportunités permettant à ces derniers d’augmenter leurs revenus et leurs moyens d’existence » et parmi celles-ci l’octroi de parcelles de forêt «Dans ces régions, les producteurs empiètent progressivement sur les forêts parce qu’ils reçoivent des parcelles forestières qu’ils convertissent en plantations de café » Les débouchés de leur production sur le marché européen risquent donc d’être fermés, ce qui sera catastrophique pour eux alors que cette déforestation est légale selon les lois de leur pays.
Même chose pour les petits producteurs d’huile de palme indonésiens : « nous craignons la marginalisation potentielle des petits producteurs d’huile de palme qui risquent d’être négativement affectés par le Règlement. En Indonésie, la plupart des petits producteurs sont issus des Peuples autochtones et l’agroforesterie, qui mêle cultures arboricoles et agricoles, fait partie des moyens qu’ils ont pour gagner de l’argent. Ainsi, la définition stricte de la déforestation telle que décrite dans l’EUDR est problématique pour eux. » 7
Pour les producteurs et les associations qui portent leur voix comme pour les gouvernements des pays concernés, il y a unanimité pour réclamer une concertation et regretter que celle-ci n’est pas eu lieu, l’UE les mettant devant le fait accompli. Ainsi pour l’Indonésie : « le Règlement a été élaboré de façon unilatérale sans aucun dialogue entre l’UE et les pays producteurs. D’après nos échanges avec le gouvernement indonésien, nous savons que cette situation ne lui plaît pas non plus. Nous pensons que cela dénote un manque de respect vis-à-vis du travail acharné accompli par les Indonésiens de tous horizons (société civile, secteurs du bois et de la foresterie, autorités, etc.) pour mettre en œuvre le plan d’action relatif aux réglementations forestières, à la gouvernance et aux échanges commerciaux (FLEGT). »8
Ce mépris total de l’UE vis-à-vis des populations et des pays impactés par ses décisions se manifeste de façon criante dans sa façon d’agir vis-à-vis du Vietnam. Selon Fern : « la VICOFA (Vietnam Coffee-Cocoa Association) n’est pas au courant de l’existence du EUDR. Ses membres disent qu’ils ont reçu un courriel de l’Europe mais qu’ils n’ont pas pu comprendre son contenu étant donné qu’ils ne parlent pas anglais. »9
De toute façon, il n’est pas dans les intentions de l’UE de négocier quoi que ce soit. Il suffit pour s’en convaincre de citer ce qu’a écrit l’eurodéputé Renew président de la commission Environnement du parlement européen, Pascal Canfin pour qui ce règlement « va fermer les portes de notre continent – le plus grand marché du monde rappelons-le – aux produits du quotidien ayant le plus d'impact sur la déforestation dans le monde si leur importateur ne sont pas capables de démontrer, documents satellitaires et géolocalisation à l'appui, qu'ils ne sont pas issus de zones déforestées » (les fautes d’accord sont de Canfin mais c’est moi qui souligne). Il considère que « c’est radical » et compte « utiliser la force de notre marché pour peser sur la mondialisation » (en gras dans le texte)10.
Pas question donc de tenir compte ni des lois environnementales des pays concernés et de leurs décisions concernant l’usage des sols sur leur territoire, ni de l’avis des producteurs visés, ni non plus de négocier des délais ou des assouplissements prenant en compte les situations locales. C’est la politique du fait accompli reposant sur un rapport de force dans lequel l’Europe exige des autres ce qu’elle-même n’a même pas réussi à faire et dont les forêts anciennes se résument aujourd’hui à des confettis mal protégés et mis en danger avec le développement du bois énergie.11
En recourant à des données satellitaires et des géolocalisations fournies par des satellites espions comme preuve que les produits visés ne proviennent pas de parcelles déforestées après la date buttoir du 31 décembre 2020, l’UE se permet une ingérence supplémentaire. Comme l’écrit François-Michel Le Tourneau : « l’UE considère qu’elle peut définir à la place des États ce qu’ils devraient faire ou non de leur espace naturel, y compris en l’observant à distance pour mener ses contrôles. »12 Tout cela au nom d’une «défense du climat» et d’une préservation de la biodiversité chez les autres. Avant d’appartenir au « patrimoine mondial de l’humanité », la biodiversité de la ceinture tropicale appartient aux populations autochtones qui y vivent. La considérer comme un « bien commun », c’est spolier ces populations. C’est à elle de gérer ce « bien », leur bien, comme elles l’entendent, à elles de faire les arbitrages qui leurs conviennent entre le développement économique, la justice sociale et la préservation de leur espaces naturels. Faute de l’avoir compris, la réglementation de l’UE à toutes les chances d’être peu efficacee pour atteindre le but avoué : la réduction de la déforestation dans la ceinture tropicale de la planète.
Ce n’est pas pour des raisons technologiques qu’elle manquera son but :
1°) Les satellites espions d’Airbus que l’UE compte utiliser pour réaliser ses contrôles sont capables de déterminer la nature du couvert forestier, le type de culture des parcelles avec « le niveau de finesse nécessaire pour comprendre très précisément ce qui arrive au niveau forestier à l'échelle mondiale » comme s’en vante la responsable des relations européennes de la firme. Si le contrôle à distance voulu par l’UE échoue, cela est dû à l’impossibilité de contrôler à distance la traçabilité du produit exporté13.
Pour le cacao par exemple, François Ruf, économiste au Cirad, spécialiste du cacao doute de l'applicabilité de la législation européenne. Voici ce qu’il a déclaré à RFI : « cela voudrait dire qu’il y a une traçabilité parfaite et que l’Europe serait capable de déterminer si une fève de cacao ou un sac de cacao, vient d’une plantation qui a été créée il y a plusieurs années, et non pas sur une parcelle qui a été défrichée après la date qu’ils ont choisie en 2020. C’est impossible à déterminer dans le contexte actuel des pays comme la Côte d’Ivoire et le Ghana». Les anciennes forêts classées de ces pays « produisent du cacao en masse ; le cacao sort par des pistes piétonnières et une fois qu’il est sorti du périmètre de la forêt classée, il est mélangé avec le reste ; et il n’a rien qui ressemble plus à une fève produite en forêt classée qu’une fève produite dans le domaine dit rural ! »14
Pour le bœuf et le soja brésilien, il en va de même. Pour François-Michel Le Tourneau « On ne doute absolument pas de la grande précision des données géographiques qui seront produites. Mais l’association de telle ou telle carcasse de viande ou telle ou telle cargaison de soja à des parcelles interdites risque d’être plus délicate. » Ceux produits sur des parcelles déjà défrichées illégalement au regard des lois du Brésil sont mis sur le marché en dissimulant leur origine par diverses techniques. Les autorités brésiliennes qui sont pourtant sur place a bien du mal à détecter les fraudes et l’on peut douter fortement que l’EU y réussira mieux, elle qui ne peut faire de contrôle qu’à distance. « On peut se demander s’il n’y a pas un peu d’illusion technologique dans cet aspect de la législation » conclut F. M. Le Tourneau.15
2°) L’importance du marché européen n’est pas la même selon les produits concernés. Par exemple, si pour le cacao et le café la part du marché européen est prépondérante16 /17, ce n’est pas le cas pour bois tropical où la part de l’Europe est très faible dans la consommation mondiale (entre 4 et 5 % de la consommation mondiale de grumes, sciages et contreplaqués, en équivalent bois rond)18. Il faut donc relativiser les affirmations des tenants du règlement UE sur la déforestation importée estimant que l’UE était « le plus grand marché du monde ».
François-Michel Le Tourneau montre que dans le cas du Brésil, cette affirmation est fausse en grande partie. Les deux vecteurs principaux de déforestation sont dans ce pays, le soja et le bœuf. Pour ce dernier et pour le soja en grain, les parts du marché UE ne sont que de 14 % du soja brésilien et 8,8 % de la viande bovine brésilienne alors que celles de l’Asie sont de de 80,6 et 62 %! Il n’y aurait que pour les tourteaux de soja que l’UE ferait presque que jeu égal avec la Chine 44,7 % contre 43 %, « mais les tourteaux et assimilés ne représentent que 14,4 % de la valeur combinée des exportations des trois produits »19 De plus croire que le règlement de l’UE pourrait faire des émules est peu vraisemblable selon cet auteur.
3°) Enfin au niveau mondial, « il y a seulement environ 20% de la déforestation qui est liée au commerce international. Donc, avant tout, les moteurs de la déforestation, c’est la consommation des pays producteurs eux-mêmes : c’est le Brésil qui consomme du bœuf, etc. » rappelle Alain Karsenty chercheur et consultant au CIRAD dans une interwiev à Rfi20
Ce n’est donc pas en « pesant sur le marché mondial », en jouant sur la mondialisation des échanges par le biais de mesures contraignantes sur les pays producteurs que sera stoppée de façon efficace et socialement acceptable la déforestation dans les pays de la ceinture tropicale. Ce règlement ne fera que permettre au consommateur européen de déguster du chocolat ou du café qu’il payera plus cher avec l’illusion de « ne pas contribuer à la disparition de forêts à l’autre bout du monde » !
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1 « Le Conseil et le Parlement parviennent à un accord provisoire visant à réduire la déforestation dans le monde » Conseil de l'UE, Communiqué de presse, 6 décembre 2022 https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/12/06/council-and-parliament-strike-provisional-deal-to-cut-down-deforestation-worldwide/?utm_source=pocket_reader
2 Précisons que l’on entend par « déforestation importée », la déforestation due à la demande de marchés distants, par exemple la déforestation de parcelles pour la culture du soja ou du cacao achetés en Amérique latine ou en Afrique et importés en Europe.
3 « Déforestation importée : l’Union européenne adopte une réglementation ambitieuse mais imparfaite » Greenpeace, Communiqué de presse, 6 décembre 2022 https://www.greenpeace.fr/espace-presse/deforestation-importee-lunion-europeenne-adopte-une-reglementation-ambitieuse-mais-imparfaite/ ; « La déforestation n’a plus sa place dans les chaînes d’approvisionnement de l’UE » Euractiv, 6 décembre 2022 https://www.euractiv.fr/section/energie/news/la-deforestation-na-plus-sa-place-dans-les-chaines-dapprovisionnement-de-lue/?utm_source=pocket_reader
4 « La déforestation n’a plus sa place dans les chaînes d’approvisionnement de l’UE » Euractiv, 6 décembre 2022 https://www.euractiv.fr/section/energie/news/la-deforestation-na-plus-sa-place-dans-les-chaines-dapprovisionnement-de-lue/?utm_source=pocket_reader
5 Jon Walker « La proposition de l'Union Européenne sur la déforestation doit faire plus pour les petits producteurs et productrices » Max Havelaar France, 10.03.2022 https://maxhavelaarfrance.org/actualites/a-la-une/la-proposition-de-lunion-europeenne-sur-la-deforestation-doit-faire-plus-pour-les-petits-producteurs-et-productrices?utm_source=pocket_reader
6 Vu Thi Bich Hop « Le règlement européen sur la déforestation ne doit pas mettre en péril les moyens de subsistance des producteurs de café vietnamiens » Fern, 15 décembre 2022 https://www.fern.org/fr/publications-insight/eu-deforestation-regulation-must-not-imperil-vietnams-coffee-farmers-livelihoods/?utm_source=pocket_reader
7 Abil Achmad Akbar, Sri Palupi « Le nouveau Règlement de l’UE contre la déforestation fait face à d’importants défis en Indonésie » Fern, 15 décembre 2022, https://www.fern.org/fr/publications-insight/the-eus-new-deforestation-regulation-faces-significant-challenges-in-indonesia/?utm_source=pocket_reader
8 Abil Achmad Akbar, Sri Palupi « Le nouveau Règlement de l’UE contre la déforestation fait face à d’importants défis en Indonésie » Fern, 15 décembre 2022, https://www.fern.org/fr/publications-insight/the-eus-new-deforestation-regulation-faces-significant-challenges-in-indonesia/?utm_source=pocket_reader
9 Vu Thi Bich Hop « Le règlement européen sur la déforestation ne doit pas mettre en péril les moyens de subsistance des producteurs de café vietnamiens » Fern, 15 décembre 2022 https://www.fern.org/fr/publications-insight/eu-deforestation-regulation-must-not-imperil-vietnams-coffee-farmers-livelihoods/?utm_source=pocket_reader
10 Pascal Canfin « Accord historique sur la première loi au monde contre la déforestation importée » 6 décembre 2022 https://www.linkedin.com/pulse/accord-historique-sur-la-premi%25C3%25A8re-loi-au-monde-contre-pascal-canfin/
11 Loïc Chauveau «L’Europe dénombre ses dernières forêts primaires », Science et Avenir, 06.06.2018, https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/plantes-et-vegetaux/la-premiere-cartographie-des-forets-primaires-europeennes-vient-d-etre-publiee_124674?utm_source=pocket_reader
12 François-Michel Le Tourneau « Déforestation au Brésil : la législation européenne peut-elle changer la donne ? », The Conversation France, 2 janvier 2023,
13 Louise Sallé « Déforestation importée : l’UE compte sur l’imagerie satellite pour effectuer des contrôles » Europe 1, 7 décembre 2022 https://theconversation.com/deforestation-au-bresil-la-legislation-europeenne-peut-elle-changer-la-donne-197072?utm_source=pocket_reader
14 « Déforestation: le cacao ivoirien est-il conforme aux nouvelles règles imposées par l'UE ? » Rfi 07/12/2022 https://www.rfi.fr/fr/afrique/20221207-d%C3%A9forestation-le-cacao-ivoirien-est-il-conforme-aux-nouvelles-r%C3%A8gles-impos%C3%A9es-par-l-ue?utm_source=pocket_reader
15 François-Michel Le Tourneau « Déforestation au Brésil : la législation européenne peut-elle changer la donne ? », The Conversation France, 2 janvier 2023, https://theconversation.com/deforestation-au-bresil-la-legislation-europeenne-peut-elle-changer-la-donne-197072?utm_source=pocket_reader
16 « L'Europe représentait 33% de la consommation mondiale de café en 2020/2021, soit un volume estimé à 3,244 millions de tonnes de café. Cela fait de l'Europe le plus grand marché du café au monde. L'Asie et l'Océanie se classent en deuxième position avec une part de marché de 22%, suivies de l'Amérique latine avec 20 % et de l'Amérique du Nord avec une part de marché de 19%. » https://www.cbi.eu/sites/default/files/market_information/researches/2021%20Coffee%20Statistics%20and%20Outlook%20FR.pdf
17 « Le cacao en chiffres » https://www.europarl.europa.eu/pdf/cocoa/cocoa_exp_in_fr.pdf
18 Denderwood « Les bois tropicaux : Importations & Tendances » https://www.oewb.be/sites/default/files/media-documents/04%20-%20Hicham%20Chine%20-%20Les%20bois%20tropicaux.pdf
19 François-Michel Le Tourneau « Déforestation au Brésil : la législation européenne peut-elle changer la donne ? », The Conversation France, 2 janvier 2023, https://theconversation.com/deforestation-au-bresil-la-legislation-europeenne-peut-elle-changer-la-donne-197072?utm_source=pocket_reader
20 https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invit%C3%A9-international/20221206-accord-de-l-ue-pour-lutter-contre-la-d%C3%A9forestation-toute-la-charge-va-reposer-sur-les-importateurs
Ajout le 3/01/2024
L’Union européenne ne se tromperait-elle pas de combat, ou d’époque ?
"Si cette nouvelle récession cacaoyère du Ghana se confirme, et si elle est relayée par de nouveaux booms, à commencer par celui du Liberia, elle sera une preuve supplémentaire de l’échec cuisant du « cacao durable » (https://revue-se same-inrae.fr/le-mythe-du-cacao-durable-1-2/) et donc de ses promoteurs : politiques publiques du Nord et du Sud, multinationales, agences de certification, bailleurs de fonds. La nouvelle régulation de l’Union Européenne interdisant la « déforestation importée » pourrait également s’avérer contre-productive. Si « l’or brun » du cacao issu des forêts ne peut plus partir vers l’Europe, ce sont des tonnes d’or jaune extrait de ces mêmes forêts qui s’envoleront pour Dubaï et la Suisse (Le Temps, 2020). L’Union européenne ne se tromperait-elle pas de combat, ou d’époque ? "
François Ruf, Revue Sésame 3 janvier 2024
L’Union européenne ne se tromperait-elle pas de combat, ou d’époque ?
"Si cette nouvelle récession cacaoyère du Ghana se confirme, et si elle est relayée par de nouveaux booms, à commencer par celui du Liberia, elle sera une preuve supplémentaire de l’échec cuisant du « cacao durable » (https://revue-se same-inrae.fr/le-mythe-du-cacao-durable-1-2/) et donc de ses promoteurs : politiques publiques du Nord et du Sud, multinationales, agences de certification, bailleurs de fonds. La nouvelle régulation de l’Union Européenne interdisant la « déforestation importée » pourrait également s’avérer contre-productive. Si « l’or brun » du cacao issu des forêts ne peut plus partir vers l’Europe, ce sont des tonnes d’or jaune extrait de ces mêmes forêts qui s’envoleront pour Dubaï et la Suisse (Le Temps, 2020). L’Union européenne ne se tromperait-elle pas de combat, ou d’époque ? "
François Ruf, Revue Sésame 3 janvier 2024
Mercredi 11 Janvier 2023
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