David Provost « Vers une gestion antispéciste et utilitariste de nos forêts » Amorce, 16 décembre 2019

Voilà un texte qui semble pour le moins original : un antispéciste qui tente de convaincre les autres antispécistes de la nécessité de la chasse comme d’un moindre mal en l’état actuel de la société pour réguler les populations animales dans les forêts dans l’intérêt des animaux non humains et humains. Pour les animaux non humains, il s’agit de préserver leur milieu de vie et pour les animaux humains la ressource en bois, économiquement et écologiquement indispensable. Pour les uns et les autres préserver les puits de carbone que ces forêts constituent.
Faute de mieux et en attendant une société idéale antispéciste où l’on renoncerait à la chasse comme outil de régulation pour recourir à des méthodes de « stérilisation à grande échelle » à mettre au point, les chasseurs sont donc confortés par cet antispéciste dans le statut qu’ils revendiquent de « premiers écologistes » de France !
Mazette !


À propos d’un article publié dans une revue antispéciste : Vers une gestion antispéciste et utilitariste de nos forêts.
Pour lire l'article :
https://lamorce.co/vers-une-gestion-antispeciste-et-utilitariste-de-nos-forets/


A y regarder de près cependant, cela n’est pas aussi étonnant que l’on pourrait le croire au premier abord. Ce texte se rattache par certaines des idées qu’il développe à un courant de l’antispécisme qui fait florès aux USA, le RWAS (Reducing Wild-Animal Suffering [Pour réduire la souffrance des animaux sauvages]) qui prêche la nécessité d’actions interventionnistes plus ou moins radicales pour artificialiser les écosystèmes naturels (allant jusqu’à leur suppression pure et simple) sur la base de l’hypothèse de « la prédominance de la souffrance ». Selon cette hypothèse à laquelle ce texte fait référence la valeur nette de la vie sauvage – sa valeur positive (le bien-être qu’elle contient) moins sa valeur négative (le mal-être qu’elle contient) – serait négative.[1]
 

Pour bien saisir la portée de cet article et ses objectifs, il faut le contextualiser : il est écrit par un antispéciste [je présume] dans une revue antispéciste à l’intention de lecteurs antispécistes. Il s’agit de faire admettre à ceux-ci qu’est conforme à leur idéologie une gestion productiviste des forêts avec pour corollaire la nécessité d’une régulation des populations d’animaux qui y vivent. Son refus d’accorder même par précaution et au bénéfice du doute aux arbres en particulier et aux plantes en général une forme de « sentience »[2] sous prétexte que cela est controversé parmi les biologistes n’a rien d’étonnant. Que l’attribution d’une telle « sentience » aux insectes soit elle aussi controversée, ainsi qu’il le reconnait, ne l’empêche pas de la leur attribuer, précisément « au bénéfice du doute ». Ce «deux poids, deux mesures» est en parfait accord avec l’idéologie antispéciste et  est admis sans restriction aucune par tous ceux qui se réclament de cette idéologie. En effet les végans les plus rigoristes et les anti-spécistes refusent les produits de la ruche ! Tous considèrent que la « sentience » ne peut que concerner des animaux.
Pour réserver la sentience à ce que l’on appelait le règne animal, l’auteur ne démérite pas dans l’art du « cherry picking » que savent si bien manier les végans et les antispécistes.  Il cite une tribune dont l’auteur principal est un biologiste retraité, opposé depuis le début de l’essor de la neurobilogie végétale. Cet article est paru dans la revue même qui a publié de nombreux articles consacrés à la «neurobiologie végétale ». Pour lui cela est concluant alors que cette tribune a fait dans cette même revue l’objet d’une controverse que l’auteur passe sous silence. C’est d’ailleurs dans cette revue qu’est paru l’un des premiers articles de « neurobiologie végétale »[3]

L’auteur aura d’autant moins de mal à faire admettre cette absences de sensibilité chez les plantes qu’il écrit pour un lectorat déjà convaincu et qu’étendre la sensibilité aux plantes semble sinon contre-intuitif, du moins va à l’encontre de l’opinion la plus communément admise. Pourtant les nouvelles avancées concernant ce sujet amènent à accumuler les preuves d’une sentience chez les plantes de la modeste arabette aux arbres les plus imposants. Si les antispécistes s’arcboutent sur ce refus, c’est qu’il est essentiel pour leur théorie.  Si l’on admet que les plantes sont – ou risque d’être, sentientes, il faut leur accorder le même statut moral qu’ils accordent aux animaux. Et du coup, l’antispécisme est réduit à l’absurde ou bien, il faudra trouver un autre critère que la « sentience » pour séparer les animaux des végétaux et réserver aux premier une considération morale ! Mais dans ce cas, se retournent  contre l’antispécisme tous les arguments que les philosophes antispécistes ont développés pour montrer que la « sentience » est le seul critère valable pour attribuer la «considération morale ». En fait, il est facile de voir que le prétendu antispécisme propose un critère qu’il suppose, sans doute à tort, être coextensif au règne animal, et  qui exclut de la considération morale toutes les autres formes de vie. C’est pourquoi on peut dire qu’il est une sorte de « zoospécisme » !

Quoi qu’il en soit, ce zoospécisme est bien pratique pour faire accepter aux antispécistes les coupes rases et l’artificialisation des forêts considérées comme des forêts de production et réduites à des plantations d’arbres. Et il est bien vrai que pour une morale antispéciste, cela n’a rien de scandaleux.
 

[1] Passons sur le fait qu’il faut supposer que bien-être peut être mesuré et que la grandeur qui est ainsi mesurée est extensive ! une quantité ou une intensité ??? Sinon la précision de la formule et son caractère testable n’est qu’un leurre ! (Qui peut prouver que la copulation d’un lapin de garenne provoque chez lui un bien être supérieur, égal ou inférieur à la souffrance qu’il éprouve lorsqu’il est tué par un renard ? De plus une telle soustraction n’est possible que si les termes sont des choses semblables (les torchons et les serviettes !), le mal être n’est pas un bien être négatif.
 
[2] Les philosophes végans et/ou antispécistes spécifient la « sentience »comme étant la « faculté de sentir, de percevoir une sensation ». En bon français le terme équivalent serait « sentiment » mais dans un de ses sens aujourd’hui peu usité, voire tombé en désuétude.

[3]  Eric D. Brenner, Rainer Stahlberg, Stefano Mancuso, Jorge Vivanco, František Baluška, Elizabeth Van Volkenburgh, « Plant neurobiology: an integrated view of plant signaling », Trends in Plant Science, Volume 11, Issue 8, 2006, Pages 413-419.
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Il est très intéressant de s’attarder sur ce texte et d’en faire la critique car cela permet de mettre en évidence que l’antispécisme accepte et même justifie l’artificialisation de la Nature et donc entre en opposition frontale avec ce que défendent les protecteurs de cette Nature. En effet quelles gestion forestière s’agit-il de faire admettre aux végans antispécistes et pour quelles forêts ? L’auteur ne s’en cache pas : il proclame que la gestion forestière vertueuse et durable est une gestion productiviste à base de coupes rases et de récoltes précoces qui tendent à réduire les forêts à des plantations d’arbres.

Mais de même qu’il est certain qu’un lapin qui mange ses salades n’est pas le bienvenu dans le jardin d’un maraîcher, de même un cerf ou un chevreuil qui broute les jeunes pousses n’est pas le bienvenu dans ces plantations d’arbres que certains s’obstinent à nommer des forêts. Et c’est de ce type de forêts qu’il est question dans ce texte, forêt dans lesquelles il faut « réguler » et « réguler » fortement les populations d’animaux qui seraient susceptibles d’y prospérer trop vigoureusement. Cette régulation est le corollaire indispensable de ce mode de gestion. Et bien entendu, cette régulation pose pour le moins un grave problème aux antispécistes. L’auteur qui est un fervent adepte de ce type de gestion et de forêt va devoir justifier cette régulation. Et là, ce n’est pas comme lorsqu’il s’agissait de montrer que les coupes rases étaient moralement acceptables, il n’est plus en terrain conquis avec ses lecteurs anti-spécistes. D’autant que pour lui, à l’heure actuelle, il n’y a pas d’autres moyens de réguler ces populations animales de façon efficace que – horresco referens !  - la chasse !!!
 
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Pour convaincre ses lecteurs il va employer deux types d’arguments : des arguments tirés d’une morale utilitariste et des arguments de fait. Ces derniers sont pour le moins discutables que l’on soit ou non « antispéciste ».

Tout d’abord, selon les principes utilitaristes que se donne l’auteur, il apparait que le sacrifice d’une ou plusieurs vies est justifié dès lors qu’il permet de maximiser la survie du plus grand nombre. Cela est parfaitement conforme à l’éthique développée par les philosophes référents de l’animalisme, Peter Singer notamment. Partant de cela, l’auteur veut convaincre les lecteurs antispécistes que, en attendant mieux, la chasse est le meilleur outils, bien meilleur que la prédation telle qu’elle joue dans les chaînes trophiques naturelles parce que moins douloureuse. Non seulement cela reste à prouver mais à l’occasion l’auteur se contredit.

Cela reste à prouver : lors d’une chasse, les animaux touchés et blessés ne sont pas toujours tués sur le coup et s’enfuient avec pour destin une plus ou moins longue agonie ou s’ils sont simplement estropiés, ils sont condamnés à une survie brève et misérable. Ce n’est pas pour rien qu’après une battue, les gardes-chasse  recherchent pour l’achever le gibier blessé avec des « chiens de sang ».

L’auteur se contredit. Il commence par expliquer que la venaison, viande qui n’est certes pas éthique, est  pourtant une viande plus « éthique » ou « moins immorale » que la viande des bêtes d’élevage car les animaux sauvages tués à la chassent ont eu une vie meilleure que ces dernières. Supprimer la chasse reviendrait à remplacer de la venaison par de la viande d’élevage moins éthique, dans l’état actuel d’une société spéciste. Mais dans la suite pour éliminer la possibilité d’une régulation naturelle par des prédateurs comme le loup, il s’appuie sur l’hypothèse de la prédominance de la souffrance dans la vie des animaux sauvage. Et donc qu’en fin de compte dans un élevage paysan, l’animal de rapport serait plus heureux que l’animal sauvage ! Par voie de conséquence, la viande d’élevage paysan serait plus éthique que les venaisons.

Pour l’auteur, ce n’est pas seulement du point de vue des intérêts humains qu’il faut maîtriser la taille des populations d’ongulés dans une forêt, c’est dans l’intérêt de ces ongulés eux-mêmes et des autres animaux résidant dans cette forêt : si l’équilibre animal/forêt est rompu, la forêt ne peut plus être régénérée et c’est le milieu de vie des animaux qui est atteint entrainant des famines et les calamités associées. C’est peut-être vrai pour les plantations d’arbres, mais cela l’est beaucoup moins pour les forêts gérées selon des méthodes proches des processus naturels et encore moins pour les forêts laissées en libre évolution.
 
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L’utilitarisme avec ses notions fumeuses de « maximisation des préférences»  considère que l’intérêt bien compris de tous exige en la circonstance que l’on en élimine quelques-uns. Si chacun compte pour un, difficile de décider lesquels seront sacrifiés ! Se pose aussi le problème de déterminer qui est en droit de décider ? Bien entendu et sous-entendu, ceux qui gèrent les forêts, c’est-à-dire des membres de l’espèce humaine ! A force de contorsions, l’antispéciste se mord la queue ; en d’autres termes plus académiques, il se contredit ![1]

L’idée de « chasseurs régulateurs de la faune sauvage » découle en droite ligne des dires des chasseurs eux-mêmes qui cherchent à verdir leur loisir. Mais la prédation naturelle diffère de cette régulation sur un point essentiel : Le loup vise les sujets les plus faibles, le chasseur s’en prend au contraire aux plus vigoureux, par exemple aux mâles qui ont les plus beaux « trophées ». Indirectement le prédateur naturel contribue à la bonne santé des populations de proies, le chasseur ne contribue à rien de tel pour son gibier : il aurait même tendance à avoir l’effet inverse.

Outre l’horrible caractère « holiste » de cette objection aux yeux de l’auteur, il est évident qu’elle ne serait pas recevable pour lui qui ne se soucie pas de la santé des populations animales mais qui cherche simplement à les restreindre pour pouvoir continuer tranquillement sa gestion productiviste qui réduit les forêts à des plantations d’arbres dans lesquelles les animaux quels qu’ils soient ne sont pas les bienvenus ! Il se peut que faute de prédateurs, les populations d’ongulés soient trop importantes dans les forêts mais c’est surtout au regard d’une gestion et d’une exploitation productiviste de la forêt qu’elles sont jugées telles. Il se peut tout autant que ce ne soit pas le cas[2]

En outre contrairement à ce qui est souvent affirmé, (ONF, Chasseurs), la présence de prédateurs n’est pas toujours nécessaire pour la régulation de certaines populations d’ « ongulés », gibier fort prisé des forêts. Les populations de chevreuils montrent une tendance naturelle à l’autorégulation en fonction des ressources disponibles. Par exemple, dans le cas des chevreuils vivant dans l’est du Jütland, une région pauvre en ressources, les chevreuils sont prospères mais peu nombreux. Dans la forêt de Chizé, « forêt mise en Réserve Biologique Intégrale », la population de chevreuils est l’une des populations de grands herbivores en Europe, et la première en France, qui s’est stabilisée naturellement (i.e., présente une croissance annuelle nulle sans prélèvements par l’homme)[3]. Pour les autres populations françaises, on ne saura pas car les grands régulateurs font parler les fusils.

Le cas du canton de Genève en Suisse est intéressant : la chasse y est interdite depuis le 14 mai 1974. En l’absence de prédateurs, ce sont les gardes-faunes qui en font office lorsqu’il s’agit d’opérer le minimum de suppressions jugées nécessaires. Le nombre de tirs de régulation est très faible, en moyenne 20 à 25 en ce qui concerne les chevreuils dont la population est en croissance forte après s’être reconstituée[4].

On remarquera que, autant que la forêt et peut-être plus qu’elle, ce sont les cultures qui sont le plus impactées par la faune sauvage et ce sont presque toujours les dégâts causés à ces cultures qui sont à l’origine des régulations. C’est le cas notamment avec les sangliers qui subissent des tirs de régulation plus nombreux : «Tous les partenaires comprennent l'intérêt de maintenir les effectifs de sangliers (espèce très prolifique) à une densité en rapport avec l'alimentation que peuvent fournir nos forêts (et non notre agriculture !) »[5]. Dans les cas où des régulations sont décidées, étant données les précautions prises et la préparation, il est certain qu’elles sont effectuées  avec le minimum de souffrance pour les individus tués. Les chasseurs dénoncent pourtant ces façons de procéder comme des méthodes de braconniers ne respectant pas l’éthique de la chasse. Ce reproche ne tient pas comme le montre Robert Hainard « S’il faut une éthique pour limiter le chasseur qui tiendrait à tuer le plus possible, lorsqu’il s’agit d’opérer un minimum de suppressions jugées nécessaires, il est normal de le faire par les moyens les plus faciles et les plus économiques » [6] Les victimes des tirs de régulation sont en nombre infime par rapports aux hécatombes permises par les plans de chasse, quelles que soient les espèces ! Mais le reproche essentiel n’est peut-être pas là en ce qui concerne la chasse. Le chasseur est un prédateur en concurrence avec d’autres qui chassent sur les mêmes terrains et qu’il ne supporte pas, les « nuisibles », les « puants », les lynx, les loups…Comme l’écrit Hainard « Ils [les chasseurs] voudraient aménager la nature, favoriser les espèces amusantes à chasser et bonnes à manger » Une forme de régulation tout à fait particulière et fort intéressée ! N’est-ce pas cela qu’un antispéciste devrait condamner : l’aménagement des forêts au seul profit du prédateur humain qui y sévit [7] , [8]  ?
 
Cette alternative à la chasse telle qu’elle est pratiquée dans le Canton de Genève  pour réaliser les régulations estimées nécessaires n’est même pas envisagée dans ce texte et il est assez cocasse qu’un antispéciste reprenne sans examen critique les dires des chasseurs et de l’ONF, les uns pour justifier leur passe-temps, l’autre essentiellement pour justifier une pratique qui lui permet de gagner de l’argent. L’auteur considère cependant que cette régulation par la chasse n’est qu’un pis-aller dans le contexte de la société spéciste actuelle, le moins mauvais choix, la réintroduction de carnivore comme le loup étant le pire.
 
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La chasse comme moyen de réguler les populations d’ongulés en forêt ne peut pas être admise dans une société antispéciste idéale puisque si l’on l’admettait comme éthique, il faudrait admettre au nom du principe d’égalité de traitement les massacres comme moyen de réguler la population humaine mondiale qui est bien trop importante, cette surpopulation portant de graves atteintes au milieu de vie de tous les êtres sentients qui l’habitent. Or il est évident qu’une telle conclusion est inacceptable. Un utilitariste pourrait éviter cette conclusion en distinguant entre « intérêt à ne pas souffrir » et « intérêt à vivre » comme le fait Péter Singer, le pape de la « libération animale ». Pour ce dernier si l’intérêt à ne pas souffrir est le même pour tout être doté d’une « sentience », l’intérêt à vivre des humains est supérieur à celui des animaux ; les hommes étant capables d’avoir des désirs pour l’avenir, ce qui ne serait pas le cas des animaux qui ne vivent qu’au jour le jour[9] . Ce distinguo ainsi spécifié lui permet de justifier bien des choses, notamment de tuer des animaux dès lors que cela peut (ou pourrait) se réaliser sans qu’ils souffrent.

L’auteur de cet article en bon antispéciste végan avance au contraire l’hypothèse d’un égal intérêt à vivre des animaux et des humains. Ce qui lui permet de rendre son utilitarisme parfaitement compatible avec l’antispécisme. Mais rend totalement immorale toute régulation qu’elle soit le fait de chasseurs agissant pour leur plaisir ou de gardes dans le cadre de leur travail.

La solution qui serait utilitariste et antispéciste, donc pleinement morale serait, selon lui, la stérilisation à grande échelle. Mais cette stérilisation à grande échelle appliquée à des humains sans leur demander leur avis reste, elle aussi inacceptable même si elle heurte moins qu’un massacre programmé. Pourquoi serait-elle moralement bonne appliquée aux seuls animaux ? Humains et herbivores ne portent-ils pas atteinte à leur milieu de vie à cause de leur trop grand nombre et leur reproduction inconsidérée ? Pour les hommes, il s’agit de la planète et pour les ongulés, plus modestement des forêts où ils vivent.

Pour sauver la solution qu’il considère  antispéciste, l’auteur va employer un argument formellement identique à celui de P. Singer. Si un humain et un animal ont le même intérêt à vivre, l’intérêt à se reproduire des humains est supérieur à celui des animaux, qui selon l’auteur est très faible donc le principe d’égalité de traitement ne joue pas en ce qui concerne la reproduction. Assez curieusement, l’auteur de cet article estime qu’ « il est probable que les animaux non humains n’éprouvent pas une frustration due à l’impossibilité de se reproduire, du moins pas autant que les humains qui, eux, vivent dans des sociétés où l’idéologie “pro-reproduction” est très marquée ». Les humains seraient conditionnés culturellement et non naturellement à se reproduire … Plus exactement, la frustration induite par le fait de ne pas avoir de descendance serait culturelle. Je n’en sais rien mais je crois qu’il faut être aveugle pour ne pas voir que la reproduction est une des grandes affaires de la vie d’un animal à laquelle il s’emploie en dépensant énormément d’énergie et au risque de sa vie. Il faut donc qu’il y puise ou s’attend à y puiser une grande satisfaction. Pour croire que cela l’indiffère, il faut être aveugle ou aveuglé et n’avoir jamais observé un animal, ne serait-ce qu’un moineau des villes!
 
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L’auteur convoque la lutte contre le réchauffement climatique pour justifier sa conception de la gestion des forêts, de leur exploitation dans le cadre d’une gestion productiviste et de leur défense nécessaire contre la dent des animaux. A tort car les forêts de production soumises à une gestion du type de celle qu’il préconise n’en fera pas des puits de carbone. Non seulement l’exploitation forestière n’est pas en elle-même une composante très importante de la lutte contre l’effet de serre mais si c’est une exploitation productiviste du style de celle retenue par l’auteur, elle peut rendre la forêt émettrice de GES.

L’article de Naudts et al., « Europe's forest management did not mitigate climate warming»[10] montre en se fondant sur plus de deux siècles et demi d’archives concernant les forêts européennes que celles-ci non seulement n’ont pas joué le rôle de puits de carbone que l’on pouvait espérer mais qu’au contraire elles ont participé au changement climatique actuel. Ce ne sont pas les forêts comme telles qui sont en cause mais leur gestion, notamment l’exportation de bois hors de ces forêts, leur exploitation intensive, l’inversion par rapport à l’année initiale (1750) de la proportion entre résineux et feuillus, la mise en exploitation de boisements laissés en libre évolution. Cet article a fait l’effet d’un « pavé  dans la mare » en remettant en cause les idées reçues sur la gestion des forêts européennes tempérées bien que d’autres études plus partielles ou sur des forêts d’un autre continent aient déjà abouti à des conclusions analogues.

La théorie à laquelle semble se référer l’auteur selon laquelle les vieilles forêts auraient un bilan carbone neutre date des années 60. On sait aujourd’hui qu’elle est fausse mais certains s’en servent encore pour freiner la mise en place de protections pour les forêts anciennes et la promotion d’une sylviculture dite « dynamique »

Tout à l’inverse de celle-ci et de l’exploitation productiviste mise en avant dans cet article, une gestion écologique des forêts exploitées se doit pour être efficace en  termes de carbone et de biodiversité  et  de  rentabilité  économique, d’allonger les cycles sylvicoles, d’éviter les coupes rases et de préférer les interventions prudentes et continues, de conserver bois mort et rémanents en forêt, de favoriser le mélange des essences, de privilégier les traitements irréguliers à couvert continu.[11]

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Une stérilisation à grande échelle des animaux devenus indésirables dans une forêt de production silencieuse et totalement artificialisée à coup de coupes rases et de plantations en rang d’oignons, tel est l’idéal à quoi on devrait tendre une gestion antispéciste et utilitariste. Tout le contraire d’une forêt naturelle en libre évolution.

Tous les antispécistes utilitaristes ne seraient sans doute pas d’accord avec la gestion forestière défendues dans cet article. Les arguments avancés à l’appui de cette gestion sont loin d’être convaincant et certains ne le seraient même pas aux yeux d’un antispéciste. Cependant, cet article est instructif en ce qu’il montre que la gestion forestière que l’on peut défendre d’un point de vue antispéciste et utilitariste s’oppose à une gestion écologique. Elle fait bon marché de la naturalité, de la biodiversité que les protecteurs de la nature et certains écologistes défendent et auxquelles ils  sont atttachés tandis qu’il y a des antispécistes qui n’ont aucun souci de cela. Pour eux, au contraire, une artificialisation de la nature est tout à fait souhaitable.

 


[1] D’une façon plus générale, il n’est pas du tout certain que l’utilitarisme, s’il peut être un fondement philosophique au véganisme et aux théories de la libération animale soit parfaitement compatible avec l’antispécisme.

[2] Voir Pierre Rigaux 2019, Pas de fusils dans la Nature, Ch.4 Editions humen Sciences/Humensis, Paris

[3] Anderson, Duncan & Linnell. 1998. The European Roe deer: the biology of success. Scandinavian Univ. Press ; Van Laere & Delorme 2007. Le chevreuil. Belin / Eveil Nature collection. Voir en ligne une présentation des résultats et d’autres références  http://www.cebc.cnrs.fr/Fconservation/chevreuil.htm
 
[4] Cf. République et Canton de Genève |Département du territoire Direction générale de l'agriculture et de la nature 2018,  Gestion des espèces pouvant être chassées* selon la Loi fédérale sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages Organisation, coût et bilan; Genève 2014-2017  , Annexe 4 . Avec les cultures riveraines, les chevreuils ont découvert un milieu qui leur est favorable et une nourriture abondante. Ceci pourrait expliquer que la population du canton de Genève soit en forte croissance alors que celle de la forêt de Chizé est stationnaire.
Les tirs sont nécessaires surtout pour les sangliers mais les problèmes posés par les sangliers sont les mêmes dans tous les cantons, que la chasse soit autorisée Canton de vaud par ex. ou interdite Canton de Genève.
 
[5] Cf. République et Canton de Genève |Département du territoire Direction générale de l'agriculture et de la nature 2018,  Gestion des espèces pouvant être chassées* selon la Loi fédérale sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages Organisation, coût et bilan; Genève 2014-2017 , page 6.  Voir aussi les Annexe 3 et 4.
 
[6] Hainard Robert 2003, Mammifères sauvages d’Europe, Quatrième édition revue et augmentée, p. 14 ; Delachaux et Niestlé, Lausanne-Paris.

[7] Les forestiers déplorent les dégâts commis par le cerf  comme les écorçages et les abroutissement. Mais le cerf est aujourd’hui cantonné dans les forêts par la pression humaine et les cultures alors qu’il serait plutôt un animal des paysages ouverts avec des arbres espacés tant il est important pour lui de voir pour sa survie et d’être vu pour sa vie sociale. On peut donc dire, selon Robert Hénard que « en un sens, il ne dégrade pas tant les forêts qu’il les aménage à son usage ». Il ne fait rien d’autre que ce que font les humains en forêt qu’ils soient sylviculteurs ou chasseurs. Et comme il est en forêt chez lui autant que les humains, et même d’avantage, voilà un beau sujet de méditation pour les antispécistes qui seraient tentés de suivre l’auteur de l’article.
 
[8] On remarquera par parenthèse que l’aménagement de la nature par l’homme est à son apogée dans les cultures, là où la naturalité est voisine de zéro. Dans ces cultures les animaux sauvages ne sont pas tolérés et c’est parce qu’ils quittent la forêt pour se nourrir que les chevreuils, les sangliers etc. doivent être « régulés », c’est-à-dire éliminés. Le gentil chevreuil tué par un affreux chasseur scandalise le végan ou l’antispéciste mais sait-il, cet antispéciste, ce végan que même si la chasse était abolie, il faudrait encore tuer des chevreuils et des cerfs pour préserver les cultures de maïs, de soja, les arbres fruitiers, et toutes les cultures nécessaires à un régime végan non spéciste, l’expérience montrant que toutes les méthodes de protection ne suffisent pas toujours, ne sont pas toujours possible à mettre en œuvre et sont souvent mises en échec! Et cela ne s’arrête pas  aux ongulés. Sont aussi sujets actuels ou potentiels à la mitraille dans ce but les lièvres et les lapins, les mustélidés, les rongeurs, les oiseaux comme les corneilles ou les étourneaux, etc.  Manger végétalien, c’est, tout comme les « carnistes » « avoir du sang sur les mains » pour reprendre le titre d’un article de Mike Archer, biologiste australien!  On objectera peut-être que les intentions ne sont pas les mêmes mais du point de vue utilitariste, cela est sans importance, seul le résultat compte.
 
[9] Ce qui est d’ailleurs discutable, au moins pour tous ceux qui font des réserves pour la mauvaise saison. Même si ce souci de l’avenir est génétiquement prédéterminé, il n’en reste pas moins un souci et d’autant plus impérieux à calmer qu’il est « instinctif ». Et que penser du moineau mâle qui construit et décore son nid pour attirer une femelle ? On peut bien dire sans trop faire d’anthropomorphisme qu’il a des projets et des espérances !

[10]Science 05 Feb 2016 : 597-600.
 
[11] Rossi  M.,  André  J.,  Vallauri  D.,  2015.  Le  carbone  forestier en  mouvements. Éléments  de  réflexion  pour  une politique maximisant les atouts du bois. Lyon, Rapport REFORA).
On se rapportera également à un article de Thierry Gauquelin et Wolfgang Cramer  paru sur le site « The Conversation » : « La forêt française et ses sols pour limiter les gaz à effet de serre » en 2018, https://theconversation.com/la-foret-francaise-et-ses-sols-pour-limiter-les-gaz-a-effet-de-serre-96065 T. Gauquelin est Chercheur à l'Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie marine et continentale, Aix-Marseille Université (AMU) ; Wolfgang Cramer est Directeur de Recherche CNRS, Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie marine et continentale (IMBE), il est un des co-auteurs des divers rapport du GIEC et co-fondateur du réseau "Mediterranean Experts on Environmental and Climate Change" (MedECC). Dans cet article, on apprend aussi plusieurs bonnes nouvelles, notamment que la forêt française se porte bien malgré les aléas climatiques et que c’est aussi le cas de la forêt méditerranéenne malgré les incendies, grâce au fort pouvoir de régénération du pin d’Alep qui y a un rôle d’espèce pionnière.
À propos d’un article publié dans une revue antispéciste : Vers une gestion antispéciste et utilitariste de nos forêts.

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