Dans le dernier article publié sur son blog, Emmanuel Chambon revient une fois encore à la charge contre «les mauvaises herbes» qui envahiraient les rues de Fontenay-aux-Roses. Il crie au laxisme, à la négligence alors qu’il s’agit de laisser pousser çà et là, et en particulier au pied des arbres, des plantes sauvages pour préserver la biodiversité en ville, ce qui est essentiel pour lutter contre l’érosion de la biodiversité en général. Sans compter que l’on ne peut atteindre l’objectif de santé publique « Zéro phyto » sans tolérer la présence de quelques-unes de ces plantes sauvages que l’on ne cherchera donc pas à éradiquer mais seulement à en maîtriser l’extension pour une raison simple : sauf cas particulier, une herbe n’est « mauvaise » que si elle devient envahissante.


Une touffe odorante de matricaire camomille orne le pied de ce tilleul nouvellement planté
Une touffe odorante de matricaire camomille orne le pied de ce tilleul nouvellement planté
On peut donc être étonné par ces coups de griffes répétés contre les herbes folles des trottoirs, caniveaux et pieds des arbres de la ville. Pourquoi ce grand désamour pour les herbes folles que j’ai bien du mal à comprendre ? S’il ne s’agit pas d’une posture politicienne, quelle est donc la racine de ce parti pris ? Est-il utopique d’espérer que Emmanuel Chambon et ceux dont il se fait le porte-parole regardent d’un autre œil, un œil bienveillant, les sauvages de leur rue ?

Si je demandais à Monsieur Chambon et à tous ceux dont il se fait le porte-parole complaisant s’ils se soucient de la bonne santé de leurs concitoyens, et en particuliers des petits Fontenaisiens qui par leur taille, leur position dans une poussette ont la bouche et le nez près du bitume, ils me répondraient sûrement que la santé de ces enfants leur tient autant à cœur qu’à moi.

Renoncule âcre s'invitant dans un parterre
Renoncule âcre s'invitant dans un parterre
Et j’obtiendrais la même réponse si je leur posais la même question pour les gamins qui jouent dans les parcs et squares de la ville, se roulent dans l’herbe et parfois mettent leurs doigts « sales » dans leur bouche. Ne pas traiter les trottoirs et les caniveaux avec des herbicides de synthèse, les parcs et squares avec des pesticides de synthèse, c’est supprimer une des voies de contamination par ces substances très nocives chez les jeunes. Donc, ils m’approuveraient de ne plus utiliser ces poisons sur la ville. D’autant que comme moi, Emmanuel Chambon se soucie sûrement de la santé de nos jardiniers et employés à la voirie qui sont, au même titre que de nombreux agriculteurs, les premiers exposés à ces poisons.

Cependant comme le dit trivialement cet aphorisme du sens commun : « on ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre » Les méthodes dites « alternatives » à l’utilisation d’herbicides chimiques ne sont pas aussi efficaces et elles sont plus délicates à mettre en œuvre. L’eau bouillante sous pression tue bien la plante en faisant éclater ses cellules sous un choc thermique violent mais elle favorise la germination et les herbes folles un temps anéanties, repartent avec une vitalité toute nouvelle. Il faut donc multiplier les passages et cela se révèle inflationniste pour les dépenses allouées à ce poste comme on peut s’en douter. La technique du brûlage présente les mêmes inconvénients avec en plus un mauvais bilan écologique (énergie, gaz à effet de serre, notamment). La binette est la solution idéale sur le papier mais elle est extrêmement coûteuse en main d’œuvre. De plus, c’est une activité fastidieuse si elle est pratiquée de façon exclusive tout au long d’une journée. On ne peut demander cela à un jardinier.

Véronique de Perse au pied d'un arbre
Véronique de Perse au pied d'un arbre
Il y a enfin la possibilité de recourir à la pulvérisation de préparations permises pour les cultures labélisées AB (Agriculture Biologique), préparations d’origine végétale comme celles à base l’huile essentielle d’agrumes et de pélargonium ne contenant pas d’adjuvants issus de la chimie organique. Ces produits sont chers et s’ils sont efficaces, étant totalement biodégradables et non systémiques, leur effet disparait beaucoup plus rapidement que celui des pesticides de l’industrie chimique. La double contrainte écologique et financière fait que l’on ne pourra jamais tuer aussi facilement les herbes folles que si l’on utilisait ces produits chimiques. À Fontenay, nous combinons les deux dernières méthodes citées avec un plan de désherbage qui définit des secteurs où les herbes folles ne sont pas admises, d’autres où elles sont plus ou moins tolérées et quelques emplacements où nous les laissons pousser. Enfin dans certains secteurs sensibles nous n’utilisons que des moyens mécaniques. De cette façon, nous tentons de satisfaire cette double contrainte économique d’un côté, écologique et sanitaire de l’autre. Bref, ou l’on s’empoisonne, on empoisonne l’eau et on détruit les sols ou l’on accepte de maîtriser les herbes folles sans chercher à les éradiquer et sans s’offusquer si, d’aventure, une impertinente véronique mêle ses petites fleurs bleu au milieu d’un massif de tulipes.

La bête noire de Monsieur Chambon
La bête noire de Monsieur Chambon
Passe encore pour la véronique, elle est petite, discrète et fort jolie si on la regarde de près. La « bête noire » pour Emmanuel Chambon et ceux dont il se fait le porte-parole, c’est le pissenlit et toutes les fleurs avec des capitules jaunes qui ont un air de famille plus ou moins prononcé avec lui. Pour être cohérents, s’ils sont soucieux de santé publique, ils ont donc un gros effort à faire, celui d’admettre l’audace d’un de ces pissenlits qui étale sans se gêner sa rosette sur le bord d’un trottoir. Pourront-ils plus encore et arriver à concevoir et admettre que c’est une très bonne chose que ce pissenlit soit là, qu’il puisse épanouir son capitule d’or ? Une très bonne chose pour la biodiversité.
Si je demandais à Monsieur Chambon, s’il considère que la biodiversité doit être préservée, pas seulement les espèces rares, endémiques ou patrimoniales, mais la diversité des espèces communes qui constituent la « nature ordinaire », il me répondrait peut-être par l’affirmative. Je dis « peut-être » car ce qu’il écrivait en 2010 de l’opération « laissons pousser » permettrait d’en douter.

Cette roquette jaune serait bonne en salade si elle n'avait pas choisi de pousser le long d'un boulevard
Cette roquette jaune serait bonne en salade si elle n'avait pas choisi de pousser le long d'un boulevard
Si on fait abstraction de la dimension polémique de son discours qui est inhérente à sa position de représentant d’un courant de l’opposition municipale, la conclusion principale de son article de 2010 met « la propreté » et le « bon entretien » des rues avant le souci et la préservation de cette biodiversité à laquelle il ne laisserait libre cours que dans quelques potagers pédagogiques des écoles et dans un ou deux espaces verts de la ville pour que l’on puisse voir en quoi elle consiste. Ce qui est un non-sens, non-sens auquel s’ajoute un contre-sens sur l’opération « laissons pousser ».
C’est un non-sens. En effet, cantonner strictement les plantes sauvages des villes, c’est précisément non pas préserver mais porter atteinte à la biodiversité de la nature ordinaire en ôtant à ces plantes sauvages toute chance de survie : « En effet, pour assurer leur pérennité, les plantes (sauvages) doivent pouvoir se déplacer en ville, ceci grâce à la circulation de leurs graines et de leur pollen. C’est pourquoi les friches, les pieds des arbres d’alignement, les jardinières, les toits, les murs ou tout autre interstice urbain sont autant de relais indispensables pour assurer la continuité entre les populations de plantes (sauvages) des squares et des jardins. » Sauvages de ma rue, publication du Muséum national d’histoire naturelle, 2011, p. 7)
C’est un contre-sens sur le but de l’opération «laissons pousser». Il ne s’agissait pas de cantonner les plantes sauvages dans des lieux prédéterminés qui seraient comme des musés de la biodiversité mais de susciter une tolérance à ces herbes folles qui poussent dès qu’elles le peuvent, où elles le peuvent, dans les caniveaux, sur le bord des trottoirs, au pied des arbres, sur les vieux murs, ….
Ce sont ces « sauvages de ma rue » dont il faut accepter la présence. Mais c’est précisément ce que refuse Emmanuel Chambon lorsqu’il veut des rues « bien entretenues », c’est-à-dire sans herbe sauvage aucune. Pour lui et pour ceux dont il se fait le porte-parole, il faut admettre que l’opération «laissons pousser» fut un échec. D’autant qu’il récidive presque dans les mêmes termes dans le dernier billet de son blog : pas d’herbes sauvages dans ma rue, ni aux pieds des arbres…. Il écrit que cet été « les rues de Fontenay-aux-Roses sont apparues envahies par les mauvaises herbes, aux pieds des arbres non-entretenus et dans les caniveaux, lui conférant un aspect que vous êtes beaucoup à me signaler comme peu bucolique. » Beaucoup ? Je n’en suis pas si sûr. Mais bref… Voici un texte bien révélateur ! On voit tout de suite l’exagération. Les barbares sont dans nos murs et envahissent nos rues !

Les feuilles de cette bardane nourrissent  des pucerons que dévorent des coccinelles, larves et adultes
Les feuilles de cette bardane nourrissent des pucerons que dévorent des coccinelles, larves et adultes
Il faut donc rappeler une fois encore que l’expression « mauvaise herbe » est impropre et quelque peu rétrograde. Ni les scientifiques, ni les gestionnaires des collectivités n’emploient aujourd’hui ce terme. L’expression est aussi inappropriée. Le pissenlit par exemple, où la petite bardane sont des « bonnes herbes », c’est-à-dire des herbes médicinales aux nombreuses vertus reconnues. Monsieur Chambon et ceux dont il se fait le porte-parole préfèrent voir des pieds d’arbres entretenus, c’est-à-dire de la terre nue ornée d’une ou deux crottes de chien plutôt que des matricaires, des renoncules et toute l’exubérance vitale de la nature sauvage. Cette exubérance vitale, ils la ressentent comme quelque chose d’un peu répugnant. Répugnant et dangereux… Et là est la racine de leur désamour du sauvage. Ce n’est pas un hasard si le couplet sur les mauvaises herbes est toujours associé à celui sur la propreté de la ville, comme si les fleurs et plantes sauvages étaient sales. Vouloir que l’on arrache, déracine, tue tout ce qui pousse sans nous, sans que nous l’ayons décidé et parfois malgré nous, ce qui ne dépend pas de nous, c’est vouloir détruire cette part de Nature que l’on n’a pas réussi à bouter hors la ville. Pierres, néons, béton et goudron sont finalement bien rassurants. Car la Nature, c’est vrai, n’a rien de «bucolique » lorsqu’elle est sauvage, libre et laissée à elle-même. Le « bucolique », c’est la campagne, c’est aussi une nature aménagée par l’homme, une nature domestiquée comme dans les parcs avec leurs allées gravillonnées, leurs platebandes tirés au cordeau, leurs arbres et leurs buissons tout rond. Ainsi domptée, réduite à l’ombre d’elle-même, la Nature ne fait plus peur à ceux qui peuvent alors se prendre pour ses maîtres et possesseurs. Mais l’herbe folle, c’est la preuve qu’elle n’a pas dit son dernier mot, qu’elle vous attend au tournant pour vous engloutir dans sa chaude exubérance visqueuse, si grouillante de vie qu’elle en est obscène. Au secours Monsanto ! À mon secours chevalier Roundup…À l’origine de ce parti pris, de ces prêches d’éradicateur d’herbes folles, on trouve, une fois de plus, la peur de la Nature ; une peur dont les racines sont profondément ancrées dans l’inconscient comme nous le savons depuis les écrits de François Terrasson. Lorsque l’inconscient est en jeu, le raisonnement est hors-jeu. L’amour comme le désamour ne se commandent, ni ne se raisonnent. Comment alors convaincre ?
Il existe donc des gens qui n’aiment pas les herbes folles parce qu’ils n’aiment pas la Nature lorsqu’elle se présente là où ils ne l’avaient pas invitée parce qu’à surgir ainsi, elle leur fait peur bien qu’ils ne l’avoueront pas et ne s’en aperçoivent peut-être même pas. A défaut d’amour, parlons-leur donc «intérêt» et renvoyons tous ces pourfendeurs des «herbes folles» aux travaux des naturalistes et des économistes qui expliquent comment nous dépendons de cette biodiversité qu’ils veulent malmener. Ces travaux évaluent la gravité des menaces que fait peser sur nous son érosion, montrent pourquoi il faut la préserver partout, dans tous les milieux. Renvoyons les aussi aux études de ces mêmes chercheurs qui détaillent les services qu’elle nous rend et que nous ne pourrions pas payer même si nous avons quelques idées pour les évaluer. Il y a sur le site du Muséum d’histoire naturelle, une série de conférences à écouter sur ces thèmes.

Emmanuel Chambon et les herbes folles : le grand désamour ?
Peut-être faudrait-il aussi organiser pour tous ces pourfendeurs d’herbes sauvages et leur porte-parole complaisant des sorties botaniques dans les rues de la ville. Ils découvriraient toute la richesse d’une flore qu’ils hésiteraient peut-être ensuite à sacrifier. A défaut, on peut leur conseiller de se procurer le livre Sauvage de ma rue, guide des plantes sauvages des villes de la région parisienne pour apprendre à mieux connaître ce qu’ils ne pensent qu’à détruire. Sur leur lancée, peut-être iront-ils alors jusqu’à participer au programme éponyme du Muséum national d’histoire naturelle en parcourant les trottoirs de Fontenay pour relever le nom des espèces qu’ils auront rencontrés et envoyer les données recueillies en se connectant au site www.sauvagedemarue.fr permettant aux chercheurs de cette institution d’étudier les caractéristiques de la biodiversité urbaine non seulement pour mieux la connaître mais aussi pour proposer des directives de gestion en vue de sa préservation.
Je rêve sans doute et Emmanuel Chambon, nullement convaincu écrira sans doute encore quelque article demandant que les pieds des arbres d’alignement de Fontenay-aux-Roses soient entretenus.

Photos : JF Dumas
En Mai, en remontant côté droit le Boulevard de la République, j’ai relevé plus d’une dizaine d’espèces poussant au pied des tilleuls nouvellement plantés, matricaire, bardanes, renoncules, trois espèces de bromes, deux de laiterons, des pâturins, des capselles, etc. Sur un pied de bardane des coccinelles et leurs larves faisaient ripaille de pucerons qui, délaissant les rosiers des jardins voisins, en infestaient les feuilles.
Les photographies de ce boulevard qui illustrent cet article montrent aussi que toute cette végétation est loin d’enlaidir la rue. Et c’est le cas dans toutes les villes dont Paris qui laissent le sauvage s’exprimer au pied de leurs arbres d’alignement.

Dimanche 9 Septembre 2012
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